La parabole du bon Samaritain qui nous est proposée, ce dimanche 10 juillet, est un des textes bibliques que j’aime beaucoup. Le premier synode sur l’Afrique (10 avril-8 mai 1994) s’en était inspiré en comparant l’Afrique à l’homme dépouillé, roué de coups et laissé à demi mort par des bandits sur la route entre Jérusalem et Jéricho. Cette comparaison sera reprise en 1995 par Jean-Paul II dans son exhortation apostolique ‘Ecclesia in Africa’.
Qui sont les bandits, aujourd’hui ? C’est la France avec tous ses présidents de la Ve République et ses députés qui jamais ne condamnèrent les crimes de leur pays en Afrique, la France de droite, de gauche et du centre, la France catholique et protestante, la France des intellectuels. Cette France qui ne fit que piller et tuer dans ses anciennes colonies.
Et pourtant, les Africains avaient volé à son secours et sacrifié leurs vies au moment où elle était occupée et piétinée par l’Allemagne hitlérienne. C’est de cette France ingrate et sans cœur que parlait déjà le poète sénégalais dans les années 1940 quand il disait : “Ceux qui ont fait des Askia des maquisards, de mes princes des adjudants, de mes domestiques des boys et de mon peuple un peuple de prolétaires…, ceux qui ont donné la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages et ils les ont dressés à coups de chicotte, et ils ont fait d’eux les mains noires de ceux dont les mains étaient blanches…, ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires, qui en ont supprimé deux cents millions…, cette France qui aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus, qui a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os, qui a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins…, cette France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques, qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié…, cette France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement, qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire, qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc” (Léopold Sédar Senghor, ‘Hosties noires’, Paris, Seuil, 1948).
L’Afrique ne fut pas traitée différemment après les indépendances nominales. Les bandits commirent d’autres crimes contre l’humanité (le génocide rwandais en 1994, les tueries de la force Licorne en Côte d’Ivoire en 2004 et en 2010-2011, les 19 civils maliens tués par Barkhane le 3 janvier 2021, etc.).
Au lieu de demander pardon aux Africains et de les dédommager pour tous ces crimes, comme les Allemands le firent le 14 août 2004 pour les Héréros et Namas de Namibie massacrés entre 1904 et 1908, la France veut nous faire croire que tout cela est de notre faute, que nous refusons de reconnaître les “bienfaits” de la colonisation, et patati et patata.
Comment le Samaritain se comporte-t-il face à l’homme agressé par les bandits ? “Le Samaritain voit le malheur de cet homme, sa misère, et ses entrailles en sont retournées. Il voit cet homme dans son dépouillement, dans sa faillite, il voit le fond de son être, il voit en lui la vie qui menace de se retirer, il veut la vie pour cet homme… Il refuse la condamnation. Il ne voit pas d’impureté, car le regard du Christ ne voit que la pureté au fond de l’être, que son innocence lorsqu’un homme est à terre. À la différence du prêtre et du lévite qui ont peur d’être contaminés, le Samaritain, lui, rend pur ce qu’il touche. Il s’approche du blessé. Il vient près de lui”, écrit Anne Lécu, religieuse dominicaine et médecin, dans ‘La Croix’ du 30 mars 2015. Le Samaritain, en plus d’avoir pitié pour l’homme blessé, se montre compatissant en partageant la douleur et les angoisses du malheureux mais aussi et surtout en le conduisant dans une auberge pour qu’il soit soigné.
Qui est ce bon Samaritain, aujourd’hui ? Qui a déjà manifesté une telle compassion pour nous ? Pour moi, c’est la Russie parce que, dans le passé, elle secourut des pays qui étaient occupés ou malmenés (la France en 1944-1945, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert, la Namibie, le Zimbabwe, l’Algérie entre 1950 et 1962, la Syrie à partir du 30 septembre 2015, la République centrafricaine depuis 2017), parce qu’elle n’est ni moralisatrice ni désireuse de contrôler les pays qu’elle aide, parce qu’elle est un partenaire loyal et fidèle contrairement à d’autres qui refusent de respecter les accords militaires signés avec tel ou tel pays africain quand ce pays, attaqué par des voyous, fait appel à eux.
Bien qu’il ne soit pas parfait, Poutine est intervenu aux côtés des Syriens et Centrafricains meurtris, il s’est fait proche d’eux, leur a apporté l’aide de son pays, parce qu’il les a reconnus comme des frères. Le président russe n’est pas dans les discours sur la fraternité, l’égalité, la liberté et la justice qui ne sont pas suivis d’actes. Il ne se contente pas d’avoir pitié des peuples que des bandits font souffrir et qu’ils prétendent aimer. On peut l’accuser ou le soupçonner de tout, sauf de passer son chemin comme le prêtre et le lévite de la parabole, quand des peuples sont opprimés et écrasés.
Jean Claude DJEREKE