Retour de Laurent Gbagboen Côte d’Ivoire, le 17 juin 2021. (LEO CORREA / AP)

Par Charles Toali

Annoncé pour le 17 juin 2021 vers 15h (GMT), le retour du président Laurent Gbagbo fait l’objet d’un débat presque légendaire aussi bien dans la classe politique que dans tous les champs sociaux. Des acteurs de tous statuts et de toutes autorités s’invitent dans le débat avec des positions tranchées et mémorables. Des rois et chefs traditionnels à certains se disant neutres en passant par les personnels politiques, tout le monde y va de son commentaire. Des médias et des genres de discours particuliers sont convoqués : presse, télévision, réseaux sociaux, affichages, etc. pour les médias. Conférences de presse, plateaux télé, émissions de radio, posts sur réseaux sociaux, réunions publiques pour les genres de discours. L’espace public ivoirien tout entier fait de la publicisation du retour de Laurent Gbagbo l’événement de cette deuxième moitié de 2021.

Méthode et prisme d’analyse

Même si l’œil de l’analyste politique et du communicologue observe une publicité à l’avantage de Laurent Gbagbo parce qu’incarnant désormais le masque de la victime, de la persécution, j’aimerais mettre en avant certains arguments pour en relever les amalgames que l’examen de leurs preuves respectives ressort. Toute chose qui traduit d’une part, une cécité politique et d’autre part, un effort de révisionnisme d’une histoire (au sens historiographique du terme) pourtant plus ou moins contemporaine parce que s’inscrivant dans l’espace d’une génération.

Arguments et déconstruction

Je veux bien comprendre le ton et l’intention des discours appelant à l’apaisement et à la réconciliation. Cependant, j’aimerais relever quelques références qui trahissent l’objet même de leur convocation par des amalgames qui troublent une compréhension intelligible du débat en cours.

Argument relatif au triomphalisme

L’argument sur le triomphalisme est un amalgame criant parce qu’il semble confondre la scénographie de cet accueil et le cadre la recherche de la vérité judiciaire. En effet l’accueil triomphal allégué du Président Gbagbo Laurent par ses partisans ne saurait être mis en parallèle avec la recherche de la vérité sur les vrais coupables des crimes. Il sera célébré car justement, c’est cette justice qui l’a innocenté. Il est toujours normal pour les êtres humains de manifester leurs émotions à l’issue d’une épreuve. Le procès judiciaire rentre dans le cadre des enjeux de la liberté et de l’épanouissement existentiels. Une épreuve est ainsi appelée parce qu’elle constitue un challenge dans lequel la bravoure et la justesse des actions menées sont magnifiées quand la victoire est au bout. C’est l’exemple palpable des épreuves sportives, scolaires, etc.

J’ai l’impression que les gens ne veulent rien écouter de ce que dit pour une fois une justice impartiale. La justice dit en effet que les suspects que vous lui avez envoyés ne sont pas coupables et en conséquence, elle les acquitte. Qu’est-ce qui est difficile à comprendre à ce niveau?

Argument relatif à la supposée responsabilité politique des crimes et génocides commis 

Il est aussi dit que le Président Laurent Gbagbo ne doit surtout pas oublier qu’il aurait une grande part de responsabilité dans les crises qu’a connues la Côte d’Ivoire parce que c’est sous son régime que ces derniers se auraient été perpétrés. Cet argument est aussi faux et sonne comme un amalgame car il ne faut pas confondre la responsabilité politique de la responsabilité judiciaire. Prenons un exemple tout banal de la vie quotidienne. Votre famille se fait prendre en otage par d’horribles malfaiteurs (je ne vous le souhaite pas), est-ce pour autant que vous êtes responsable? L’on vous dira certainement que vous auriez dû être plus vigilant afin de prémunir votre famille d’un tel désagrément. Mais sur ce point, on n’aurait jamais compris les casses des banques ou même des braquages qui réussissent si c’est pour tenir les victimes pour responsables. Arrêtons ça!

Argument relatif au respect de la mémoire des victimes

Ils disent aussi qu’il faut respecter la mémoire des victimes en ne versant pas dans le triomphalisme. Même si un pan de cet argument est déjà déconstruit un peu plus haut, j’aimerais dire que la question des victimes a déjà fait l’objet d’une étude scientifique par la CDVR instituée d’ailleurs par le Président Ouattara lui-même. Pourquoi ne pas sortir ce rapport et mener un débat serein et fiable sur cette question plutôt que de verser dans des a priori inutiles et manipulatoires? Ce rapport (dans une interview accordée par le Premier ministre Charles Konan Banny, son président à la chaîne TV5) s’est longuement prononcé sur cette question des victimes et des résultats auxquels sa commission est parvenue. Mener un débat en dehors du cadre factuel posé par ce rapport est manifeste d’un nihilisme des victimes qui ne dit pas son nom. On pourrait se demander quelle est l’intention de celles et ceux dont les victimes seraient subitement devenues la monnaie d’échange de leurs discours anti-Gbagbo!

Synthèse

Aujourd’hui, pour des raisons qui sont spécifiques à cet espace de réflexion, je préfère me limiter à ces trois arguments qui semblent meubler le fond du discours de ceux que je qualifie d’anti-Gbagbo et dont le Ministre Katina Koné qualifie la méthode de “frustro-thérapie”, cette propension pour certains personnes à guérir les uns par la frustration des autres. Les références dans le discours sont en effet cet effort de convoquer un événement, un fait, un mythe, un homme, etc. issu de l’histoire, bref, antérieur au discours tenu afin de servir soit de preuve ou d’élément éclairant du discours actuel, objet de notre prestation publique. La définition même de la référence discursive est un enjeu fondamental car de son investissement, de sa réactualisation dépendent la crédibilité et la fiabilité du discours tenus. En d’autres termes, un exemple mal choisi et articulé de manière irresponsable sur le projet du discours que l’on tient fausse la véracité des faits actuels et octroie une valeur illocutoire approximative.

Conclusion

Le débat que mènent le RHDP-Rdr et certains “neutres” comme ils le revendiquent dans une posture non assumée est malsain d’autant plus que le Président Ouattara a annoncé au cours d’un Conseil des ministres que les acquittés pourraient rejoindre leur pays comme ils veulent et quand ils le désirent. Mieux, il a précisé que le Président Gbagbo Laurent bénéficierait de son statut d’ancien Président de la République de Côte d’Ivoire.

La question que les Ivoiriens sont légitimement  en droit de se poser est celle de savoir depuis quand les dirigeants du RHDP-Rdr contredisent les propos de leur mentor? Jamais! Ce qui nous fait dire que ce dernier a fait cette annonce parce qu’il y a certainement été contraint et l’on pourrait imaginer que c’est la CPI qui l’y aurait contraint.

Charles Toali