Depuis le premier janvier 2022, c’est la France qui se trouve à la tête du Conseil de l’Union Européenne. Les pays membres prennent tour à tour cette place selon un principe de rotation. Là où cette nouvelle apparaît particulièrement intéressante, c’est parce qu’elle coïncide avec l’imminence des élections présidentielles françaises, qui auront lieu en avril 2022.
Autrement dit, en accédant à la fonction de président du Conseil de l’Union Européenne seulement quelques mois avant son possible remplacement, le Président Emmanuel Macron joue ce qui pourrait constituer ses dernières cartes dans un contexte très particulier. Pour cette raison notamment, les journalistes, politologues et curieux du monde entier ont suivi son allocution du vendredi 7 janvier avec grand intérêt.
Les propos de Monsieur Macron, tenus depuis l’Élysée dans le cadre d’une conférence de presse, sont venus compléter ceux d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission Européenne. Cette double intervention a laissé paraître un climat de concordance : à l’aube de 2022, les représentants de l’UE tiennent à affirmer la consolidation de projets communs, dans de nombreux domaines, et parfois dans un contexte d’urgence.
Nous vivons en effet une période complexe. On pourrait arguer qu’elles le sont toutes, mais la conjugaison des inquiétudes sanitaires, économiques, sécuritaires présente de nombreux enjeux transnationaux en ce début de la décennie 2020. Par le truchement de son intervention, le Président Macron a tenu à affirmer ses positions, plaçant ses déclarations et ses promesses dans une perspective communautaire. Dans un climat « d’amitié », aussi, pour reprendre ses mots.
Cette actualité brûlante nous permet de réfléchir sur l’évolution de l’Union Européenne et son identité composite. C’est un sujet passionnant sur lequel nous nous sommes renseignés avec méthode et beaucoup de curiosité. Au-delà des considérations « locales », les décisions prises par les dignitaires européens ont forcément un impact mondial. Nous aurons l’occasion d’en parler : le duo d’orateurs a mis sur le « tapis » la question africaine, et la manière dont ils entendaient participer à l’essor d’un continent aux dynamiques complexes et disparates.
Dans tous les cas, la nomination du Président Macron s’avère intéressante pour bien d’autres raisons que les simples « fonctions » occupées à cette occasion. C’est tout un pan de la philosophie politique qu’il est possible de mettre en lumière au regard de cet événement.
Ce dossier s’ouvrira sur une contextualisation historique. Il est important de comprendre à quoi correspond le poste de président du Conseil de l’Union Européenne. Il est toujours plus aisé de réfléchir aux problématiques actuelles en portant un regard pertinent sur le passé – sans s’y appesantir bien sûr. Ceci fait, nous vous proposons une analyse généreuse et rigoureuse du discours prononcé par le président français ; ce sera l’occasion de faire quelques remarques linguistiques et politiques qui nous ont paru vraiment intéressantes. Pour finir, nous dirons quelques mots de la manière dont cette entré en fonction, directement liée à la nature de l’« alliance » entre la France et l’UE, pourrait impact le déroulé des élections d’avril 2022 en France.
Contexte : les enjeux liés à l’Union Européenne, bref historique et description du poste de Président du Conseil
Il ne s’agit pas de se lancer dans un long cours d’histoire ; il nous paraît cependant important de rappeler certains faits pour comprendre la situation et en apprécier les enjeux avec suffisamment de recul.
Une notion apparaît particulièrement importante pour comprendre dans quel but l’Union Européenne a été créée : celle de la paix. Cela n’en fait pas pour autant une cohésion militaire – raison pour laquelle nous avons mis le mot alliance entre guillemets quelques lignes plus haut. Mais ce n’est pas pour rien que les premières graines ont été semées après la deuxième guerre mondiale, au sortir d’un conflit endémique qui avait mis le continent à feu et à sang.
L’idée d’instaurer un climat de sérénité s’est avérée prégnante. Pour les gouvernements qui, les premiers, ont ressuscité d’une cohésion européenne (elle avait déjà été imaginée depuis le XVIIIe siècle, sous l’impulsion des lumières), il ne s’agissait pas seulement de s’assurer une bonne entente avec ses voisins, mais de garantir leur propre sécurité.
Mais, comme on le sait, il y a souvent une latence particulière entre la germination d’une idée et sa concrétisation. Ce n’est qu’en 1993, à l’occasion de la signature du fameux « Traité de Maastricht », que l’Union Européenne a véritablement vu le jour, après quasiment un demi-siècle de balbutiements.
Encore une fois cela dit, nous n’entendons pas faire un exposé universitaire sur les origines de l’UE. Ce qui est intéressant pour comprendre les enjeux sous-jacents au discours d’Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du vendredi 7 janvier 2022, c’est de mettre en relief les multiples objectifs qui ont conduit à l’officialisation de cette union. N’oublions jamais que le passé aide à comprendre le présent. Nos modes de vie ont connu des bouleversements majeurs durant les deux dernières décennies avec l’avènement des nouvelles technologies, la montée et l’explosion des actes terroristes, ou encore la complexification de la question écologique. Mais ces « particularités modernes » sont justement traitées, envisagées, discutées à l’aulne de problématiques intemporelles : la question économique, la gestion sociale, la sécurité… et elles ont toutes un lien puissant avec la question du diptyque frontière politique/frontière physique.
L’Union Européenne : à la recherche d’une cohésion
À force d’apprendre par cœur nos cartes géographiques en effet, on oublie que de nombreuses frontières ne sont pas le fait de phénomènes géologiques naturels, mais bien la résultante de décisions et d’alliances humaines. Le concept de « nation », de patrie, est aussi complexe que malléable. Certains régimes totalitaires ne s’y sont malheureusement pas trompés.
Si nous apportons cette précision, c’est parce qu’il est important de ne pas confondre l’Europe et l’Union Européenne. Dans le cas où les deux notions étaient interchangeables, alors la Suisse, par exemple, ferait partie de ladite union. Or, il n’en est rien.
« L’Union Européenne » ne renvoie donc pas à une délimitation géographique. C’est un projet de concordance politique, économique et sociale ; avec toutes les nuances qu’on peut imaginer. Sur le plan historique, cela renvoie à plusieurs nécessités de l’après-guerre :
- L’urgence de la reconstruction économique, après plusieurs années d’embargos, de paupérisation, de privations en tout genre. Dans cette optique s’est esquissée la volonté de favoriser les échanges entre les différents pays du continent. Les volontés de contrôle absolu et d’appropriation dans certaines zones s’étaient bien trop souvent soldées par des destructions à tous crins, sans qu’aucun clan ne puisse vraiment tirer profit de la situation.
- La nécessité d’uniformiser autant que possible les « pratiques sociales », en visant une meilleure distribution des richesses grâce à la poursuite d’objectifs communs.
- Comme on l’a dit d’emblée : la mise en place d’un « cran de sûreté », pour éviter au mieux le déclenchement d’une nouvelle guerre « mondiale » dont les deux premières occurrences, rappelons-le, tiraient leurs origines dans les dissensions européennes.
Lorsqu’on écoute le discours du chef d’État Français – mais nous reviendrons sur cette intervention plus en détails – on retrouve ces perspectives, mise au goût du jour. Bien sûr, certains argueront que le fossé se creuse entre le projet et la réalité du terrain. Mais nous ne voulons pas verser dans une logique polémique.
Ce qui importe, c’est de comprendre les lignes directrices, et donc la raison d’être d’une telle union. Comme très souvent, pour ne pas dire toujours, l’exploitation et la gestion des ressources terrestres jouent un rôle quintessentiel.
L’Union Européenne : cette construction politique taillée dans l’acier et de charbon
Peu de gens le savent, mais les premiers signes d’une cohésion européenne remontent au début des années 1950, avec la création d’un marché uniformisé de l’acier et du charbon. L’objectif était de limiter au maximum les débordements entre la France et l’Allemagne concernant la gestion et la marchandisation de ces ressources. Ils n’avaient occasionné que trop de dégâts jusque-là.
Si le lien avec le résultat de 1992 peut paraître abscons, il y a en réalité une logique progressive dans la construction de l’Union Européenne. La première association a permis d’apaiser le climat, et de songer à une entente qui, quelques années auparavant, aurait paru inconcevable. Par ailleurs, le fameux Conseil de l’Union Européenne dont Monsieur Macron vient d’être nommé Président pour le début de l’année 2022… est considéré comme le « descendant » de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.
À l’époque, il s’est notamment agi de tempérer le pouvoir de ce qu’on appelait la Haute Autorité, ancêtre de la Commission Européenne (CE). Car il faut comprendre que la création de ces ententes politiques s’inscrit dans la volonté de diluer les pouvoirs décisionnels. La pluralité des instances forme toujours le socle d’une entreprise démocratique ; aux édits n’émanant que d’une source s’opposent les décisions, les réformes, les amendements élaboré de concert et supposant une validation par plusieurs acteurs.
C’est pour cette raison, nous le verrons, que le Président Macron insiste régulièrement sur l’idée de concordance et de coordination. Au sein d’une structure comme l’UE, il ne s’agit pas de « se la jouer solo », que ce soit au niveau national ou supranational. Les leviers de tempérance s’étendent jusqu’à l’organigramme du Conseil lui-même : c’est dans cette même logique de multiplicité que la fonction de Président est née.
Macron, Président du Conseil de l’UE : qu’est-ce que ça signifie ?
Tout d’abord, il est important de rappeler qu’un rigoureux système de rotation a été installé. Depuis le traité de Lisbonne (Conseil européen des 13 et 14 décembre 2007), le mécanisme du « triplet » a été officialisé. Ce sont donc trois états membres qui se succèdent au poste, sur une durée totale de dix-huit mois. Un nouveau cycle a commencé depuis le premier janvier 2022 : en juillet, c’est la Tchéquie qui reprendra le flambeau à la France. Puis ce sera au tour de la Suède.
Mais alors, que suppose ce rôle particulier ? Quelles sont les fonctions d’Emmanuel Macron en tant que président du Conseil de l’UE ?
L’importance de la coordination
L’une des clés de voûte rattachées à ce rôle, c’est le principe de coordination. Nous évoquions tout à l’heure la nécessité de « tempérer » les pouvoirs ; parmi les impératifs qui sous-tendent l’organisation politique humaine, on compte aussi l’importance d’une figure régulatrice. En l’occurrence, Monsieur Macron joue un rôle d’organisateur, de « chef d’orchestre » au moment des discussions tenues entre les dignitaires. En pratique, il est aidé dans la tâche, sur le plan logistique du moins. Mais l’on est quand même loin d’un rôle purement symbolique. Les impulsions, les perspectives, les convictions françaises quant à l’évolution de l’UE ont en l’occurrence une visibilité particulière pour le semestre et influencent d’une manière ou d’une autre la teneur des débats.
C’est l’occasion pour la personnalité politique en place (la dernière étaient Sarkozy, en 2008) d’orienter les émois et les préoccupations via une boussole française, toutes proportions gardées.
Une dimension représentative
Pendant les mois à venir, le Président français aura aussi un rôle de représentant. Il donne d’une certaine manière un visage public au Conseil de l’UE. Il pourra relayer certaines informations et mettre en avant certains dossiers auprès du Président du Conseil européen, qu’il faut par ailleurs se garder de confondre avec… le Conseil de l’Union européenne ! Aussi, Emmanuel Macon sera amené à communiquer régulièrement avec le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Zoom sur la question africaine
En tant que Président du Conseil de l’Union Européenne, Monsieur Macron joue aussi un rôle clé par rapport à ce que Monsieur Charles Michel, dans un très récent communiqué du 11 janvier 2022, décrit comme une « nouvelle alliance entre l’Afrique et l’Europe ».
La définition des relations entre l’Afrique et l’Union Européenne touche à de très nombreux aspects, économiques, sociaux et sanitaires notamment. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question lors de notre analyse du discours, dans quelques lignes.
La présidence du Conseil de l’Union Européenne : notre bilan des enjeux
Nous sommes à quelques lignes d’entrer dans le vif du sujet et d’analyser le discours du Président Macron au terme de sa première semaine en tant que président du conseil de l’UE. Avant cela, et pour faciliter la progression du lecteur, nous aimerions rappeler les enjeux esquissés jusqu’ici :
- L’Union Européenne prend ses racines dans la période d’après-guerre, et a été officialisée en 1992 par la signature du traité de Maastricht.
- Elle suppose la poursuite d’objectif communs et la préservation de certains intérêts, sur les plans économiques et sociaux particulièrement. Les directions favorisées ne relèvent évidemment pas que de l’entente tacite et font l’objet d’accords signés.
- Le Conseil de l’Union Européenne est l’un des organismes permettant une coordination pérenne entre les états membres. Il vient faire tampon au pouvoir de la Commission Européenne.
- Le Président du Conseil de l’Union européenne officie pour six mois, dans une logique de trios qui suppose une occupation successive du poste.
- Le poste n’est pas uniquement symbolique : il suppose un effort de coordination et de représentation. Au niveau national, il permet de réaffirmer le rapport du pays à l’union – c’est en tout cas clairement ce qui ressort des premières interventions du Président.
Découvrez justement notre analyse de l’allocution donnée par Emmanuel Macron le vendredi 7 janvier 2022. Il ne s’agit pas d’en faire un simple « compte-rendu » ; il vous suffirait de trouver la vidéo sur un site de streaming et ce texte n’aurait alors pas grand intérêt. Ce qui nous importe vraiment, c’est de placer cette entrée en fonction et les principes émanant du discours correspondant dans une perspective européenne et internationale, pour comprendre les enjeux globaux.
Le discours du Président Macron : analyse et discussion
Il est d’abord intéressant d’observer les procédés rhétoriques employés. Nous vous rassurons : nous n’allons pas faire des comparaisons avec les prescriptions d’Aristote ! Simplement, il nous paraît essentiel de nous pencher sur les mots choisis, les emphases, puisque cela permet d’apprécier les différentes dimensions politiques du discours. Ceci fait, il nous faudra présenter les sujets amenés « sur le tapis » par l’homme d’État ; cela donne forcément une idée des priorités établies.
Les mots du Président : la réaffirmation d’une collaboration européenne
Chacun le sait : les discours prononcés par les politiciens ne sont jamais écrits sur une serviette de table en quelques minutes. Ils font l’objet d’une réflexion intense, sont soumis à des relectures et à des modifications jusqu’à la dernière minute. C’est qu’ils revêtent une certaine importance : ces prises de parole viennent affirmer plusieurs positions, confirmer la poursuite d’objectifs précis.
En l’occurrence, le Président Macron n’a pas hésité à réaffirmer son attachement à l’Union Européenne, et s’est fait le porte-parole d’un gouvernement loin de renoncer aux ambitions de coordination et d’homogénéisation nourries et entretenues par les États membres.
L’homme d’État a d’emblée précisé qu’il ne souhaitait pas rappeler ou présenter l’ensemble de l’agenda, tâche qui aurait été fastidieuse et sans doute contre-productive. C’est assez logique, en somme : les événements organisés sont annoncés et les dates sont accessibles à tous ; les réciter dans un tel contexte reviendrait à perdre du temps. Plutôt, il a tenu à rappeler les grandes lignes, les principaux « chantiers » qui se placent au cœur du projet européen.
Emmanuel Macron parle du semestre en cours comme d’un « moment utile pour l’Europe », via des « projets concrets ». Bien qu’il soit toujours nécessaire de distinguer les effets de communication et les intentions réelles, le dirigeant français paraît vouloir donner du sens à ce mandat particulier. Les mots choisis renvoient à une idée de coopération, de collaboration : « collectivement », « avec l’ensemble des membres », « partager ». Il est même question d’une « amitié » avec l’Italie, lorsqu’il est mentionné le fameux traité de Quirinal, supposé favoriser la coopération entre les deux nations.
Autre choix qui a sans doute fait grincer les dents de quelques eurosceptiques : l’emploi du gentilé « européennes et européens » au début du discours. Si le terme peut paraître anecdotique de prime abord, il renvoie quand même à l’idée d’une identité « continentale ». Cela ne suppose pas la neutralisation des particularités culturelle cela dit, ce qu’Emmanuel Macron a souligné.
Le discours du Président français : la question écologique
Plusieurs questions ont été abordées par l’homme d’État, bien que l’intervention se soit avérée assez courte dans l’ensemble. Parmi les points focaux, on peut citer l’incontournable question écologique. Le nouveau Président du Conseil de l’Union Européenne est revenu sur le processus de « décarbonisation » en cours. Pour rappel, il s’agit d’une entreprise commune visant à réduire l’empreinte carbone des industries européennes. Cette transfiguration, cette restructuration profonde des modes de consommation et d’exploitation s’inscrit dans ce qu’on nomme la « transition énergétique », elle-même pleinement rattachée aux défis du développement durable. Elle s’étend à des domaines variés, tels que les transports ou la construction.
Ursula von der Leyen, lors de son intervention complémentaire, a rappelé quels étaient les « grands chantiers » en termes de réactions aux impacts du dérèglement climatique. Parmi eux, la réduction de l’émission des gaz à effets de serre, fixée à 55% pour 2030. Elle a précisé qu’atteindre cet objectif supposait de prendre en compte l’efficacité économique et la justice sociale, pour ne pas léser les populations. Cette politique s’inscrit dans ce qui se nomme le « paquet climat-énergie », un plan d’action que Monsieur Macron a d’ailleurs nommé au début de son discours.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que sous cette quiétude apparente se cachent des problématiques extrêmement délicates. C’est tout un pan de l’industrie européenne qui doit se réinventer. En France justement, depuis le 1er janvier 2022, de nouvelles réglementations (RE20) sont entrées en vigueur concernant la construction des bâtiments et l’utilisation de ceux qui ont déjà été édifiés. Il s’agit pour les premiers d’équiper les infrastructures en fonction des nouveaux objectifs énergétiques. Pour les seconds, on vise (autant que possible) une rénovation progressive pour la mise à profit d’une énergie toujours plus verte.
Chaque pays de l’Union Européenne a évidemment ses propres impératifs, inhérents aux spécificités locales. Les référents et les objectifs en matière d’émission des gaz à effet de serre peuvent aussi varier ; la France, elle, se base sur 1990 et vise une réduction de 40% d’ici 2030.
Toujours est-il que la mise en exergue de ce sujet par le Président Macron n’était pas anodine. Certes, le sujet est incontournable, mais il a ici été mis en vedette ; Madame Ursula von der Leyen en fait la toute première entrée de son intervention. Dans le cadre d’une conférence de presse pour « l’intronisation » du Président du Conseil de l’UE, la charge symbolique est forte. C’est le genre d’allocutions qui marque d’une pierre blanche la progression d’un projet. Il n’est manifestement pas question de se désengager pour les pays membres – bien qu’il faille attendre de constater les réussites et les retards, dans un délai de huit ans environ.
Une « architecture de sécurité européenne »
La question de la sécurité a aussi ponctué les interventions des deux personnalités politiques. M. Emmanuel Macron a rappelé que certaines discussions allaient être engagées sur les problématiques liées aux frontières. Lors de la session de questions qui a suivi le bref discours du Président et le complément apporté par Madame Ursula von der Leyen, la question délicate de l’Ukraine a été soulevée, eu égard aux tensions grimpantes entre les gouvernements russes et étasuniens. Le nouveau Président du Conseil de l’UE s’est montré relativement vague sur la question, mais a tenu à rassurer son auditoire sur l’existence d’un dialogue avec le Président des USA et la tenue de conversations téléphoniques régulières entre Poutine et lui-même. Il a précisé que ces moments de discussions n’avaient pas pour but de « concéder », mais de « faire le point sur [les] désaccords », pour « essayer de construire l’avenir ». En tout cas, il ne semble pas question pour Monsieur Macron de rompre le contact avec les dignitaires Russes.
Il est certain que lorsqu’on parle de « sécurité européenne », on ne peut pas s’arrêter aux frontières terrestres. Les enjeux s’étendent forcément au niveau international. Dans le cas de l’Ukraine, la question est historiquement très chargée, et il ne s’agit pas ici d’en donner les détails. Mais en jetant un œil sur l’actualité récente et les annonces faites par le gouvernement ukrainien, on remarque que de grandes tensions sont à prévoir : la volonté de cette nation d’intégrer l’Union Européenne prochainement, et son entrée dans l’OTAN prévue pour cette année 2022 entrent forcément en collision avec les ambitions russes. Nous n’en dirons pas plus, car cette thématique n’a été abordée qu’en filigrane. Mais il est intéressant et important d’identifier ces problématiques, d’autant que Monsieur Macron, dès les premières phrases de son discours, a évoqué la place importante que prendrait la « question ukrainienne » dans les sommets agendés au cours du semestre. Car c’était surtout ça, le but de cette intervention en direct de l’Élysée : faire un bilan rapide des principaux points de préoccupation.
La sécurité constitue forcément une « top » priorité. Sur ce point comme sur tous les autres, l’homme d’État a confirmé l’existence d’une « culture commune », propre à assurer une pratique homogène au sein de l’Union Européenne. Sur la question de la Russie, il rappelle d’ailleurs qu’il faut tenir compte des préoccupations « géographiques », en cela que certains pays sont plus directement concernés par les débordements éventuels, et que la coordination est donc adaptée en ce sens.
Le sommet Union Européenne – Union Africaine : quels enjeux ?
Ceux qui ont écouté le discours du Président se souviennent peut-être de son rappel concernant le sommet Europe-Afrique de Bruxelles, prévu pour février 2022. Ursula von der Leyen a « pris la balle au bond », en réaffirmant la volonté de l’UE d’ « amplifier [son] soutien [au] continent ». Elle désigne l’Afrique comme un « espace géopolitique-clé essentiel dans le monde de demain ». Elle précise finalement que Monsieur Macron bénéficiera du plein soutien de la Commission à ce sujet.
Lorsqu’on se renseigne un peu sur les thématiques qui devraient être abordées durant le sommet, on réalise que le panel est assez large : aides financières, contributions à la transition énergétique, améliorations des relations diplomatiques, accès aux vaccins… Cela renvoie à un événement datant de décembre 2021, durant lequel le Président français a rencontré le Président rwandais, Paul Kagamé, et le Président sénégalais, Macky Sall. À cette occasion, ils sont revenus sur plusieurs enjeux sécuritaires, sanitaires et économiques.
Parmi lesdits enjeux, on peut citer la très actuelle question de la distribution des doses vaccinales et les inquiétudes liées aux attaques djihadistes. La situation est particulièrement – mais pas uniquement – tendue au Mozambique. Les conflits intestinaux s’ajoutent aux difficultés ; on pense notamment aux attaques de rebelles qu’a dû subir l’armée centrafricaine.
Nous attendons évidemment le sommet précité pour découvrir les perspectives dessinées dans les détails. Il est aussi toujours prudent de s’interroger sur la part de diplomatie d’une part, de « discours » justement, et l’effectivité des actions entreprises sur le moyen et long terme. Toujours est-il que pour en rester à un niveau factuel, et pourquoi pas optimiste, la situation africaine n’est de loin pas négligée dans les débats et semble même occuper une place de choix dans les préoccupations de l’UE.
Analyse du discours d’Emmanuel Macron en tant que nouveau Président du Conseil de l’UE : survol des autres points abordés et bilan
Nous n’avons sciemment pas abordé tous les aspects auxquels les explications ou projections de Monsieur Macron faisaient référence, soit parce qu’ils ont été survolés, soit parce qu’ils mériteraient un billet complet pour être traités convenablement. Le Président a par exemple évoqué la question de la justice sociale, promettant que des « travaux » étaient en cours concernant le renforcement des égalités hommes/femmes, par exemple. Il a aussi dit quelques mots sur la transition numérique et sa place centrale dans les débats, pour l’installation d’une pratique commune. Dans un autre registre, les journalistes ont interrogé les deux intervenants sur la question du Kazakhstan. Madame Ursula von der Leyen a notamment assuré qu’elle suivait la situation de près, sans qu’il soit possible de déceler un plan d’action concret à ce stade.
Finalement, et toujours lors de la session « questions/réponses », Monsieur Macron a été interrogé sur les propos qu’il a tenu dans le cadre d’une entrevue pour le quotidien français Le Parisien. Assumant la dimension triviale de ses propos, il a profité de cette interpellation pour confirmer sa position et la placer sur un plan européen : la vaccination, dit-il, est pour les pays membres l’outil de lutte absolument privilégié et revendiqué contre la pandémie. Ce « pari » stratégique a été confirmé par Madame Ursula von der Leyen.
Pour conclure cette analyse, nous vous proposons d’en résumer les grands constats, pour offrir au lecteur une vision panoramique des enjeux :
- Le discours du vendredi 7 janvier 2021 était plutôt court, mais a permis de constater la grande quantité de problématiques et de projets avec lesquels l’Union Européenne doit et se propose de composer pour le semestre à venir. Aucun détail technique n’a été donné ; tout juste quelques chiffres ont-ils été mentionnés. Mais dans une perspective « programmatique », il y a de quoi faire certains constats.
- Monsieur Macon a pleinement insisté sur le rôle de la France dans l’équation européenne, parlant volontiers de projets, d’objectifs communs et d’amitié. Il reste fidèle à sa réputation d « européiste » convaincu. Madame Ursula von der Leyen a d’ailleurs mis en avant le rôle-clé de la nation au drapeau bleu-blanc-rouge dans la marche des affaires européennes.
- Parmi les thématiques dont le Président et Madame Ursula von der Leyen ont parlé, on compte le climat, la question économique (que nous n’avons pas explicitement citée tant elle touche finalement à l’ensemble des problématiques), la justice sociale, la sécurité aux frontières, les relations internationales (échanges avec la Russie, amélioration des relations diplomatiques avec l’Afrique…), ou encore la stratégie vaccinale.
Dans tous les cas, les intervenants ont insisté sur la volonté de concordance, sur l’existe de nombreuses ambitions partagées. Sur le plan verbal comme sur le plan non-verbal, tout pointait ostensiblement dans cette direction.
Mais il y a un point crucial que nous n’avons pas encore abordé jusqu’ici. Il donne pourtant à cette conférence de presse une coloration toute particulière. Certes, il n’a pas été abordé par le président Macron ou par Madame Ursula von der Leyen. Mais une analyse politique suppose un élargissement constant dans l’appréciation des paradigmes.
Vous l’aurez sans doute compris : nous faisons référence à l’imminence des élections présidentielles françaises. Selon l’issue de ces dernières, de nombreuses cartes pourraient être redistribuées. Voici notre commentaire à ce propos, que nous vous laissons apprécier. Attention : il n’y a aucune approche partisane sous-tendant notre démarche. Nous voulons adopter une approche hétérogène et mesurée, pour jauger la situation avec le plus d’objectivité possible.
Nous trouvons vraiment intéressant d’observer cette collision rare entre d’une part l’accès à un « poste » européen et d’autre part l’imminence d’une transition.
Macron, président du Conseil de l’Union Européenne : quels enjeux à quelques mois de la présidentielle ?
Une chose est certaine : Emmanuel Macron n’a jamais caché son plein enthousiasme quant au maintien et au renforcement de l’Union Européenne. Dès sa campagne de 2017, il affirmait sa volonté de poursuivre tous les efforts fournis dans ce sens par ses prédécesseurs.
Le fait qu’il devienne Président du Conseil de l’Union Européenne quelques mois avant les présidentielles françaises s’avère donc particulièrement intéressant, et à plusieurs égards.
Nouvelle Présidente ou nouveau Président… un risque de bouleversement ?
Tout d’abord, en termes de lignes directrices, la profession de foi (politique, bien sûr) à laquelle s’est adonné l’homme d’État durant la conférence de presse du 7 janvier pourrait être compromise par l’élection d’un autre candidat. En effet, par exemple, l’on sait depuis longtemps que Madame Marine Le Pen veut voir la France quitter l’UE ; elle en faisait déjà état bien avant le fameux « BREXIT » et l’invention du terme « FREXIT » pour l’équivalent français. L’ex « Front National », désormais renommé « Rassemblement National », a toujours vu ses membres sinon conspuer, du moins afficher un immense scepticisme face aux principes de cohésion continentale.
Eric Zemmour, autre aspirant, se montre moins tranché selon certains journalistes, mais son discours s’avère nettement plus nuancé que celui d’Emmanuel Macron quand la question de l’UE est mise sur la table. Le leader d’extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon, quoique ne semblant plus favorable au fameux « FREXIT », affiche une certaine grogne face au fonctionnement de l’Union Européenne, considérant qu’elle a perdu de son sens original.
Chez les candidats plus en phase avec l’idéologie prônée par l’éventuel Président sortant, on compte notamment Valérie Pécresse, qui a annoncé vouloir se « battre pour la puissance de l’Europe ». Anne Hidalgo se place dans une perspective analogue ; elle a eu l’occasion, dans certains interviews, de mettre en avant ses « ambitions » pour l’UE.
Nous pourrions encore dérouler la liste, mais notre but n’est pas de ranger chaque candidat dans une « case » à la veille des élections. Plutôt, nous voulons souligner la manière dont le résultat peut impacter la progression des nombreux chantiers présentés – ou plutôt confirmés – par le Président Macron à l’occasion de ses interventions, dont celle du 7 janvier. Voilà un aspect pour le moins passionnant lorsqu’on analyse l’actualité politique : le chemin tracé par une personnalité politique est susceptible de dévier en cas de remplacement. Ce qui paraît aujourd’hui comme une évidence, au cas d’une déclamation convaincue, peut vite être remis en question.
On pourrait donc imaginer que, selon l’issue des votes en avril 2022, les deux derniers mois du semestre français prennent une autre coloration, eu égard à l’approche adoptée par la nouvelle dirigeante ou le nouveau dirigeant. Mais il faut rappeler que le Président du Conseil de l’UE est loin de détenir les « plein pouvoirs ». Dès lors, les décisions qui seront prises dans le cadre du sommet sur les relations Afrique – Europe par exemple, ne pourront être balayées d’un revers de la manche parce qu’une autre personne est au pouvoir en France.
C’est sur le moyen et long terme, par rapport à la dynamique France – Union Européenne, que des changements de paradigme peuvent survenir. Les accords déjà signés ne se verront évidemment pas remis en cause. Les engagements sur le plan climatique, par exemple, sont scellés.
Mais les ambitions « d’Europe souveraine », où l’appartenance à un continent semble tout aussi importante que la puissance d’une nation membre, sont susceptibles de perdre du terrain selon l’issue des votes en avril. Voilà encore un point très intéressant que nous voulions soulever : les relations internationales et les ambitions nationales sont toujours sujettes à des transformations. Les acquis n’existent pas, ou très peu en politique. C’est aussi pour cette raison qu’il faut se montrer vigilant quand on analyse les nouvelles du monde.
La présidence de Macron à la tête du Conseil de l’Union Européenne : une influence possible sur les votes ?
La question de la place qu’occupe la France au sein de l’Union Européenne, une place de choix en l’occurrence, pourrait bien impacter les votes. Cette situation pour le moins composite nous semble à double tranchant pour Emmanuel Macron. D’un côté, ses partis-pris en tant que président de l’organisme continental seront relayés par les médias et suivis sur les réseaux sociaux. Dès lors, il bénéficiera d’un supplément de visibilité, d’un espace public encore étendu pour afficher ses convictions et ses projets. De l’autre côté, les eurosceptiques, ou tout simplement ceux qui désapprouveront les initiatives du dirigeant pendant ce semestre, pourraient accorder leur préférence à un autre candidat. Les Historiens, Sociologues et Politologues le savent : les événements récents jouent un rôle essentiel quand arrive le jour d’alimenter les urnes. Ce n’est pas une question de mémoire, non ; c’est parce que finalement, les décisions les plus récentes sont celles qui permettent d’entrevoir l’avenir avec le plus d’acuité.
Dans tous les cas, l’actuel Président français ne mâche pas ses mots lorsqu’il se prononce sur l’Union Européenne. À l’occasion du discours notamment, il a rappelé sa volonté de renforcer la « puissance européenne », d’assurer sa pleine souveraineté. Il est donc difficile pour un votant d’ignorer qu’en plébiscitant un deuxième mandat pour Emmanuel Macron, il vote aussi pour une poursuite de la pleine collaboration avec l’UE pendant cinq ans.
La présidence de l’UE : offre-t-elle un levier stratégique à Emmanuel Macron, et s’en saisit-il ?
On pourrait se demander si le chef d’État français instrumentalise – dans un sens neutre et non péjoratif – son actuelle fonction au sein de l’UE pour faire campagne. Il est difficile de trancher absolument. En soi, les positions affichées par Monsieur Macron lors de son discours du 7 janvier ne détonnent absolument pas avec son credo habituel.
Cela dit, les fenêtres d’intervention publique particulières que lui confère cette nouvelle fonction sont autant d’occasions pour « séduire » une partie de l’électorat, en évoquant des questions sensibles telles que la sécurité, le climat, ou la crise sanitaire. Lorsqu’il donne son avis sur telle ou telle thématique dans le cadre d’un discours concernant la présidence du Conseil de l’UE, on ne peut qu’établir un lien, même inconsciemment, avec la politique nationale. Sur la question du vaccin typiquement, Emmanuel Macron a « profité » d’une question posée pour confirmer son approche, entendant peut-être par là obtenir l’approbation de ceux qui soutiennent la politique du tout-vaccinal.
Emmanuel Macron, Président du Conseil de l’Union Européenne : bilan et perspectives
Vous l’aurez sans doute remarqué : l’année 2022 commence sur les chapeaux de roue. Les tensions internationales sont nombreuses et, dans ce contexte, les politiques doivent se prononcer rapidement et concrètement quant aux solutions entrevues. Aux risques que présentent certaines poudrières, aux Balkans par exemple ou en Ukraine pour les raisons évoquées plus tôt, s’ajoutent la persistance de la pandémie, amenant les dirigeants à conditionner la plupart de leurs initiatives : la circulation d’un nouveau variant, l’arrivée d’une « vague » épidémique peuvent venir bouleverser les événements en profondeur.
C’est dans ce contexte pour le moins houleux que le Président prend ses fonctions. Monsieur Macron affiche alors de nombreuses ambitions sur le plan européen, liées aux enjeux sociaux, écologiques, sanitaires et, inévitablement, économiques qui viennent densifier et complexifier la vie humaine au XXIe siècle. Nous n’entendons pas prendre parti quand au bien-fondé ou à la crédibilité des projets évoqués par le chef d’État à l’occasion de la conférence. Une chose est sûre : la France de Macron est une France européenne, épousant l’idée d’une collaboration à quasiment tous les niveaux.
Ceux qui président une dégringolade de la cohésion entre les pays de l’État membre devront pour le moment se contenter de spéculations. L’heure semble plutôt au renforcement des liens qu’à leur détachement progressif. Comme on a pu le constater dans notre analyse, le nouveau Président du Conseil ne s’est pas montré avare en tournures « unifiantes », ne manquant pas la moindre occasion pour réaffirmer une dynamique d’harmonisation.
Nous allons quoiqu’il en soit suivre et commenter l’actualité des mois à venir avec grand intérêt. Les différents sommets annoncés par le Président apparaîtront comme autant d’occasions pour « prendre le pouls » de la situation, pour analyser les enjeux géopolitiques dans une perspective large. Le sommet sur l’Afrique de février 2022 revêt une importance particulière, puisqu’il pourrait bien poser les jalons d’une relation différente entre les deux continents ; nous verrons dans quelle mesure.
Quant à la question plus locale des élections, on ne saurait imaginer une absence totale de corrélation entre le rôle si particulier joué par Emmanuel Macron pour quatre mois et la dynamique électorale. Mais il est difficile d’anticiper la nature de l’impact, d’autant que les sommets n’ont pas encore eu lieu et que les discussions menées à ce moment-là, les annonces faites à l’issue des colloques pourraient encore orienter les opinions.
Analyser ce discours nous a quoiqu’il en soit donné l’occasion de faire le point sur les problématiques dominantes de ce début 2022 – des problématiques éternelles bien sûr, mais qui prennent des formes inédites, qui supposent des réflexions toujours plus riches sur les réflexions, les actions, les passions humaines.
Ongui Simplice
onguisimplice@afriquessor.co.uk