Jean-Claude DJEREKE

Réagissant à la déclaration faite par Mgr Jean-Pierre Kutwã le 31 août 2020, je faisais remarquer, d’une part, que cette déclaration était un non-événement parce qu’elle manquait à la fois de clarté et de courage et, d’autre part, qu’il s’agissait, non pas de dire que la candidature de Alassane Ouattara après deux frauduleux mandats était nécessaire ou non, mais de savoir si notre Constitution autorisait le président du RDR à briguer un troisième mandat. Certains lecteurs de mon post n’étaient pas d’accord avec moi, ce que je ne trouve point anormal, mais l’un d’entre eux a cru m’impressionner en convoquant des ouvrages du Magistère de l’Église catholique, ouvrages dont je doute qu’il les ait jamais lus et qu’il n’est même pas capable d’écrire correctement. Le faux savant ou pseudo-intellectuel en question est Jean-Baptiste Kouamé qui était assistant au département de Lettres modernes de l’université de Cocody quand j’y achevais une licence en 1987 et qui travaillerait avec Patrick Achi qui gouverne et mange avec le bourreau des Ivoiriens.

Avant d’attaquer le fond de la réponse de Kouamé à mon post, je voudrais dire un mot sur les livres cités par lui. Il écrit “Le Lumen gentuim”, ce qui ne veut rien dire, au lieu de “Lumen gentium” (lumière des nations) qui est une constitution dogmatique sur l’Église. Cette constitution a été pensée et rédigée par les Pères conciliaires mais rendue publique le 21 novembre 1964 par le pape Paul VI. “Populorum progressio” (Le développement des peuples), dont l’auteur est le successeur de Jean XXIII, n’est pas un document du Concile Vatican II (1962-1965) mais une lettre encyclique parue le 26 mars 1967 et attirant l’attention sur le fait que “le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique [et que], pour être authentique, il doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme”. Kouamé se contente de renvoyer à ces documents sans montrer en quoi l’engagement politique du laïc diffère de celui des clercs. Je voudrais l’informer que j’ai consacré à l’engagement politique du clergé catholique en Afrique noire un ouvrage de 304 pages (Paris, Karthala, 2001). Dans cet essai écrit avant la soutenance de ma thèse, je défends, grosso modo, l’idée suivante : alors que le laïc peut militer dans un parti politique, être député, maire ou président de la République, le clerc (évêque ou prêtre) devrait éviter un tel engagement pour ne pas diviser la communauté chrétienne qui rassemble des hommes et femmes de sensibilités politiques différentes. Ma position se fonde sur plusieurs textes comme “Le Code de droit canonique”, “Apostolicam actuositatem” (décret sur l’apostolat des laïcs), “Gaudium et spes” (constitution pastorale sur L’Église dans le monde de ce temps), “Evangelii nuntiandi” (exhortation apostolique sur l’annonce de l’évangile) de Paul VI, “Christifideles laici” (exhortation apostolique post-synodale sur les fidèles laïcs) de Jean-Paul II. Avant de jouer les sachants, Kouamé gagnerait à connaître la différence entre une exhortation apostolique, une lettre encyclique, un motu proprio, un décret conciliaire, une constitution dogmatique ou pastorale, etc. Bref, je lui conseille de ne pas s’aventurer sur un terrain qu’il ne maîtrise point.

Il est vrai que quelques prêtres furent responsables d’organisations politiques (l’abbé Augustin Diamacoune Senghor qui dirigea le Mouvement des forces démocratiques de Casamance au Sénégal), chefs d’État (Fulbert Youlou au Congo-Brazaville, Barthélemy Boganda en Centrafrique) députés-maires (Félix Kirr, Jules Lemire en France) ou ministres (Miguel d’Escotto, Fernando et Ernesto Cardenal dans le gouvernement sandiniste de Daniel Ortega au Nicaragua) mais ce sont des exceptions qui confirment la règle selon laquelle les clercs devraient s’abstenir de “prendre une part active dans les partis politiques ou dans la direction des associations syndicales, à moins que, au jugement de l’autorité ecclésiastique compétente, la défense des droits de l’Église ou la promotion du bien commun ne le requièrent” (canon 287, § 2 du Code de Droit canonique de 1983). Pour combattre la misère, l’oppression et l’injustice, le clerc n’a que sa parole. En tant que citoyen et berger, il a le droit et le devoir de “parler sur la place publique” quand certains violent ou bafouent les droits des autres, ce qui me permet d’aborder maintenant le fond de la réaction de Jean-Baptiste Kouamé. Mgr Bernard Yago, Mgr Paul Dacoury-Tabley, Mgr Laurent Mandjo et Mgr Bernard Agré dirent plusieurs fois “non” à ce qui leur semblait injuste ou dangereux pour le pays. De Joseph Malula à Laurent Monsengwo en passant par Mgr Kabanga, les évêques comgolais prirent régulièrement la parole pour dénoncer les dérives et abus des hommes politiques. Ceux du Burkina Faso n’attendirent pas un mois pour s’opposer à la tentative de Blaise Compaoré de modifier l’article 37 de la Constitution. Kutwã, qui appelle aujourd’hui au respect du Droit, ouvrit-il la bouche lorsque fut violée notre Constitution qui stipule que la Commission électorale ne proclame que les résultats provisoires et que seul le Conseil constitutionnel désigne le vainqueur de l’élection présidentielle ? L’archevêque d’Abidjan s’est tu, comme Ahouanan et Lezoutié, quand Ouattara terrorisait, brutalisait et spoliait le peuple ivoirien alors que les 3 prélats étaient volubiles sous le précédent régime. C’est un secret de Polichinelle que les trois évêques sont proches de Ouattara et ce n’est pas cela qui pose problème. Ce qui est gênant, indigne et dangereux, c’est le silence complice devant le crime, le faux et le mensonge. Le cardinal Hyacinthe Thiandoum était bien proche de Léopold Sédar Senghor avec qui il partageait l’appartenance à la même communauté religieuse mais le premier archevêque sénégalais de Dakar se désolidarisa publiquement de Senghor lorsque ce dernier fit injustement arrêter et emprisonner Mamadou Dia, le président du Conseil. Que Kutwã ne retrouve l’usage de la parole qu’au moment où les Ivoiriens prennent des risques pour chasser ce régime criminel et arrogant, cela s’appelle de l’opportunisme. Un tel homme ne peut être félicité par moi. D’autres peuvent avoir la mémoire courte, oublier sa complicité de 8 ans avec un régime qui a fait souffrir les Ivoiriens, le canoniser subitement sous prétexte qu’il a demandé une concertation nationale avant la présidentielle et qualifié la candidature de Ouattara de non-nécessaire, pas moi.

Kouamé m’accuse d’être “coutumier de foucades contre le clergé catholique que [je] vilipende chaque fois que [j’]en [ai] l’occasion”. C’est une accusation que je ne trouve ni juste, ni objective car elle passe sous silence les félicitations que j’adressai à Mgr Marcellin Yao Kouadio après qu’il eut interpellé Bédié et Ouattara le 7 décembre 2013 dans la basilique de Yamoussoukro, à Mgr Touabli Youlo qui avait invité son clergé à ne pas prendre l’argent des politiciens en pleine campagne électorale, à la conférence épiscopale ivoirienne pour son message de vérité et de fermeté à la fin de sa 114ème assemblée plénière à Korhogo (13-19 janvier 2020).

Enfin, J.-B. Kouamé estime que Mgr Kutwã “a pris l’initiative du combat contre la dictacture rampante qui s’installe dans notre pays” et qu’il “a bien parlé et en temps opportun au moment où toutes les communautés religieuses se sont complu dans un silence coupable”. Les Ivoiriens apprécieront ces propos. Pour ma part, je ne parlerai pas de dictature qui s’installe mais de dictature qui s’est déjà installée et qui, depuis avril 2011, broie les Ivoiriens parce que des gens assoiffés d’argent et de postes comme Jean-Baptiste Kouamé ont choisi de travailler avec le dictateur contre leur patrie.

Je soutiens à 100 % le Kutwã que le RDR et le bouffon Adjoumani veulent faire taire parce que la liberté d’opinion et d’expression est inscrite dans notre Constitution ; je ne soutiens pas celui qui s’est acoquiné avec le dictateur pendant 8 ans.

Par Jean-Claude DJEREKE