Dans cette pièce de théâtre, des hommes et des femmes se réunissent pour parler mais ils ne parlent pas pour le plaisir de parler. Ils parlent pour régler une affaire importante. C’est la raison pour laquelle Ongom Mumpini appelle cette réunion “une palabre en action”. Qui parle et agit dans cette comédie en cinq actes ? De quelle affaire les personnages débattent-ils ? Quels problèmes l’auteur soulève-t-il ?
Juliette, l’héroïne qui a été formée à l’école occidentale, refuse d’épouser le paysan Ndi qui a déjà donné cent mille francs à ses parents, Atangana et Makrita. Elle opposera le même refus au fonctionnaire Mbia, le second prétendant, qui voulait débourser deux cents mille francs. L’homme qui fait battre son cœur et avec lequel elle aimerait vivre s’appelle Oko. C’est un lycéen que les parents de Juliette jugent pauvre. Kouma, un jeune cousin de Juliette, pense que les parents n’ont pas le droit de marier une fille sans son consentement. Tous deux, Kouma et Juliette, vont donc trouver un stratagème pour faire accepter le choix de Juliette par ses parents : Juliette devra voler l’argent versé en dot par les deux autres prétendants et le remettre à Oko.
Quelque temps plus tard, les parents constatent en effet la disparition de l’argent de Ndi et Mbia. Ils sont évidemment désemparés parce qu’il faut rembourser Ndi et Mbia éconduits par Juliette mais ils pensent qu’il est toujours possible de retrouver l’argent volé. Ils se souviennent alors que le sorcier Sanga-Titi peut les aider à trouver le voleur. Le sorcier parle de tout autre chose et ne parvient pas à découvrir qui a volé les trois cents mille francs. Le père ne réussit pas davantage à donner sa fille en mariage au commerçant Tchetgen qui ne dispose pas de la somme exigée. Finalement, c’est Oko, le fiancé de Juliette, qui épousera cette dernière. En effet, lorsque Oko arrive chez les parents de Juliette, ceux-ci ne le reconnaissent pas. Oko s’était habillé comme un homme important et riche. Les parents, à qui il verse la dot (les trois cents mille francs que Juliette avait volés), vont lui donner Juliette en mariage.
Certes, tout se termine bien pour Juliette et Oko mais force est de reconnaître que le couple n’est venu à bout de la résistance des parents de Juliette qu’en faisant usage de faux et de mensonge, ce qui pose un problème éthique quand on sait que le dramaturge écrit pour éduquer et édifier et pas uniquement pour faire rire. La pièce “Les espoirs perdus” d’Unimna Angrey échappe à cette critique car Amerang n’a pas besoin de ruser ou de mentir pour amener ses parents à accepter son mariage avec son fiancé Owong
Cela dit, Oyono Mbia doit être salué pour avoir enrichi la littérature africaine en dénonçant la chosification de la femme, en remettant en cause une tradition qui ne tient pas compte de l’avis de la femme et où certains parents se sont arrogé le droit de vendre leur fille comme une chèvre au plus offrant. Les parents et grands-parents de Juliette n’attendaient d’elle qu’une chose : qu’elle obéisse à la décision de la famille, même si cette décision devait avoir des conséquences négatives sur le reste de sa vie.
L’Afrique décrite par Guillaume Oyono Mbia est celle de la cupidité de certains parents, de l’escroquerie des charlatans et autres marabouts comme le sorcier Sanga-Titi, de la vantardise de certains fonctionnaires tels que le personnage Mbia. Ce dernier est le prototype des nouveaux chefs africains n’ayant pas d’autres soucis que de se constituer un cheptel féminin, de faire étalage d’une richesse sur laquelle pèsent de graves soupçons et d’exhiber leurs titres et diplômes comme l’atteste le passage suivant : “C’est moi Mbia, grand fonctionnaire de Sangmelima. Je travaille dans un grand bureau. Je suis au gouvernement depuis vingt-cinq ans et bien connu de Monsieur le ministre. Mes capacités exceptionnelles m’ont valu maintes décorations, maints honneurs” (Acte 2, Scène 1).
Dans cette pièce de théâtre, où l’humour et les proverbes bulu sont abondamment présents, on voit aussi une Afrique de la résignation à l’image de la vieille grand-mère Bella qui respecte scrupuleusement les coutumes et les traditions, quand bien même celles-ci sont injustes et défavorables au sexe dit faible. Bella trouve normal que la femme soit infériorisée par l’homme et qu’elle se soumette à lui.
J’ai eu le plaisir de lire la pièce “Trois prétendants… un mari” publiée en 1964 par les Éditions Clé (Yaoundé). C’était en 1981 au Moyen Séminaire de Yopougon-Kouté. En la relisant 39 ans plus tard, je me rends compte que les lignes ont peu bougé dans certains pays africains dans la mesure où la femme y est encore vendue comme une vulgaire marchandise alors que les ancêtres percevaient la dot, non comme un moyen d’enrichissement, mais comme un échange symbolique censé matérialiser la douleur de la “perte” d’une fille. Dans d’autres pays, la femme a maintenant la possibilité de choisir son mari, son avis est pris en compte, elle peut poursuivre ses études jusqu’au doctorat, exercer un métier hors de la maison, siéger au parlement, au gouvernement, etc. Bref, la cause de la femme a connu des avancées majeures ici ou là. Notre société se porte-t-elle mieux pour autant ? Avons-nous plus de mariages qu’autrefois ? Les sociétés, où la femme est soi-disant émancipée, enregistrent-elles moins de divorces ? La femme est-elle plus épanouie qu’hier ?
Né en 1939 à Mvoutessi (Cameroun), Guillaume Oyono Mbia enseigna au Collège évangélique de Libamba puis obtint une bourse pour poursuivre ses études en Angleterre. De retour au pays, il intégra la faculté des lettres de Yaoundé. Sa pièce radiophonique “Jusqu’à nouvel avis” décrocha le premier prix d’un concours organisé par la BBC. On lui doit aussi “Notre fille ne se mariera pas”, “Le train spécial de son Excellence” et les “Chroniques de Mvoutessi”.
Jean-Claude DJEREKE