M. le Président de la République,
C’est le citoyen ivoirien que je suis et le leader politique qui se conjuguent en moi ce jour pour vous adresser cette lettre ouverte parce que j’estime que la situation socio-politique de notre pays mérite que nous lui accordions une attention particulière en ces moments de grande inquiétude pour une partie considérable de nos concitoyens.
Ces inquiétudes sont de plusieurs ordres.
Sur le plan sécuritaire, les populations sont régulièrement alertées par des attaques à nos frontières de groupes terroristes. La recrudescence du grand banditisme et la circulation des armes légères continuent d’être une source de frayeur pour nos populations. Les grandes manifestations populaires dans la sous-région en ce qu’elles sont quelques fois la porte ouverte au désordre ne sont pas de nature à nous rassurer.
Sur le plan socio-économique, la crise du coronavirus a contraint plusieurs entreprises à fermer accentuant ainsi le chômage. Les jeunes entrepreneurs ivoiriens durement éprouvés sont en manque de repères tant les solutions semblent introuvables pour faire face à leur désarroi. Notre système de santé a été durement éprouvé et continue de l’être car la pandémie se généralise. Notre système éducatif déjà en souffrance n’a pas été épargné.
C’est cependant la situation politique qui donne le plus de sueurs froides au peuple. En sortant, en 2010, de la décennie de crise vécue par notre pays, les populations espéraient que nous trouvions les ressorts nécessaires pour asseoir une véritable stabilité et poser tous ensemble les jalons d’un Etat démocratique et solide économiquement. Malheureusement, les appels au dialogue n’ont pas été entendus et même quand nous nous engagions à discuter, le pouvoir entendait par des procédés peu recommandables faire plier l’opposition sans entendre ses critiques et observations. Ce déficit de dialogue a eu pour conséquence de contraindre certains de nos concitoyens à saisir des juridictions internationales pour faire entendre leur voix comme ce fut le cas de la controverse sur la Commission Électorale Indépendante (CEI) qui cristallise encore de nombreuses récriminations.
Il ne s’agit pas à travers cette lettre de vous rendre responsable de tous ces maux mais d’envisager ensemble un meilleur avenir pour notre nation.
M. le Président de la République,
Les problèmes énumérés ne sont pas exhaustifs, mais ayant choisi de m’adresser à vous à travers une lettre ouverte, je suis dans l’obligation de faire l’économie de certains d’entre eux. De surcroit, mon objectif d’accroître le sentiment de peur qui s’empare de nos concitoyens mais de montrer qu’il existe une alternative qui augure de meilleurs lendemains pour notre nation.
Il y a quelques semaines, la Côte d’Ivoire a perdu son premier ministre en exercice, feu Amadou Gon Coulibaly. À cette occasion nous avons pu voir toutes les familles politiques se déplacer à son domicile pour honorer sa mémoire et toutes les régions de notre pays faire le voyage jusqu’à Korhogo pour lui rendre hommage. C’est bien la preuve que nous pouvons nous retrouver quand l’occasion le nécessite. Comment comprendre en effet, que nous ne soyons donc pas en mesure de nous retrouver pour dialoguer lorsque notre pays vacille et qu’au fur et à mesure qu’approche la date de la présidentielle, les populations sont autant apeurées car craignant une autre crise.
Et pourtant, nous devons au peuple de Côte d’Ivoire un débat politique sain et respectueux. Nous devons faire la preuve que nous avons tiré les leçons des crises passées et que nous sommes disposés à ne ménager aucun effort pour nous éviter un autre affrontement qui serait catastrophique pour notre nation. L’heure n’est-elle pas venue pour que chacun de nous fasse preuve d’humilité et de patriotisme pour mettre les intérêts de la Côte d’Ivoire au-dessus de ceux de nos formations politiques respectives ?
M. le Président de la République,
Quels sont les intérêts de notre pays à l’heure actuelle ? Sont-ils dans la confrontation ou dans le dialogue ? Je pense, et les Ivoiriens seront d’accord avec moi que nous devons nous parler afin d’offrir à notre peuple des élections libres, démocratiques et transparentes qui déboucheront sur une paix solide et une cohésion sociale renforcée.
J’estime que le fait que certains des nôtres soient encore en exil, en prison ou empêchés de regagner leur pays est de nature à saper le débat électoral et éclipser les problèmes majeurs qui méritent pourtant que nous y consacrions toute notre énergie. Comme vous le savez M. le Président, toutes les fois que les ivoiriens ont accepté de se parler, des solutions ont pu être trouvées aux problèmes de l’heure.
Le forum de réconciliation nationale de 2001 organisé par le président Laurent Gbagbo a facilité votre retour en Côte d’Ivoire ainsi que celui du président Henri Konan Bédié. Les accords politiques de Lomé en 2002 ont mis fin à la confrontation armée entre la rébellion et les Forces de défense et de sécurité de Côte d’ivoire. Les accords de Ouagadougou ont consacré le retour dans la république de ceux qui avaient exprimé leur mécontentement par les armes. Les accords de Pretoria ont réglé le problème de votre candidature à la présidentielle de 2010. C’est la preuve que quand nous nous parlons, nous arrivons à faire des bonds qualitatifs sur le chemin de la paix.
Le dialogue que je propose n’est pas un cadeau fait à l’opposition. Loin s’en faut car toutes les familles politiques y compris la vôtre sont confrontées à des difficultés que seul un dialogue peut résoudre. Ceux qui réclament le dialogue et ceux qui l’acceptent ne sont pas faibles. Ils donnent simplement la preuve de leur patriotisme. C’est pourquoi je vous invite humblement à réunir en ces heures d’incertitudes les présidents Bédié et Gbagbo autour d’une table pour discuter de la Côte d’Ivoire que votre génération entend léguer à la nôtre. La présidentielle de 2020 et le respect de sa tenue à la date constitutionnelle sont certes importants mais rien ne vaut la vie de notre nation. Nous pouvons prendre le temps d’apaiser le front politique en trouvant des solutions idoines à tous les problèmes avant le scrutin.
Il n’y a que par le dialogue et donc par la politique qu’il est possible de lever tous les obstacles à la paix et même ceux qui sont d’ordre juridique ou judiciaire. Que nous coûtera-t-il de discuter encore une fois ?
M. le Président de la République,
Ne laissons pas les mauvais nuages se concentrer sur le ciel de notre pays. De par votre position aujourd’hui, vous avez les pouvoirs nécessaires pour tendre la main à tous sans exception et je puis vous assurer que vos opposants sauront saisir cette main tendue pour nous éviter une autre crise qui ne profiterait d’ailleurs à personne.
Comme vous le savez M. le président, le principe fondamental du dialogue est d’accepter de faire des concessions. Il faut très souvent renoncer à certaines de ses décisions pour obtenir un compromis acceptable par tous. Il y a des décisions que vous pourrez avoir du mal à faire passer tout seul mais qui pourraient recevoir l’assentiment de la population si elles sont le fruit d’un dialogue. D’ailleurs, autour d’une table de discussions, il n’y a ni gagnants ni perdants. Il n’y a que des personnes pour qui l’intérêt collectif est plus important que les intérêts individuels. Seul le peuple tire les bénéfices d’un dialogue ouvert et sincère.
Nous devons montrer au peuple ivoirien que sa classe politique est capable de se surpasser pour son bien-être. C’est le défi de l’heure et vous détenez entre vos mains les solutions adéquates.
Créez les conditions d’un véritable dialogue politique inclusif car quand les hommes se parlent, ils ne se battent pas et les Ivoiriens sont fatigués de se battre. Donnons une chance à la paix. Asseyons-nous et discutons !
Stéphane Kipré
Président de l’Union des Nouvelles Générations
Citoyen ivoirien en exil