Des commerçants de la casse d’Abobo et du marché bi-hebdomadaire de Yopougon-Kouté ont manifesté bruyamment, mardi 21 Avril 2020, contre les mesures prises par le Gouvernement ivoirien pour faire barrage à la propagation de la maladie à coronavirus. Les uns ont crié leur ras-le-bol d’attendre l’aide promise par le Premier ministre Amadou Gbon Coulibaly au secteur informel, quand les autres, bravant l’interdiction de vendre sur leur marché à friperie, se sont vus brutalement chassés de ce marché par une horde d’agents des forces de l’ordre.

Etaux de friperie cassés, et/ou confisqués, marchandises saisies, débandade généralisée jusque dans le fin fond du quartier-village de Kouté, dans la Commune de Yopougon, des commerçants molestés, des cris de panique de commerçantes par-ci, des injures de vendeurs par-là, tel est le décor imposé aux riverains, mardi, au marché de Kouté. Les forces de défense et de sécurité, mettant à exécution la menace de passer à la phase répressive des contrevenants aux mesures gouvernementales de lutter contre la propagation de la pandémie du covid-19 en Côte d’Ivoire, s’en sont, donc, violemment prises à ces gagne-petit.

Les mesures-barrières prises par le Gouvernement

Ces mesures, faut-il le rappeler, sont, entre autres, une distanciation d’au moins un mètre entre les personnes, le port obligatoire du masque, le lavage régulier des mains avec de l’eau et du savon ou l’application du gel hydro-alcoolique, une interdiction de commercer en-dehors des marchés de biens de consommations domestiques, la fermeture des restaurants, maquis et autres débits de boisson, le couvre-feu en vigueur depuis près d’un mois courant de 21 heures à 05 heures et le confinement systématique des personnes vulnérables et des grands malades. Même si elles ne sont pas scrupuleusement respectées par les populations, quelques-unes de ces mesures sont observées, surtout chez les commerçants de friperie de Yopougon-Kouté, et de pièces détachées automobiles de la casse d’Abobo, qui ont déserté leurs lieux de vente.

Privés de leurs activités, ces petits commerçants avaient cru bénéficier des 100 milliards de francs promis par le Gouvernement au secteur informel

Seulement, voilà : Ces mesures, pour le moins salutaires pour les populations, elles-mêmes, sont difficilement applicables par ces gagne-petit (tout comme les centaines de milliers de chômeurs et travailleurs saisonniers), ce d’autant plus que c’est le maigre bénéfice journalier de ces débrouillards qui fait bouillir la marmite à la maison au quotidien. Privés, donc, de leurs activités, ces petits commerçants, à la criée pour la plupart d’entre eux, avaient cru être aussi au nombre des bénéficiaires de l’aide que le Gouvernement a promis au secteur informel, avec un budget de 100 milliards de francs Cfa. Malheureusement, depuis l’annonce de cette décision, ces commerçants, non seulement n’ont encore rien vu, mais aussi et surtout, ne voient rien poindre à l’horizon. Aucun guichet ne leur est indiqué afin de passer à la caisse, pas plus qu’aucun vivre ne leur est destiné. Hors, la chaîne de télévision nationale, la RTI 1, diffuse à profusion des cérémonies de dons de vivres et de non vivres à chacun de ses journaux télévisés de 13 heures, 20 heures et 23 heures. Bien plus, elle diffuse les dons d’Entreprises, d’Organisations non gouvernementales et de généreux donateurs faits au Gouvernement en vue de les redistribuer aux populations dites nécessiteuses.

‘’Est-ce parce que nous ne sommes pas militants de ce parti politique que nous sommes laissés-pour-compte ?’’, crie son ras-le-bol K. S

Curieusement, et c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, selon des commerçants interrogés qui ont requis l’anonymat, bien que se voyant nécessiteux depuis la prise des mesures-barrières gouvernementales, c’est avec un pincement au cœur qu’ils voient des voisines et voisins de quartiers arrivés de rencontres politiques les bras chargés de vivres, de non vivres et même des numéraires. ‘’Est-ce parce que nous ne sommes pas militants de ce parti politique que nous sommes laissés-pour-compte ?’’, crie son ras-le-bol K. S., la soixantaine révolue, marié et père de 12 enfants, commerçant de friperie au marché de Kouté. Un autre, habitant de la Commune d’Abobo, plus amer, dénonce : ‘’Dans mon quartier, par deux fois, des camions chargés de vivres, de seaux à robinets et de gel sont arrivés et se sont garés à la place publique du quartier. Mais, curieusement, ils sont repartis au moment où la population s’attroupait pour recevoir ces dons qu’ils disent avoir été offerts par le Gouvernement. C’est quelle affaire, ça ?’’, peste-t-il.

Non seulement ils n’ont encore rien perçu, mais pire, personne ne vient leur indiquer les guichets où ils doivent se rendre pour se faire assister

A ‘la casse’’, site de plus de 40 hectares où sont vendues des pièces rechapées de véhicules de tout type et de toute catégorie, située à l’entrée de la Commune d’Abobo sur la voie expresse Abidjan-Anyama (une des 13 Communes du District Autonome d’Abidjan), le constat est le même. Et le confrère Radio France Internationale (RFI) en a fait un large écho mercredi 22 Avril dans son ‘’journal Afrique’’ du matin. Ici, les vendeurs se disent désabusés, et dénoncent le deux poids deux mesures du Gouvernement. Selon quelques-uns d’entre eux interrogés par le confrère, depuis que le Gouvernement a annoncé qu’ils devraient recevoir quelque chose pour compenser leur manque à gagner (leur pitance quotidienne, en fait), ils ne savent pas à quel Saint se vouer. Non seulement ils n’ont encore rien perçu, mais pire, personne ne vient leur indiquer les guichets où ils doivent se rendre pour se faire assister.Ce n’est pas encore la contestation ici, mais les vendeurs projettent d’emboîter le pas aux commerçants du marché de Yopougon-Kouté dans les tout prochains jours, si la situation reste en l’état.

Vont-ils tenir encore longtemps ? Rien n’est moins sûr

Les mouvements d’humeur des populations ne se limitent pas qu’à ces deux cas. A Yopougon par exemple, les commerçantes et commerçants de ‘’Siporex’’, de la ‘’place CP 1’’, du ‘’terminus 40’’, du ‘’carrefour Koweït’’, du ‘’carrefour Sapeur pompiers’’, du ‘’carrefour piscine ivoire’’, du ‘’Palais de Justice’’, du ‘’carrefour Mandjo’’ et de bien d’autres endroits, notamment à Port-Bouet 2, à la Gesco, ‘’carrefour zone’’, etc., se disent étouffés. Alors que l’essentiel de leurs revenus proviennent de leurs petites activités commerciales, ils sont obligés de ‘’se confiner’’ pour faire droit aux mesures gouvernementales. Qu’en est-il des serveuses de maquis et bars, des ‘’D J’’ et des techniciens de surface ? Hélas, ils broient du noir, eux aussi, bien pire que leurs employeurs ! Vont-ils tenir encore longtemps ? Rien n’est moins sûr.

Laurent Nahounou
laurentmadoun@gmail.com