A – Sur la forme :
Par Aly Pierre SOUMAREY

Le Premier Ministre n’est pas l’interprète de la Loi, ni le juge de l’élection, et encore moins le porte-parole de l’organe chargé de l’organisation de l’élection, à qui il revient de constater cette impossibilité matérielle et de saisir en conséquence le Conseil Constitutionnel aux fins d’y surseoir ou de prononcer son report dans un délai raisonnable, à défaut dans les délais légaux prévus en pareille situation. Cette compétence étant dévolue en exclusivité à d’autres institutions de la République qu’au Gouvernement, la déclaration du Premier Ministre doit être reçue comme un avis éclairé et bien informé, mais un avis tout de même. A ce titre, celui-ci est susceptible d’être contrarié, discuté, voire contredit, car cette compétence ne va pas de soi. Elle trouve à s’exercer, aux termes de l’Article 57 de la Constitution que dans le cadre d’un processus électoral déjà entamé, dans lequel les candidats ont déjà fait acte de candidature et ont été déclarés éligibles par le Conseil Constitutionnels (la récente révision ayant abrogé la liste de candidats).

B- Sur le fond

Le conflit qui pourrait surgir entre l’Article 55 Al 1 (avant l’élection) et l’Article 59 (après l’élection) est la traduction de l’absence de l’élection elle-même, alors qu’elle constitue la pièce centrale autour de laquelle est articulé tout le dispositif du chapitre II du Titre III de la Loi fondamentale relative à l’Institution du Président de la République. Celle-ci n’est codifiée qu’à l’intérieur du processus électoral et non en dehors et y est totalement subordonnée. C’est donc un débat juridique qui s’ouvre, alors que nous aurions pu régler la question de manière plus explicite à travers la récente révision. L’Article 58 Al 2 fixe une date constitutionnelle à l’entrée en fonction du nouveau Président élu, correspondant précisément à la cinquième année du mandat du Président de la République en fonction. Dès lors, celle-ci marque aussi, la date à laquelle expirent les pouvoirs de ce dernier.

En l’absence d’une élection et d’un Président élu à ces dates prédéterminées et fixes, donc non extensibles par nature, quel pourrait être le sort du Pouvoir ?

D’une part, le mécanisme Constitutionnel prévoyant le report de l’élection, ne prend en compte que deux cas limitatifs : le décès et l’empêchement absolu de l’un des candidats dont la qualité a été préalablement reconnue par le Conseil Constitutionnel, d’autre part, la Constitution ne prévoit pas en amont de l’élection ou en dehors de l’entame du processus électoral, le cas d’un empêchement dirimant relevant de circonstances exceptionnelles ou d’un cas de la force majeure, comme cause légale ou motif légal pouvant entrainer un report de l’élection, à travers un mécanisme distinct.

En l’absence d’une élection est-il possible de proroger les mandats des élus dans le cadre des anciennes mandatures institutionnelles ?

La législation applicable prévoit explicitement que les mandats des élus, dont celui du Président de la République arrivent à échéance à une date constitutionnelle fixée d’avance. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit du deuxième lundi du mois de décembre de la cinquième année du Président de la République en fonction, au terme de l’Article 58 Al 2. Aucun accord politique, le plus consensuel soit-il, même s’il exprimait une unanimité de la classe politique sur la question, ne peut permettre de contrevenir à cette disposition par l’installation d’un Gouvernement de transition, ou de proroger le mandat du Président de la République au-delà de cette date. Cette échéance est impérative par l’autorité de la Loi. Dès lors, la solution ne saurait être politique, mais juridique.

Le report de l’élection et consécutivement la prorogation du mandat du Président de la République n’est possible qu’au terme de la saisine du Conseil Constitutionnel. Or, les textes en vigueur prévoient d’une part, que la saisine du Conseil Constitutionnel intervient dans le cadre d’un processus électoral bien entamé. Dès lors, ce processus peut être suspendu jusqu’à nouvelle date, dont les délais sont fixés par la Constitution. Cette décision entraîne la prorogation automatique du mandat du Président élu en cours d’exercice jusqu’à l’organisation de l’élection ou de sa reprise et la proclamation des résultats du scrutin, ce qui doit être entendu, au-delà du deuxième lundi du mois de décembre de la cinquième année du Président de la République en fonction. D’autre part, les délais dans lesquels peuvent se tenir le report de l’élection ne saurait excéder trente jours à compter de la décision du Conseil Constitutionnel.

De même, en cas de contentieux préélectoral ou de désaccord sur les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales, ou encore en cas de contestation de la proclamation des résultats par la CEI devant le Conseil Constitutionnel, la saisine de celui-ci a pour effet de proroger les mandats en cours jusqu’à la proclamation des résultats définitifs, dès lors que la décision du Conseil Constitutionnel se substitue de plein droit à celle de la CEI, sauf primauté de la Loi externe sur la Loi interne par des dispositions particulières de droit international public en cette matière.

Conclusion :

Nous voyons bien que la Constitution n’a pas prévu la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’est donc un débat juridique qui s’ouvre, alors que nous aurions pu régler la question de manière plus explicite à travers la récente révision, en adoptant un principe de portée générale sur l’extension de la durée des mandats en cours, à la circonstance d’un report de l’élection .Il y a manifestement un vide juridique qu’il urge de combler. Aussi, j’invite pendant qu’il est encore temps, le Président de la République à convoquer à nouveau le Congrès, à effet d’édicter une norme de gestion du cas de force majeure. A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.

Sur un plan strictement juridique, le seul fait de l’absence de l’organisation de l’élection Présidentielle le 31 Octobre 2020, peut être caractérisé comme étant une entrave à la légalité Constitutionnelle, sauf en cas de report de celle-ci et par conséquent de prorogation du mandat du Président de la République en fonction, à la suite de la saisine Conseil Constitutionnel qui en aura décidé ainsi. Pour être constitué, le délit d’entrave doit réunir un élément matériel et un élément intentionnel. Le fait pour la CEI de ne pas organiser l’élection présidentielle à la date prévue par la Constitution constitue l’élément matériel de l’infraction. L’élément intentionnel peut se déduire du caractère volontaire de l’omission. Il appartiendra alors à la Juridiction Nationale ou Internationale qui sera saisie de déterminer si les difficultés découlant de la crise sanitaire du Covid-19 procèdent d’une volonté délibérée de ne pas organiser l’élection. Cet élément moral sera plus difficile à établir. Mais évitons des Procès et des interprétations. L’écriture de notre Constitution a trop longtemps été au cœur de nos conflits. Pour une fois, évitons que celle-ci ne le soit à nouveau. J’invite donc le Gouvernement à engager une procédure de consultation du Conseil Constitutionnel à ce sujet, pour lui prendre toutes les dispositions utiles en temps opportun, pour assurer la continuité de l’Etat dans la stabilité, la sécurité et la paix publique.

Aly Pierre SOUMAREY