On l’a appris par un communiqué laconique du palais de Koulouba, sur les hauteurs de Bamako : le président malien Ibrahim Boubacar Keita (IBK) a été opéré, mardi 12 avril, d’une « tumeur bénigne » à l’Hôpital militaire Bégin, à Saint-Mandé (Val-de-Marne), en région parisienne. Il effectue sa convalescence à Paris et n’a pas communiqué la date de son retour au Mali. Ancien dirigeant de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), le camarade IBK a donc rejoint la longue liste des chefs d’Etat africains qui délaissent les hôpitaux de leur pays pour venir se soigner en Occident.
Avant le président malien, son homologue ivoirien Alassane Ouattara s’était fait opérer en février 2014 à l’Hôpital américain de Neuilly, à l’instar du Gabonais Ali Bongo Ondimba qui avait choisi, quelques années plus tôt, la clinique chic de l’Ouest parisien pour y subir une intervention chirurgicale. Le Camerounais Paul Biya, lui, se soigne à Genève où il réside une partie de l’année. Son dossier médical est aux mains de médecins suisses, alors qu’il est protégé comme un secret d’Etat au Cameroun. Son épouse, Chantal, préfère les hôpitaux parisiens où elle a passé plusieurs mois ces dernières années.
A ce jeu-là, même les chefs d’Etat maghrébins se sont fait prendre. L’Algérien Abdelaziz Bouteflika a longuement séjourné en 2013 à l’Hôpital militaire du Val-de-Grâce, puis à l’Hôtel national des Invalides pour sa rééducation. Le président algérien était d’ailleurs revenu en décembre 2015 à la Clinique d’Alembert, à Grenoble, pour effectuer un contrôle médical.
Mais le plus surprenant de cette liste non exhaustive, c’est le roi Mohamed VI qui est venu en France en 2013 pour y subir une opération chirurgicale alors que son pays reste une destination sanitaire privilégiée pour de nombreux chefs d’Etat d’Afrique subsaharienne.
Disons le sans ambages : délaisser les institutions sanitaires de son pays pour se soigner à l’étranger est, au bas mot, une faute pour un chef d’Etat. C’est la preuve irréfutable qu’il n’a pas réussi à bâtir sur place un système de santé digne de sa confiance.
Si, dès qu’ils sont malades, même légèrement, les présidents africains sautent dans l’avion pour Paris, Londres, Lisbonne ou Madrid afin d’y recevoir des soins, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas favorisé chez eux le développement de l’expertise médicale nationale. Ce n’est pas une blague : il existe aujourd’hui des pays africains qui n’ont aucun spécialiste du cancer ; d’autres qui n’ont que trois ou quatre cardiologues ; d’autres encore où les quelques gynécologues n’exercent que dans la capitale.
Ces chefs d’Etat, qui ne se gênent pas pour aller se soigner à l’étranger, n’ont pas non plus érigé l’acquisition du matériel médical en priorité de leurs actions. En 2016, il est encore impossible, faute d’appareils, de pratiquer une IRM dans certains Etats d’Afrique subsaharienne. Dans d’autres, il existe un seul appareil qui tombe régulièrement en panne, pour cause de surchauffe ou de défaut de maintenance.
L’ALLER-RETOUR D’UN AVION MÉDICALISÉ POUR ACHEMINER À PARIS UN MINISTRE AFRICAIN MALADE COÛTE 120 000 EUROS, SOIT UNE VINGTAINE DE BOURSES D’ÉTUDES EN MÉDECINE À DAKAR.
Pour un chef d’Etat, se soigner à l’étranger est également une énorme injustice envers le reste de la nation. En effet, pendant que leurs compatriotes sont condamnés à se rendre dans des structures de santé devenues des mouroirs, les présidents africains eux prélèvent sans vergogne sur les deniers publics pour venir en Occident recevoir des soins. Et c’est souvent une affaire de gros sous : la facture d’hospitalisation d’un dirigeant sahélien à l’Hôpital américain de Neuilly a grimpé jusqu’à 300 000 euros, soit le budget de fonctionnement annuel de l’Hôpital de Birao, en Centrafrique.
De même, l’aller-retour d’un avion médicalisé pour acheminer à Paris un ministre ouest-africain malade coûte 120 000 euros, l’équivalent d’une vingtaine de bourses d’études en médecine à Dakar.
La faute politique et l’injustice expliquent ensemble la colère d’une partie de l’opinion malienne lorsqu’elle a appris qu’IBK était venu se faire opérer à Paris.
Derrière le slogan « Tous au Val-de-Grâce », ces Maliens-là ont rappelé que leur président avait acheté en 2014 un nouvel avion pour près de 30 millions euros. Selon eux, cette somme aurait largement suffi à construire à Bamako un hôpital de référence dans lequel IBK aurait disposé d’une chambre réservée à l’année.
Triste record mondial
Pour avoir fait le choix de négliger les structures sanitaires de leur pays, convaincus qu’ils pourront toujours être évacués vers les capitales occidentales, les dirigeants africains ont mis le continent au sommet du palmarès mondial des présidents décédés à l’étranger.
Ici, on n’en citera que les plus récents : le Zambien Michael Sata, décédé en 2014 à Londres, l’Ethiopien Melès Zenawi, mort en 2012 à Bruxelles, le Bissau-Guinéen Mallam Bacai Sanha qui s’est éteint la même année à Paris tout comme le Zambien Levy Mwanassa mort en 2008 à Paris.
Le Nigérian Umaru Yar’Adua, se sentant condamné, est quant à lui rentré d’Arabie saoudite en 2010, juste à temps pour mourir parmi les siens.
De toute cette liste, les deux cas les plus scandaleux sont ceux du Gabonais Omar Bongo Ondimba et du Togolais Eyadema Gnassingbé. Le premier est mort en 2009 à Barcelone, en Espagne, après avoir dirigé son pays pendant quarante-deux ans sans avoir eu à cœur de bâtir un centre sanitaire dans lequel il rendrait son dernier souffle.
Le second est mort en 2005 dans l’avion qui le transportait de Lomé vers une capitale occidentale après trente-huit ans d’un règne au cours duquel il avait eu les moyens suffisants de doter le Togo d’un centre hospitalier qui lui aurait permis de recevoir les premiers soins avant son évacuation. Cela lui aurait peut-être sauvé la vie !
Plus de dix ans plus tard, les chefs d’Etat africains ne semblent pas avoir tiré les enseignements de l’erreur fatale d’Eyadema Gnassingbé. Hélas, ils continueront donc de mourir hors des frontières nationales.
Par Seidik Abba,
Journaliste et écrivain, auteur de “Le Niger face au sida : atouts et faiblesses de la stratégie nationale contre la pandémie”, (L’Harmattan, 2012).