La période sabbatique est arrivée. De façon inattendue, c’est vrai. Mais c’est arrivé. Il est temps de se retirer, ou plutôt de se retirer dans notre fragilité, souvent ignorée par la vie contemporaine. Recueillir notre peur, responsable du maintien de la vie, mais aussi responsable de nos neurones et paranoïas. Pour certains, il est juste temps de ramasser les produits dans les rayons des supermarchés le plus rapidement possible, comme si cela suffisait à parer au danger. Encore une fois, c’est parti. Certes, la consommation est un moyen de repousser la finitude. Bien sûr, nous devons être prudents, mais ce que nous avons vu était autre chose. La protection est pour tout le monde, des messages de courage sur WhatsApp aussi, mais le gel d’alcool est pour peu ! Qui peut, prend plus. C’est la loi de la jungle, qui est plus explicite en ce moment.
Je pense que ces moments dénoncent la matière fragile dont nous sommes faits. Mais ne vous y trompez pas, ces moments sont essentiels à la prise de conscience. Après tout, notre pensée fonctionne par contrastes. C’est face à la maladie que nous pensons à la santé, c’est face à une tristesse écrasante que nous pensons au bonheur, c’est face au chaos que nous désirons le cosmos et, finalement, c’est au vu de notre mortalité que nous pouvons penser au sens de la vie. Vivrons-nous dans une société sans emploi ? Comment est la sécurité sociale ? Pensons-nous au bien commun ? Est-il possible de s’organiser pour que, en cette période d’incertitude, nous puissions penser à l’autre ? Non seulement par rapport à la transmission du virus redouté, mais aussi par rapport à ce que nous allons stocker sans même en avoir besoin ? Je ne doute pas que la solution à la plupart de ces problèmes passe par une action éthique. L’inégalité existe parce que nous ne croyons pas à la valeur éthique de la solidarité, la violence croît parce que nous ne croyons pas à la valeur éthique de la vie, la paix n’est pas fructueuse parce que nous ne croyons pas à la valeur éthique de la justice.
C’est pourquoi ces moments nous font penser à nos valeurs. Et c’est peut-être une partie de notre « stock » qui n’est pas disponible sur les étagères. Les moments d’incertitude nous rappellent ces problèmes. Il est maintenant temps de penser à ce qui nous unit et non à ce qui nous sépare. Autrement dit, réfléchissons aux valeurs socialement construites, au pacte civilisateur que nous avons signé les uns avec les autres et qui garantit notre humanité. Dans le football, nous appelons cela le fair-play. Il est temps d’arrêter le jeu pour que les plus vulnérables soient pris en charge. Il est temps de penser à ceux qui sont les plus fragiles.
Le geste de chacun fait une grande différence dans la construction du bien commun. C’est le moment ! Le jeu est en pause, mais pas la vie. Exerçons notre vertu qui, selon le philosophe Michel de Montaigne, se renforce dans l’adversité, suppose des difficultés et ne peut exister sans combat. C’est-à-dire que la vertu refuse la compagnie de la facilité. Après tout, il est très facile d’être éthique quand tout se passe bien, le plus difficile est de le faire au quotidien, surtout dans les moments les plus difficiles. L’éthique suppose le risque, la mobilisation face à l’incertitude de notre condition. Il s’agit de prioriser le service au joueur qui tombe inconscient au sol, lançant le ballon avant le but sans gardien de but, perdant même d’un à zéro en finale. C’est du fair-play, c’est la vertu qui nous rend humains.
Par Samuel BEUGRE