Ce 11 avril 2011, j’habitais à Faya, non loin d’un camp militaire qui sera bombardé l’après-midi par Licorne. De ma position, je pouvais facilement voir les hélicos de l’ONUCI transporter les rebelles et mercenaires de Ouattara, puis les déposer sur des immeubles. Cette scène me choqua car je croyais que les Nations unies étaient neutres dans le conflit. Ce jour-là, je pris mieux conscience de la pertinence de la déclaration de Frantz Fanon : “L’ONU n’a jamais réglé de conflit dans le monde. Quand elle vient dans un pays, c’est pour appuyer ou aider l’ancienne puissance colonisatrice.”
Je vis l’ONU et Licorne pilonner ensuite la résidence présidentielle.
Il était impossible de trouver de la nourriture sur place. On était obligés de se rendre à Bingerville pour s’approvisionner en pain ou en attiéké, produits dont le prix avait été multiplié par 3. De plus, chacun devait se mettre en rang avant d’être servi.
Comme on nous avait coupé l’électricité depuis 3 jours et que je ne pouvais ni écouter la musique ni regarder la télé, j’allai chez un ami et collègue du département des langues ibériques. Il habitait avec sa femme brésilienne à la Riviera Palmeraie. De leur maison, j’entendis soudain le bruit des bombes larguées sur la résidence présidentielle. Quelle horreur ! La France était en train de massacrer des hommes et femmes dont l’unique tort était leur volonté de prendre leur destin en main.
Je pensais que le Pape Benoît XVI, son ambassadeur à Abidjan, la conférence épiscopale, les prêtres et religieux dénonceraient cette agression barbare de notre pays par la France qui n’avait pas à se mêler d’un contentieux électoral opposant deux partis politiques de Côte d’Ivoire mais il n’en fut rien. On eût dit que tout ce monde habituellement à l’aise pour parler de justice et de vérité dans les homélies avait subitement peur de défendre ces valeurs devant la France. Seul le cardinal Agré eut une timide réaction en rappelant que les décisions du conseil constitutionnel étaient sans appel. Je me dis à ce moment-là que même l’Église catholique nous avait abandonnés. Pour moi, il était inimaginable que l’Église fasse preuve de lâcheté et de complicité à ce point. J’étais d’autant plus scandalisé par le silence du pape que celui-ci avait violemment critiqué, quelques mois plus tôt, l’expulsion des Roms bulgares, hongrois et roumains par Sarkozy.
Et pourtant, cette violence avec son lot de tueries pouvait être évitée. Il suffisait, pour cela, que la France et Ouattara acceptent le recomptage des voix proposé par le candidat Laurent Gbagbo et expérimenté aux États-Unis quand Bush fils et Al Gore se disputaient la victoire de la présidentielle de 2000.
Voilà le douloureux souvenir que je garde du 11 avril 2011. Mais je garde aussi l’espoir que nous finirons par briser le joug de la Françafrique car la liberté et la justice, on peut les retarder mais personne ne peut les empêcher.
Jean-Claude DJEREKE