Gnangadjomon KONE,
Docteur en SOCIOLOGIE,
Université Alassane OUATTARA (Bouaké)
Député de DIANRA.

LES FAITS:

Dans la nuit du dimanche au lundi 6 Avril 2020, les réseaux sociaux ont intensément relayé des actes d’un incivisme inédit commis au “stade de la BAE” situé dans le quartier dortoir et très populaire de la commune de Yopougon: des jeunes surexcités, bravant à peine le couvre-feu, saccagent les chapiteaux dressés pour accueillir de potentiels malades du Covid-19.

OBJET DE LA CONTRIBUTION:

Les actes de vandalisme susmentionnés ont déjà été suffisamment qualifiés notamment par des internautes de camps politiques interposés. S’appuyant sur des propos justificatifs de ces pratiques de violence, la présente contribution explique en quoi elles (les pratiques de violence) constituent des analyseurs pertinents d’un malaise social et politique dont les réponses permettront à la Côte d’Ivoire de se réinventer face à la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19.

LOGIQUES INVOQUEES D’UNE REVOLTE

“En plein quartier populaire? Non, non, ce n’est pas normal. Yopougon même n’a pas assez de cas de Covid-19. Il serait mieux d’en faire (des chapiteaux?) à Cocody”; “Mais pourquoi chez nous ici à Yopougon? On veut nous tuer”. Tels sont, entre autres, quelques mobiles invoqués par les manifestants du stade de la BAE.
Que nous révèlent ces rationalités sur la dynamique actuelle de la société ivoirienne?

UNE REVOLTE DES PAUVRES CONTRE L’ÉLITE?

Dans l’immédiat, on peut appréhender cette révolte comme un stratagème de survie fondé sur la peur que suscite la pandémie du Covid-19 au regard notamment de son caractère contagieux. Les images provenant de l’Espagne, de l’Italie et d’autres pays sévèrement affectés par la maladie pourraient avoir contribué à cette construction sociale de la peur. Par ailleurs, l’effet de l’intense travail de médiatisation effectué par des activistes des réseaux sociaux n’est pas à sous-estimer. En effet, depuis le début de la crise, des acteurs clés du gouvernement ont été critiqués pour leur manque de transparence supposée dans la gestion de la crise du Coronavirus. Il leur a été notamment reproché une complaisance perceptible, dit-on, par des passe-droits accordés à des familles venant de l’Europe qui auraient injecté le virus à Abidjan. La nouvelle du confinement de membres du gouvernement hors d’Abidjan distillée, à tort ou à raison, dans les médias sociaux avaient achevé d’exacerber cette fabrique de la peur et du ressentiment contre l’élite politique. La fronde ici en question pourrait laconiquement se formuler comme suit: “vous allez vous réfugier à Assinie et vous voulez venir déverser les malades à nos portes”.

LA PEUR DE PRO-GBAGBO DE MOURIR DU COVID-19?

Au-delà de son apparente spontanéité, la colère d’une frange de la jeunesse de Yopougon peut se prêter à une lecture historico politique. En effet, aussi anodin qu’il puisse paraître, l’argument victimaire qui soutient le questionnement “… pourquoi chez nous à Yopougon? On veut nous tuer” traduit une réalité politique ivoirienne historiquement située. De quoi s’agit-il? Depuis l’avènement du multipartisme, la ville d’Abidjan est au centre de luttes politiques fratricide alimentées par la logique “à chacun son bastion”. Une vraie guerre de positionnement qui oppose différentes formations politiques. Il est de notoriété que dans cette bataille de contrôle territorial, Yopougon reste le bastion du FPI de Laurent Gbagbo comme Abobo l’est pour le RDR d’Alassane Ouattara. De ce point de vue, on peut hypothétiser que la décision gouvernementale de construire un camp d’accueil des malades du Coronavirus à Yopougon est perçue comme une manœuvre politique de “nous tuer”. Le “nous” ramenant ici à l’ensemble sociologique plus vaste de ceux communément appelés les militants pro-Gbgbo désormais connus sous le générique GOR (Gbagbo Ou Rien). Selon cette logique, le site d’accueil du stade de la BAE perd sa vocation d’installation de proximité pour devenir un “lieu de contamination massive d’électeurs pro-Gbagbo hostiles au régime Ouattara”.

UN BESOIN DE RECONCILIATION NATIONALE?

La fronde du stade de la BAE semble enfin déceler les limites d’un modèle de gouvernance de la crise sanitaire essentiellement basé sur les membres du gouvernement. Si ailleurs l’avènement du Coronavirus s’est conjugué avec une sorte d’union sacrée des “forces vives de la nation” qui s’est traduite, entre autres, par la libération de prisonniers, de nombreux Ivoiriens continuent de réclamer de tels actes. Pourtant, dans un pays comme la Côte d’Ivoire qui continue de souffrir de l’héritage d’une longue guerre civile, la gestion de la crise structurelle imposée par la pandémie du Covid-19 paraît davantage complexe.

CONCLUSION/SUGGESTIONS

En guise de suggestions, qu’il nous soit permis d’attirer l’attention de l’élite politique sur la nécessité d’un dialogue plus accru des diversités politiques, intellectuelles et culturelles si l’on veut se donner les moyens de gérer au mieux la crise du Coronavirus. On peut le dire, si la victoire de la Côte d’Ivoire contre la pandémie du Covid-19 passe par le civisme et la discipline des populations, il n’en demeure pas moins que ces valeurs recherchées par le bas dépendent elles-mêmes du renforcement du dialogue au sein de la classe politique. Vivement que la société politique ivoirienne trouve des réponses consensuelles autour des grandes problématiques qui l’opposent à savoir:
– La question des prisonniers notamment politiques,
– La mobilisation des ressources de l’Etat et leur mode d’allocation aux populations en période de crise sanitaire,
– Les modalités d’organisation des élections etc.