Par Dorian Job, Responsable de programmes pour l’Afrique de l’Ouest, basé à Dakar

GENEVA, Suisse, 27 mars 2020/ — Aujourd’hui, sur 54 pays africains, 43 sont touchés par l’épidémie. En Afrique de l’Ouest et centrale, la Sierra Leone est aujourd’hui le dernier pays à ne pas enregistrer de cas (en date du 26 mars 2020). Le Burkina Faso, le Sénégal, le Cameroun, qui comptent les plus grands nombres de cas, ont déjà franchi le stade de transmission locale et sont différemment préparés à répondre. Le Dr Dorian Job, Responsable des programmes Afrique de l’Ouest pour MSF, à Dakar, fait le point sur la situation et les priorités à ce stade.

Face à la rapide propagation de l’épidémie de coronavirus au cours de ces dernières semaines, on a vu fleurir la question du niveau de préparation des pays africains dans les titres de la presse internationale. Mais on peut se demander, à dire vrai, quel pays était vraiment préparé ? Regardons aujourd’hui la situation en Europe, notamment dans des pays comme l’Italie, la France ou l’Espagne, finalement qui de nous étions prêts à faire face à une telle bombe à retardement ?

D’aucuns se demandent également si l’épidémie d’Ebola qui a sévit en Afrique de l’ouest entre 2014 et 2016 a favorisé une meilleure préparation dans les pays. Il semble qu’elle ait au moins permis le développement de certains réflexes de surveillance et de coordination. Seul le temps nous dira quelle a été leur efficacité. En attendant, il nous reste à nous préparer pour la prochaine phase, celle où  les chaines de contamination ne sont plus contrôlées et où nous aurions beaucoup plus de cas à prendre en charge.

Aujourd’hui, la plupart des pays ont d’ores et déjà pris des mesures pour enrayer la propagation de l’épidémie telle que la fermeture des frontières aériennes, l’interdiction des rassemblements, ou encore  fermeture des écoles) – sans aller pour l’instant jusqu’au confinement.

Ces mesures, si elles permettent de ralentir la propagation du virus, auront toutefois un impact sur l’économie des pays et sur des populations qui vivent souvent au jour le jour, ou encore sur des populations particulièrement vulnérables dans des contextes de crises humanitaires.

Au Burkina Faso, par exemple, il va être très compliqué pour l’ensemble des acteurs d’accélérer la réponse humanitaire à laquelle nous appelons tous face à l’insécurité et aux déplacements des populations qu’elle entraine. Plus personne aujourd’hui n’est en capacité de faire venir de nouvelles équipes d’intervention et le système d’approvisionnement en intrants médicaux va être perturbé pendant des semaines, voire des mois. Or non seulement, il est impératif aujourd’hui de renforcer la réponse à la crise humanitaire, mais il va falloir désormais prêter davantage attention aux mesures d’hygiène et de prévention des infections, afin d’éviter toute propagation du virus, dans un pays où l’accès à l’eau est largement insuffisant dans les zones sous tensions.

Chaque pays devra donc certainement bientôt adapter ces mesures, pour trouver le juste équilibre entre le nécessaire ralentissement de la propagation du virus et les impacts économiques et sociaux qui risquent de les accompagner.

Certaines constantes doivent néanmoins persister, indépendamment du contexte.

Car, ce qui fera la différence pour ralentir l’épidémie, c’est d’abord un changement d’attitude individuelle : le respect de cette distance physique de 1,5 mètres dont on nous parle et l’application des mesures d’hygiène individuelle de base.

Un autre élément clé face au risque épidémique sera notre capacité d’identifier, de surveiller et de prendre en charge les personnes les plus à risques, particulièrement dans les communautés. Le coronavirus est en effet une maladie respiratoire qui se manifeste sous des formes légères ou modérées pour la grande majorité des patients, mais elle entraine des complications assez graves pour les personnes les plus vulnérables, notamment les personnes âgées et les personnes avec des comorbidités. On connait toutefois mal sa capacité de transmission dans les zones tropicales ou encore les conséquences de la co-infection avec d’autres maladies de type chronique comme le diabète ou l’hypertension, ou encore avec des maladies plus saisonnières, comme le paludisme ou la malnutrition.

Nous devrons aussi, sans doute, trouver une alternative au dépistage, car les capacités de tests et de diagnostics ne sont pour le moment pas suffisantes. Il faudra mettre en place des mécanismes de détection sur base des symptômes et développer les systèmes de suivi épidémiologiques et de référence des cas les plus critiques au plus proche des communautés.

Un autre danger guette en outre les pays dont les énergies et les acteurs de santé publique sont en train de se tourner quasi entièrement vers la gestion de la pandémie : tout un pan du système de santé risque d’être oublié et une partie de la population laissée sur le carreau. Le paludisme, par exemple, ou encore la rougeole pour laquelle des foyers épidémiques sont récemment apparus au Burkina Faso ou au Niger, restent des maladies à forte mortalité dans ces pays et il sera nécessaire de pouvoir dérouler des activités préventives ou des campagnes de vaccination, avec un risque de pouvoir déployer moins de moyens.

Nous devons donc clairement tirer les leçons de précédentes épidémies, et notamment de l’expérience Ebola dans la région.

Pour les choses à retenir en priorité : assurer la sécurité du personnel de santé; maintenir la confiance dans la réponse et les acteurs qui la mettent en œuvre, car elle est essentielle pour éviter toute panique et assurer la diffusion des bonnes informations ; ne pas négliger les autres patients.

Mais dans le même temps, nous devrons éviter d’« ébolaniser » cette épidémie : c’est à dire mettre en place par exemple des mesures de protection type Ebola (telles que les combinaisons) pour un virus qui n’est pas contagieux par le contact de peau à peau. Et au contraire, privilégier des structures de prise en charge décentralisées pour les cas simples à gérer – notamment pour nous éviter que les centres de traitements identifiés soient dépassés avec la prise en charge des cas simples (80%) ne nécessitant pas une hospitalisation. L’expérience du SRAS a aussi montré que des structures bien ventilées avec la lumière naturelle offrent des conditions de contrôle des infections bien supérieures à ceux des structures sophistiquées à circuit d’air fermé.

En bref, nous allons devoir capitaliser sur les acquis du passé et innover, mais je ne serais pas surpris que de nouvelles solutions de réponse à cette épidémie de coronavirus viennent du continent africain. Les pays africains ont en effet plus d’expérience en matière de gestion des urgences sanitaires et les réflexes de santé publique y sont plus développés qu’en Europe : on va plus vite et plus facilement vers la simplification des protocoles et standards médicaux, ce qui pourrait permettre une réponse plus rapide dans une situation comme celle-ci.

SOURCE
Médecins sans frontières (MSF)