Au Parlement ivoirien tout est possible

Dans cette affaire, plus politique que judiciaire, il convient de reprendre le tout depuis sa genèse pour se forger une opinion sur le processus procédural ayant permis d’aboutir à la levée de l’immunité d’inviolabilité des députés qui y sont impliqués, à partir des différentes étapes .
1 – Bref rappel des règles et du contexte procédural
La flagrance
Il faut rappeler que l’Enquête de flagrance pour les crimes et les délits punis d’emprisonnement, donne à la police judiciaire, en raison de l’actualité de l’infraction, des pouvoirs plus étendus que ceux d’une enquête préliminaire ordinaire, plus coercitives et plus intrusives, afin de rechercher tous renseignements et indices utiles permettant la découverte de la vérité. Une arrestation dans ce cadre n’est pas encore une détention et il n’y a aucun acte de poursuite d’accompli.
La poursuite ne commence véritablement que quand l’affaire est confiée à un juge pénal (Juge d’instruction). Avant ce stade il n’y a pas poursuite au sens juridique du terme. L’acte initial de la procédure est l’acte par lequel le ministère public saisit le juge d’instruction (ouverture d’une information judiciaire) ou procède lui-même à une citation directe devant un Tribunal.
L’inviolabilité ne peut être valablement invoquée en cas de crime ou de délit flagrant, car les règles qui la régissent sont d’ordre public. Une interruption précoce des investigations sous le régime de la flagrance fait obstacle à la réalisation ultérieure d’actes d’enquête relatifs aux mêmes faits. Dès lors, l’enquête de flagrance menée sous le contrôle du Procureur de la République peut se poursuivre pendant une durée de huit jours sans discontinuer. Ceci ne comporte aucune violation de la Loi, comme on a voulu le faire croire à tort.
Article 92 de la Constitution
A) Demeurent hors du champ de l’obligation d’obtenir l’autorisation préalable de l’Assemblée Nationale, les mesures consécutives à un crime ou d’un délit de flagrance ou de poursuites autorisées ou encore d’une condamnation définitive. Au cas d’espèce, nous avons affaire à une infraction continue qui participe du domaine d’extension de la flagrance. Ici, intervient la première polémique relativement au caractère de flagrance. Or, du point de vue de la doctrine, les conditions dans lesquelles un constat de flagrance peut être évoqué exige d’avoir « relevé des indices apparents d’un comportement délictueux, révélant l’existence d’infractions répondant à la définition que lui donne le Code de procédure pénale » En résumé les indices dont le Parquet dispose doivent constituer des éléments objectifs permettant d’affirmer qu’une infraction est en train de se commettre. Or, le caractère continu de l’infraction s’articulant sur plusieurs modes d’action inscrite dans la durée permet d’envisager cette possibilité dans le cas qui nous occupe. Reste la question de savoir quelles sont les poursuites autorisées visées par la Constitution.
B) La Constitution en distinguant deux périodes dans l’action judiciaire, attribue aussi des compétences distinctives aux organes de l’A.N. . Ainsi, hors session seul le Bureau de la chambre saisie est compétent, et durant les sessions, seule la chambre à laquelle appartient le parlementaire mis en examen est compétente. Cette dernière disposition impose une plénière pour la validité de la décision à prendre pendant les sessions. Elle n’est plus nécessaire hors session. Ce point a suscité une seconde polémique portant sur la compétence du BAN à prendre tout seul la décision de la levée de l’immunité des députés concernés par les mesures privatives de liberté prises à leur encontre, suite à cette affaire délictuelle réputée de flagrance. Cette même compétence est récusée par l’opposition au motif que la procédure d’installation de ce Bureau n’est pas conforme au RI et surtout qu’elle n’a pas fait l’objet d’une mesure de publicité, pour mettre en œuvre l’opposabilité aux tiers et acter par une information légale son existence.
2 – Procédure de saisine de l’Assemblée Nationale et critères d’appréciation de compétence.
C) – Le PAN s’est déclaré en fin de session être saisi et demeuré saisi, d’une demande émanant du Parquet aux fins d’une levée d’immunité des députés concernés. Celle-ci soulève à la fois, la question de sa nécessité dans le cadre d’une flagrance, de la date de la démarche pour déterminer la compétence de l’organe chargé de son examen, et enfin des délais dont dispose l’AN pour traiter cette requête. En saisissant le PAN après arrestation et incarcération des députés concernés, et non préalablement à ceux-ci conformément aux termes de la Constitution, alors qu’il bénéficie d’une dispense résultant du même texte, le Parquet ne traduit-il pas ainsi un certain embarras et des hésitations quant à l’adéquation du choix de ses initiatives procédurales ?
D) – Il appert à la chronologie des faits que le PAN a été effectivement saisi les tous derniers jours de la session, sinon le dernier jour. Avait-il l’obligation de saisir avant la fin de la session la chambre de cette requête ? De quels délais dispose-t-il pour répercuter cette demande auprès des organes compétents pour son examen ? La date de réception de la requête constitue-t-elle le fait générateur qui détermine le champ d’application des dispositions constitutionnelles au regard de la période. Cette démarche est désormais un acte d’instruction auquel nous ne pouvons pas avoir accès pour vérifier avec exactitude la date. En revanche, quelle qu’elle soit, les délais nécessaires à son traitement ne permettaient pas d’y donner une suite pendant la session. Dès lors, les structures déléguées créées à cet effet au sein du Bureau et de la Chambre pour préparer une telle décision, ne pouvaient que fonctionner Hors Session. Dès lors aussi, seul le BAN devenait compétent pour son examen et pour y apporter une réponse. Le déclarer incompétent à ce stade ne repose sur aucun fondement sérieux et son existence légale est une situation de fait, qui ne souffre d’aucune contestation, même de la part de l’opposition qui la reconnaît de fait, en participant aux travaux qu’il dirige.
E) – Contre toute attente, le BAN va se prononcer en faveur de la levée de l’immunité sur la base de la requête formulée par un groupe parlementaire, LE RHDP. A quel moment (pendant la session ou hors session) ? Ce groupe avait-il qualité et compétence pour le faire ? La Constitution stipule au visa de l’Art. 92 Al.2 « La détention ou la poursuite d’un membre du Parlement est suspendue si la chambre dont il est membre le requiert. ». Or, les groupes parlementaires de l’opposition, conformément au RI Art 46 Al 1, ont également saisi le PAN d’une requête contraire durant la session, demandant la suspension des poursuites déjà engagées. Aucune suite n’y a été donnée pendant la session qui tirait à sa fin. Comme il n’a été constitué aucune Commission Spéciale pour l’examen de ce dossier très épineux. Il faut rappeler que les arrestations ont eu lieu le 23 Décembre 2019 et que la session ordinaire a pris fin, conformément à la Constitution, « le dernier jour ouvrable du mois de décembre ». Soit une semaine entre le début de cette affaire et la saisine de l’AN, correspondant aussi aux délais du régime des enquêtes spéciales de flagrance.
Dès lors, comment justifier qu’il soit fait droit à la demande de l’un et pas à celle de l’autre qui lui est contraire ? Pour écarter le moyen de nullité proposé par l’opposition fondé sur l’irrégularité de la demande, au motif que celle-ci n’est prévue ni par la Constitution, ni par le RI, le BAN peut se prévaloir par analogie, du pouvoir dévolue à l’AN en matière de demande, sans qu’il ne soit précisé que l’initiative doit venir des groupes parlementaires. Cependant, il est assez remarquable que la qualité du tiers saisissant est limitée à celle du Parquet, ce qui lui confère une compétence exclusive pour la demande de la levée d’immunité au terme du RI en son Article 47.
F) – Lorsque la requête est formulée à une date proche de la fin de la session, comme c’est le cas d’espèce, on pourrait considérer à première vue que la demande manque de sérieux, puisque l’autorisation n’est pas nécessaire pour engager des poursuites hors session, sauf cas d’arrestation au sens large du terme (garde à vue et placement en détention préventive). Ce qui s’avère être le cas. Il convient donc d’examiner l’urgence de la demande à une telle date, au regard de la gravité des faits reprochés. Or, en dépit de ce caractère d’urgence, une suite ne lui a pas été donnée pendant le reste de la durée de la session. Dès lors, ce caractère d’urgence rend incompréhensible l’attitude du BAN qui l’a ignoré volontairement au profit d’une autre demande de même nature et aux mêmes fins, selon les dires de l’opposition. Qu’en est-il réellement ?
G) La possibilité pour le BAN d’être saisi par d’autres institutions ou personnes ou encore groupes parlementaires, lorsqu’il examine une demande de levée de l’immunité parlementaire doit être questionnée au regard du RI. Or, les règles de fonctionnement du Bureau qui instruit les demandes ne sont pas fixées par un texte. Dès lors, le BAN peut se prévaloir de ce vide, car comme en droit pénal, ce qui n’est pas interdit, est autorisé, et l’opposition est mal fondée d’accuser celui-ci de violer un texte qui n’existe pas.
H) – La demande d’autoriser les poursuites à l’encontre d’un député n’est pas une prérogative exclusive dévolue au Ministère Public. Tout plaignant peut engager des poursuites contre un député et saisir le PAN aux fins d’obtenir la levée de l’immunité parlementaire de ce dernier, qui doit être examinée uniquement au regard des conséquences sur l’exercice de son mandat. Nulle part la Constitution ne donne cette exclusivité de demande ou de poursuite au Parquet. Un député peut être poursuivi dans des affaires civiles, commerciales, sociales ou administratives, pas uniquement pour des affaires correctionnelles. A quoi tient cette exclusivité imaginaire ? Une déduction faite à partir d’un silence ou d’un vide de la Loi.
3 – Procédure d’adoption de la résolution portant levée de l’immunité.
I) – A défaut de l’existence d’une Commission permanente des immunités, les groupes parlementaires peuvent formuler une demande de suspension qui sera examinée par une commission spéciale et ponctuelle (Ad’Hoc au cas, le cas) mise sur pied par le BAN. Cette question est inscrite à l’ordre du jour selon les règles de droit commun (initiative du Gouvernement ou de la conférence des présidents, ou encore à l’initiative du Président d’un groupe parlementaire). L’inscription à l’ordre du jour n’est ni mécanique, ni une obligation. L’opposition à tort de protester au motif que sa demande n’a pas été immédiatement inscrite à l’ordre du jour. Des contraintes de calendrier, des initiatives concurrentes et la hiérarchie des priorités pour la Nation peuvent aisément expliquer cela.
J) – Lors des interventions suite à la présentation du rapport de la Commission spéciale (durant la session) ou des structures déléguées du BAN (Hors cession) des motions de procédure peuvent être présentés pas des groupes parlementaires (« texte soumis à une assemblée délibérante par un ou plusieurs de ses membres, pour exprimer une opinion, une volonté ou faire prendre une décision ») C’est ce que semble avoir fait le Groupe Parlementaire RHDP. La possibilité de présenter une seule motion de procédure lors de la mise en discussion de la question de la levée de l’immunité ne saurait être érigée en règle ou en obligation. La discussion permet d’exprimer un avis pour la levée et ça n’a rien d’illégal. On ne saurait prétendre que celui-ci est privé d’une base légale, puisqu’elle est conforme à l’article 48 du RI qui permet motion et discussion sur la question. Le fait que le BAN est suivi cette motion ne la rend pas pour autant illégale.
K) – L’opposition qui plutôt que défendre des intérêts personnels et particuliers, devrait davantage participer aux travaux de l’AN en commission et surtout s’intéresser à la vie des populations et de la Nation.
Conclusion
Je terminerai en reprenant les conclusions d’un grand frère sur ma page Facebook « dans une démocratie digne de ce nom, grande est l’importance de l’institution qui vote les lois de la République. Une telle institution devrait prêcher par l’exemple, par des décisions claires et nettes, non sujettes à interpellation ni contestation, notamment, par ses propres membres ». Cette bataille permanente de clochers au sein de l’Assemblée Nationale, n’est pas loin de celle des chiffonniers. Elle n’honore pas l’Institution.

SOUMAREY Pierre Aly