Mensonge, toujours mensonge, encore mensonge (fin)
Notre époque est en proie à une véritable crise humanitaire politique qui va de plus en plus croissante. En effet, l’on assiste dans l’ensemble à des haines inexpiables qui dressent des peuples les uns contre les autres, des maux qui les déchirent puis les déciment, des violences, des tortures, des outrages infligés à l’innocence des individus, des faits de la corruption, des multiplicités des foyers de mécontentements, des scandales de l’iniquité, etc. Mais, en même temps, s’élèvent çà et là des voix pour exprimer la montée d’engouement du mensonge politique de nos chers politiciens ; une autre crise aigüe de notre humanité. A le constater, le mensonge dénature la vie de l’individu et de son environnement. Il est une véritable violence faite à autrui et même à soi-même. Il l’atteint dans sa capacité de connaître, qui est la condition de tout jugement et de toute décision et déchire le tissu des relations sociales. Or, l’homme est un être de raison, orienté vers la charité, le respect de la vie et la sécurité d’autrui. Il est caractérisé par la recherche de la vérité. En ce sens, mentir serait donc porter atteinte à la dignité humaine. Dans cette optique, je m’appuie sur la pensée arendtienne pour prohiber cette manière de faire la politique dans le mensonge, encore mensonge, toujours mensonge pour nos dirigeant africains qui prêtant dire qu’ils sont des bons leaders et mentent dans tous les sens. Pourquoi ?
Par ailleurs, le conciliabule (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles-mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste “inhumain” en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous, en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à êtres humains(1).
Cette humanité qui se réalise dans les conversations de l’amitié, les Grecs l’appelaient philanthropia, “amour de l’homme”, parce qu’elle se manifeste en une disposition à partager le monde avec d’autres hommes et non dans le mensonge. Aujourd’hui, le mensonge appris notre monde, dans la sobriété de bien faire, une véritable déception pour nos pays Africains pour ces hommes politiques. Quelle honte pour ces hommes qui se disent les leaders ?
On n’a jamais menti autant que de nos jours. Ni menti d’une manière aussi éhontée, systématique et constante. On nous dira peut-être qu’il n’en est rien, que le mensonge est aussi vieux que le monde, ou, du moins, que l’homme, mendax ab initio ; que le mensonge politique est né avec la cité elle-même, ainsi que, surabondamment, nous l’enseigne l’histoire ; enfin, sans remonter le cours des âges, que le bourrage de crâne de la Première Guerre mondiale et le mensonge électoral de l’époque qui l’a suivie ont atteint des niveaux et établi des records qu’il sera bien difficile de dépasser. Tout cela est vrai, sans doute. Ou presque. Il est certain que l’homme se définit par la parole, que celle-ci entraîne la possibilité du mensonge et que n’en déplaise à Porphyre – le mentir, beaucoup plus que le rire, est le propre de l’homme. Il est certain également que le mensonge politique est de tous temps, que les règles et la technique de ce que jadis on appelait “démagogie” et de nos jours “propagande” ont été systématisées et codifiées il y a des milliers d’années(2) ; et que les produits de ces techniques, la propagande des empires oubliés et tombés en poussière nous parlent, aujourd’hui encore, du haut des murs de Karnak et des rochers d’Ankara. Il est incontestable que l’homme a toujours menti. Menti à lui-même. Et aux autres. Menti pour son plaisir – le plaisir d’exercer cette faculté étonnante de “dire ce qui n’est pas” et de créer, par sa parole, un monde dont il est seul responsable et auteur. Menti aussi pour sa défense : le mensonge est une arme. L’arme préférée de l’inférieur et du faible(3) qui, en trompant l’adversaire s’affirme et se venge de lui(4) . Mais nous n’allons pas procéder ici à l’analyse phénoménologique du mensonge, à l’étude de la place qu’il occupe dans la structure de l’être humain : ceci remplirait un volume. C’est au mensonge moderne, et même plus étroitement, au mensonge politique moderne surtout, que nous voudrions consacrer quelques réflexions. Car, malgré les critiques que l’on nous fera, et celles que nous nous faisons à nous-mêmes, nous restons convaincus que, dans ce domaine, quo nihil antiquius, l’époque actuelle, ou plus exactement les régimes totalitaires, ont puissamment innové. L’innovation n’est pas totale, sans doute, et les régimes totalitaires n’ont fait que pousser jusqu’au bout certaines tendances, certaines attitudes, certaines techniques qui existaient bien avant eux. Mais rien n’est entièrement nouveau dans le monde, tout a des sources, des racines, des germes, et tout phénomène, toute notion, toute tendance, poussés jusqu’au bout, s’altèrent et se transforment en quelque chose de sensiblement différent.
Aborder la question du mensonge apparaît comme un écheveau particulièrement complexe à démêler. Depuis des lustres, l’Afrique vit dans l’effervescence des événements horribles qui s’enchevêtrent au quotidien et au fil des ans. « Meurtri par l’esclavage, spolié par la colonisation et fragilisé par des indépendances mal négociées » , le continent africain écrit son histoire en termes de sang. Du Caire au Cap, de Freetown à Mogadiscio, la Côte d’Ivoire etc., les conflits s’accumulent et s’amplifient avec la même intensité. Sous tous les cieux dans le continent, c’est la même horreur : coulée de sang, traînées de drames, montées des périls, pluie de feu et de plomb. Cette situation hallucinante donne à l’Afrique la place d’un continent maudit voué à un sort funeste. Comme dans une tragédie classique, l’on peut s’exclamer : quel sinistre destiné ! En effet, les leaders politiques se sont installés dans une logique du mensonge, la violence et de conflit interne au point de reléguer au second plan la recherche ardente des biens célestes, à l’instar des Corinthiens divisés (1Co, 14-17). Quand nous prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire, elle baigne dans l’instabilité du mensonge politique aux conséquences néfastes. Elle est donc à son tour entrée dans le cercle de l’instabilité. Pouvait-on imaginer que ce pays qui avait si bien négocié le virage de l’indépendance, qui frappait à la porte du groupe des pays émergents, qui présentait aux yeux du monde plusieurs signes forts de développement, notamment en matière de réussite économique, de réseau routier, de croissance urbaine, d’électrification des campagnes, de taux et de niveau de scolarisation, se lézarderait si profondément au point de laisser surgir tant de rancœurs et de haine ? , à cause de leur mensonge, nous sommes plongés aujourd’hui dans le désespoir. On nous faire circuler des mensonges, toujours des mensonges et rien que des mensonges (…) dans des médias et cela devienne aujourd’hui des leaders de mensonge.
La politique aujourd’hui, serait un théâtre burlesque où des politiciens prompts au mensonge rient entre eux de leurs pantalonnades devant un public candide. D’un scandale à l’autre, les citoyens n’en finissent pas de se découvrir bernés par ceux en qu’ils ont eu confiance. Le mensonge en politique, au contraire de la croissance en économie, ne connaîtrait ainsi pas de récession. Vérité et politique ne font pas bon ménage, il est vrai, mais est-ce une raison de maintenir sans appel la sentence de réprobation si facilement jetée désormais sur la classe politique ? C’est pourquoi Kant s’insurge, en insinuant que, si la nature humaine est vouée au bien, il est donc opposable que l’homme se livre au mensonge. Dès lors, le mensonge est-il une erreur pour la nature humaine ? Comment Kant appréhende-t-il le mensonge ? Et dans quelle mesure la position arendtienne peut-elle être posée comme norme de conduite pour notre monde d’aujourd’hui ? Face au défi de la vérité, et pour mieux conduire la dignité humaine à la valeur qui doit lui être accordée, nous voulons avec Hannah Arendt et Kant, trouver de meilleur moyen pour y parvenir. Si la loi morale implique le devoir de vérité, il convient irrévocablement que la dignité humaine soit mise à l’ordre des valeurs premières. C’est pourquoi, Kant que le mensonge peut être compris comme « transgression du devoir de véracité »(7) , d’une part et de l’autre c’est « la plus grande transgression du devoir de l’homme envers lui-même, considéré simplement comme être morale envers l’humanité qui se trouve en sa personne »(8) . L’homme est-il autorisé à mentir ? Dans la tradition philosophique, Emmanuel Kant est connu pour être le représentant de la tentative la plus radicale de la condamnation du mensonge. Dans D’un prétendu droit de mentir par humanité(9) , texte resté célèbre, Kant, en réponse à Benjamin Constant qui prétendait qu’en rendant inconditionnel le devoir de dire la vérité, la société serait impossible, soutient l’inhibition d’un droit de mentir quelles que soient les conséquences qui puissent en résulter et réaffirme, par conséquent, le caractère inconditionnel de la véracité, qui est un commandement sacré de la raison.
À suivre …..
Samuel BEUGRÉ
Notes
(1) Hannah ARENDT, Vies politiques, Gallimard, Paris, 1974, pp. 34-35
(2) On trouve déjà dans les dialogues de Platon, et surtout dans la Rhétorique d’Aristote, une analyse magistrale de la structure psychologique, et donc de la technique, de la propagande.
(3) En trompant son adversaire ou son maître – le plus faible s’avère “plus fort” que celui-ci.
(4) Tromper, c’est aussi humilier, ce qui explique le mensonge souvent gratuit des femmes et des esclaves.
(5) C. NDONGO, « Le défi de la paix », in G. MENDO ZE, 20 défis pour le millénaire, Paris, François-Xavier de Guibert, 2000, p. 366.
(6) Christian B., Géopolitique de la Côte-d’Ivoire, le désespoir de KOUROUMA, Paris, Armand Colin, 2005, p. 5
(7)Christian B., Géopolitique de la Côte-d’Ivoire, le désespoir de KOUROUMA, Paris, Armand Colin, 2005, p. 5
(8) Idem
(9) Idem