« Il est dommage pour le destin personnel du Président OUATTARA qu’il ait refusé de rentrer dans l’histoire. »
Le président ivoirien Alassane Ouattara avec le président Emmanuel Macron (Photo by Chesnot/Getty Images)

Alors que l’ensemble des pays de la CEDEAO ont opté pour un régime de changes flexibles basé sur un panier de devises (marché spécialisé restreint de change entre les monnaies nationales entre elles), le Président Alassane OUATTARA , Président en exercice de l’UEMOA, après sa dernière visite à l’Élysée, affirme désormais que cette future monnaie “l’ECO” si elle devait voir le jour en 2020 conservera la même parité qui existe entre le CFA et l’EURO, plutôt que d’engager les Etats de cette zone et le Comité Ministériel de la Taske Force à mettre rapidement en place les règles et mécanismes permettant d’organiser l’autonomie de cette nouvelle monnaie Africaine. Or, nous savons tous que la fixité de la parité entre le Franc CFA et l’Euro repose sur l’un des 4 accords piliers du Franc CFA (fixité, convertibilité illimitée, libre transférabilité de ces monnaies entre elles, et la centralisation des devises ou réserves de change communes). Je cite ” Si l’éco devait venir à exécution ou à adoption en 2020, il n’y aura pas de changement de parité entre le franc CFA devenu l’ECO et l’euro ».

Cette direction (taux de change déterminé par la France et les Etats membres de la zone et leurs banques centrales respectives par rapport à une monnaie de référence qu’est l’EURO, donc indexée sur une monnaie étalon ) préférée à celle du change flottant caractérisant au plan international l’adoption officielle du système de Bretton wood (cours des monnaies déterminé en fonction de la libre confrontation de l’offre et de la demande sur les marchés des changes) adopté par tous les Etats du monde suite aux Accords de la Jamaïque (1976) est de nature à créer une profonde dissension dans l’approche de ce projet d’intégration régionale au sein de la CEDEAO et hypothèque lourdement la création de cette monnaie communautaire dans sa conception originale. Nous nous acheminons aujourd’hui vers une monnaie UEMOA correspondant en réalité à la zone CFA de l’Afrique de l’Ouest Sub-Saharienne arrimée à l’EURO à travers la France. C’est la nouvelle perspective que nous propose le Président OUATTARA, au motif que le cadre institutionnel du CFA est assez satisfaisant, attractif et profitable aux Etats africains en ce qu’il contribue fortement à la stabilité du cadre macroéconomique des Etats membres de cette zone et permet une forte croissance dans celle-ci ( 6,5 % an 2018) et que la réalisation des critères de convergence se fera progressivement au rythme des États de la CEDEAO, tandis que ceux de la zone CFA sont déjà prêts.

Une stratégie contraire à celle des états émergeants dans le monde, notamment les BRICS, mais aussi des économies les plus performantes d’Afrique, tant au plan de la compétitivité qu’au plan du développement. Cette option vue uniquement sous son aspect protecteur, va très probablement empêcher la création d’une monnaie indépendante, car nous savons par avance que les autres Etats de la CEDEAO ne l’accepteront pas, notamment le Nigéria et le Ghana. Par conséquent, il est plus que probable qu’ils ne rejoindront pas aussi cette nouvelle monnaie portée par l’UEMOA, regroupant les états réputés prêts pour cette transformation minimale, qui ne sera en réalité que la nouvelle appellation de Franc CFA. Cette anticipation est-elle une stratégie de sabordage de l’intérieur par son caractère séparatiste et superficiel ? « Bien évidemment, il n’y a pas que les pays de l’UEMOA nous souhaitons qu’à l’occasion de la mise en œuvre de l’ECO par ces 8 pays que d’autres puissent se joindre à nous » est au mieux un vœu pieux, et au pire une cynique hypocrisie, car nous pouvons tous en prédire la suite.

Il est fortement regrettable que ce soit la Côte d’Ivoire, à travers son Chef d’Etat qui soit la cheville ouvrière de l’échec prévisible de ce projet d’intégration à l’intérieur de la CEDEAO. Il est dommage pour le destin personnel du Président OUATTARA qu’il ait refusé de rentrer dans l’histoire. L’UEMOA a en effet, manqué de courage, d’audace et de clairvoyance. Nous ne devons pas avoir peur des difficultés, car si le CFA offre des avantages indéniables pour nos États et a démontré que ce n’est pas uniquement la communauté d’une monnaie qui permet de garantir le développement du commerce intra-communautaire, mais le besoin des populations, les politiques économiques et la qualité de l’offre technologique pour créer du progrès. Cette monnaie a également des inconvénients dont le frein qu’il constitue à notre développement (privation de la jouissance de 50% de nos réserves et surévaluation de la monnaie) et par rapport à “la taxe de sous-développement” (Pr. Samir Amin) qu’il prélève sur nos économies, faute d’un grand marché unique permettant des économies d’échelle par la mutualisation des moyens pour amorcer la phase décisive de la transformation de nos ressources et de la mutation technologique de nos modes de production.

Fort des expériences indépendantistes et communautaristes correspondant aux deux systèmes existant dans le monde, mais aussi aux deux approches existant au sein de la CEDEAO, nous aurions pu trouver une voie médiane, originale et audacieuse, qui tourne définitivement le dos au Franc CFA qui nous maintient quoi qu’on en dise, dans une histoire et une logique coloniales. C’est la preuve qu’aucun accord au sens de compromis n’existe, pour permettre de croire dans l’espoir que l’ECO avait soulevé auprès des peuples Africains. Nous avions l’occasion de créer un important marché, d’accélérer avec cet outil l’intégration Africaine et surtout de créer à long terme une croissance durable basée sur un développement endogène. Le court terme nous a aveuglé. C’est une facilité. On peut être déçu et amer. Le combat doit se poursuivre sur un plan technique pour faire bouger les lignes. Faut-il attendre une autre génération pour ce changement ?

Pierre Aly SOUMAREY,