L’abbé Richard Bilé du diocèse de Grand-Bassam s’est-il donné la mort le 24 avril 2019 ? Une lettre supposée avoir été laissée par lui a fait croire à une telle éventualité. Quelques jours plus tard, cette thèse sera battue en brèche par un prêtre que nous appellerons l’abbé Nathanaël en souvenir de ce disciple qui n’avait pas sa langue dans sa poche et dont Jésus fit l’éloge en le décrivant comme « un Israélite en qui il n’y a point de fraude » (Jean 1, 47).
Même s’il avoue avoir très peur parce que le défunt lui a laissé « certains documents compromettants », même s’il ne veut pas subir le même sort que Bilé, Nathanaël parle effectivement de « pendaison orchestrée », ironise sur « le pendu qui a les yeux fermés, qui ne fait pas caca ou pipi sur lui et [dont] la langue n’est pas sortie ». Pour apporter de l’eau à son moulin, l’on pourrait ajouter que les pieds de Bilé touchaient quasiment le sol. Certains peuvent considérer ces détails comme des éléments négligeables. Les questions que beaucoup se posent à Grand-Bassam et ailleurs, elles, ne peuvent pas être balayées d’un revers de la main. Ces questions, si on accorde du crédit à la lettre de l’abbé Nathanaël, sont les suivantes : qui a tué ou fait assassiner Bilé ? Pourquoi l’a-t-on fait passer de vie à trépas de cette façon et pour atteindre quel (s) objectif (s) ?
Pour le confrère de Bilé, qui écarte la piste du suicide, il n’est pas nécessaire d’aller loin pour retrouver les coupables. « Des prêtres t’ont fait ça pour ne plus que le Vatican considère ton témoignage », écrit-il dans sa missive de 2 pages. Plus loin, il ajoute : « Le scandale du milliard de francs CFA détournés par nos évêques qui auraient dû servir à construire la cathédrale de Bassam pour lequel tu t’es fait taper sur les doigts et que de curé on t’a rétrogradé à simple prêtre, ce scandale qui te dérangeait, on t’a dit d’accepter de bouffer avec eux. »
Mais notre Nathanaël ne se sent pas assez courageux pour témoigner à visage découvert. Il se tourne alors vers les fidèles laïcs. « Nous prêtres, on ne peut pas parler, confesse-t-il, mais vous, les laïcs, vous les paroissiens, aidez- nous à rétablir la dignité de l’abbé Richard Bilé. Que chacun de vous, fidèles catholiques, demande au diocèse de Bassam, combien depuis plus de 20 ans, les gens cotisent pour construire la cathédrale de Bassam. Où est passé l’argent ? Les dons des chefs d’État ? Où est l’argent ? Ça a dépassé les 2 ou 3 milliards. Où est passé l’argent ? Qui a bouffé ??!! C’est beaucoup ooooh !!! »
« La pendaison qu’ils ont orchestrée est pour nous dissuader, pour nous effrayer, pour nous faire comprendre que, même au presbytère, nous ne sommes pas en sécurité. Le message de pendaison est pour faire taire les prêtres qui oseront parler », conclut l’abbé Nathanaël.
Entre ceux qui pensent que l’abbé Bilé s’est pendu après avoir été accusé de pédophilie et Nathanaël qui croit dur comme fer que son « ami » a été éliminé pour avoir dénoncé les personnes qui ont « bouffé » l’argent de la construction de la cathédrale, qui dit vrai ? Qui et que croire ? À mon avis, ce qu’il faudrait, d’abord et avant tout, c’est une autopsie. La famille et les parents de Bilé devraient ensuite exiger une enquête, laquelle enquête devrait être menée par des policiers ou des gendarmes intègres et soucieux de faire éclater la vérité. Non seulement cette enquête contribuerait à faire toute la lumière sur la mort de Bilé, mais elle laverait aussi l’honneur du clergé de Grand-Bassam et de ses premiers responsables. Car les accusations du confrère de Bilé sont gravissimes : des prêtres, « à cause de l’argent, tuent, humilient et salissent la mémoire d’un [autre] prêtre ». La charge est lourde, les mots sont extrêmement violents. À les lire, on peut se demander si on a encore affaire à une communauté de disciples du Christ qui, en son temps déjà, avait violemment attaqué et chassé les affairistes et vendeurs qui avaient transformé le temple en un lieu de trafic.
Il y a une prière que j’aime particulièrement, la prière eucharistique 5-B qui dit ceci : « Fais de ton Église un lieu de vérité et de liberté, de justice et de paix, afin que tout homme puisse y trouver une raison d’espérer encore. » Bilé faisait probablement partie de ceux qui croyaient à cette prière mais, avec sa mort violente et prématurée, on est enclin à se demander si l’Église, notre Église, n’a pas cessé d’être ce lieu de vérité et de liberté, de justice et de paix, si on peut prétendre suivre Jésus et ôter facilement la vie à ceux qui osent dénoncer les travers et abus de son Église, si l’argent n’a pas pris trop de place dans notre Église. Jean-Claude DJEREKE