Il est certainement l’heure pour la société civile ivoirienne de s’approprier le concept du “vivere civile” non pas pour son intérêt universitaire, mais existentiel, en tant que moyen d’accomplissement de la vertu humaine dans la cité, par l’action bénévole de ses citoyens. En dépit de son origine historique et géographique très lointaine, cet humanisme de l’action demeure d’actualité. Après différentes traditions de pensée dans sa transmission, il tend aujourd’hui à s’universaliser. Il devient ainsi un des fondements de la pensée politique moderne, en tant que moyen exclusif de la liberté et de la responsabilité pour atteindre la fin à laquelle le citoyen est assujetti et lié. Cette conceptualisation de l’action de la société civile moderne, permet à l’éveil de celle-ci en Côte d’Ivoire, d’y trouver une occasion de réfléchir à la théorisation de son action, pour mieux l’identifier et la situer dans le champ des libertés publiques et politiques de l’homme et du citoyen.
En effet, en tant qu’agent de progrès, l’homme ne peut accéder solitairement à la réalisation de son propre destin, lorsqu’il est séparé de sa communauté de base et de la société qui le protège contre lui-même et contre les autres par des lois, et lui fournissent les moyens de son plein épanouissement. Dès lors, sujet actif il ne saurait également se soustraire à son statut d’objet. C’est cette interaction qui en fait la substance de la liberté humaine, en tant que possibilité unique du progrès collectif et individuel. Or, le progrès est la vocation intrinsèque de l’homme, comme je l’ai démontré dans mes essais (l’homme face à sa finalité, Tome I et II). Il en est également le vecteur exclusif. Un agent actif et participatif à sa propre finalité. En effet, nous voyons bien que par ce détour, nous sommes dans une approche de la totalité, où tout l’univers contribue à une finalité intrinsèque. A l’échelle humaine, le citoyen constitue aussi un moyen imbriqué dans la fin qu’il contribue à réaliser, à un degré tel, qu’il y est entièrement intégré dans un projet en construction, celui de son avenir indissociable de celui de sa communauté, car comme je l’ai démontré également dans mes essais, l’homme est un projet en construction, mu par un moteur situé en son “en-dedans”, son “ADN cosmique”, le ressort de son progrès.
Sans l’intégration à une collectivité de destin qui décide souverainement de ce qu’elle entend choisir comme voie pour atteindre le progrès et la dignité humaine, aucune liberté n’est possible, comme elle ne saurait exister en dehors de la puissance de la Loi, qui protège l’homme et la République, des actions et des ambitions dominatrices de ses concitoyens et des autres états. Dès lors, l’implication du citoyen dans l’action relève de son humanité, de la manifestation de son désir de toujours construire du progrès pour lui-même, pour son cadre de vie et la communauté à laquelle il appartient, et pour réaliser ses ambitions de perfectionnement de sa nature humaine. ” Il n’y a que l’hétéronomie qui caractérise ceux qui doivent tenir compte des opinions, des désirs et des intérêts d’autrui avant d’agir” comme l’a souligné avec raison Jean Fabien Spitz dans son essai de généalogie conceptuelle. A l’inverse, le militantisme politique peut-il être considéré comme une forme pratique et opérationnelle possible du “vivere civile” ?
Nous pouvons dire que le bénévolat et le volontariat de la société civile en Côte d’Ivoire qui s’inscrivent dans des perspectives se sont assigné des objectifs ciblés et restreints. Les espaces qu’ils occupent se sont multipliés et diversifiés, tant sur le plan des valeurs promues que sur celui des domaines d’intervention. Néanmoins, ce qui permet de les distinguer de ceux qui sont en mal d’argent, de publicité, qui ont un besoin de reconnaissance, qui ont un problème existentiel, qui ont des ambitions personnelles dissimulées, et ceux qui font la promotion de l’individualisme corporatiste et de chapelles politiques, est la nature profondément humaniste et désintéressée de leur action. Celle-ci vise prioritairement une éducation à la citoyenneté par l’interculturalité et la participation au bien commun, l’organisation de lieux d’action où des hommes et des femmes peuvent se retrouver pour partager leur humanité et leur foi en certaines valeurs qui ennoblissent la nature humaine et élève sa dignité. Elle occupe des espaces où les capacités des citoyens sont sollicitées pour servir un progrès et des causes universelles. L’intérêt général de notre communauté, celui de notre Nation, celui de notre pays. Aly Pierre SOUMAREY