Après que Dramane Ouattara a annoncé la libération des prisonniers politiques, certains des nôtres n’ont pas tardé à affirmer que ladite libération était le fruit de notre résistance, intransigeance et détermination. Certes, nous avons toujours soutenu que nos frères ne méritaient pas d’être incarcérés pour leurs opinions ou pour leur appartenance au parti de Laurent Gbagbo; certes, nous n’avons jamais cessé d’exiger leur libération et bravo à chacun de nous pour cette constance mais il ne me semble ni vrai, ni honnête de nous attribuer la fin du calvaire de nos camarades, même si nous nous réjouissons tous qu’ils soient enfin sortis (dans quel état?) de cet enfer car, si nous étions aussi combatifs que cela, Simone Ehivet, Moïse Lida Kouassi, Assoa Adou et les autres n’auraient pas attendu 7 ans avant de recouvrer la liberté. Gardons-nous de nous jeter des fleurs car, si nous étions aussi déterminés, aussi intransigeants que nous le prétendons et si la liberté de nos frères nous était aussi chère que celle des étudiants de la FESCI était chère à Laurent Gbagbo en 1992, nous aurions assiégé quotidiennement les goulags de Ouattara pour que Dahi Nestor, Koua Justin et Samba David n’y passent pas plus de deux nuits. Non, ce n’est pas nous qui avons fait plier Ouattara. Celui-ci a été obligé de mettre fin au calvaire de nos frères parce que l’Union européenne le lui a demandé après avoir (peut-être) compris qu’elle s’est lourdement trompée sur un individu qu’elle a soutenu contre tout bon sens, après avoir réalisé que la Côte d’Ivoire n’est pas aussi démocratique, aussi respectueuse des droits de l’homme, aussi propre que les thuriféraires et courtisans internes et externes de Ouattara veulent le faire croire. En cela, Konan Bédié a vu juste et a raison de ne pas féliciter son ex-allié car le fait de rendre la liberté à des personnes injustement arrêtées et détenues pendant 7 ans sans jugement n’est pas une faveur mais un droit. Celui qui a osé arrêter et emprisonner des innocents est un brigand et on ne remercie ni ne félicite un brigand. Ce que l’on fait, en pareille circonstance, c’est de porter plainte. Les victimes, qui ont droit à des dédommagements et à des soins, devraient déposer une plainte contre le régime Ouattara pour ces 7 années perdues.
Je suis content pour les camarades qui vont retrouver leurs familles. Ce qui m’attriste, en revanche, c’est le rôle joué par l’Occident dans cet élargissement. N’oublions pas que c’est le même Occident qui a libéré Jean-Pierre Bemba pour qu’il soit candidat à la prochaine présidentielle de la RDC contre Joseph Kabila qui semble ne plus faire son affaire. Le cas Bemba porte un message que l’on peut interpréter de la manière suivante: l’Occident a encore le pouvoir de faire et de défaire en Afrique; il continue de jouer les premiers rôles dans nos affaires et d’être le maître du jeu. Depuis quelque temps, nous réclamons la création d’une monnaie africaine, le départ des bases militaires françaises des pays africains, la non-immixtion des pays occidentaux dans les choses qui nous concernent et c’est bien mais, si ce sont les autres qui doivent libérer nos prisonniers ou chasser nos dictateurs, cela risque de ne jamais arriver et nous ne serons jamais maîtres ni de notre destin, ni des richesses de nos sols et sous-sols. L’Algérie peut décider elle-même aujourd’hui de ce qui est bon pour elle parce qu’elle a accepté de mener le combat de la souveraineté entre 1954 et 1962. Idem pour l’Inde et les États-Unis contre l’Angleterre. Un jour, un aîné de plus de 80 ans qui milita jadis dans la FEANF et lutta contre le régime Houphouët me dit ceci: Les Africains au Sud du Sahara luttent mais ils ne mènent pas la lutte jusqu’au bout; ils s’essoufflent vite; ils abandonnent vite. S’ils intégraient l’idée que l’indépendance ne se donne pas mais s’arrache et que rien de grand ne s’obtient sans sacrifices, s’ils avaient un peu de la détermination dont firent preuve les Bush et Sarkozy pour détruire l’Irak, la Libye et la Côte d’Ivoire, nous n’en serions plus là.
Le jour où nous ferons montre de plus de détermination, le jour où nous chasserons tout seuls Dramane Ouattara (car cet objectif reste d’actualité, pour moi) comme les Burkinabè chassèrent Blaise Compaoré, alors nous pourrons nous autocongratuler et bomber le torse. Pour l’heure, ayons le triomphe modeste, laissons aux vestiaires arrogance et suffisance, rangeons dans les tiroirs anathèmes et condamnations, faisons bloc pour sauver la Côte d’Ivoire qui est plus grande et plus importante que nos partis politiques!
Jean-Claude DJEREKE