La Nation attendait depuis sept années la parole du Président Laurent GBAGBO sur la Côte d’Ivoire post-crise. Celle-ci a été confiée récemment aux bons soins de la Ministre Geneviève Bro Grébé, Présidente des Femmes patriotes, à l’adresse de ses partisans, mais par ricochet à toute la communauté nationale, au regard de sa teneur. Je cite « Abandonnez tout esprit de revanche ! La seule revanche à prendre, c’est d’œuvrer à la réussite de notre pays dans l’unité et dans la paix. De cette réussite émanera celle de toute la sous-région ouest africaine» (1). Cette parole forte, par sa hauteur et son niveau de responsabilité confirme pleinement sa qualité d’homme d’état. Il démontre ainsi sa capacité à s’élever au-dessus des divisions partisanes pour ne considérer que le seul intérêt supérieur du pays, le bien commun. Cette invite traduit le degré de conscience qu’il a de ses propres responsabilités, en tant que leader d’opinion et de l’influence qu’il possède encore sur la société politique en tant qu’ancien Président de la République. J’avais écrit en 2017 « Le Président GBAGBO a joué sa partition dans la confection de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il est sorti de la scène, mais la pièce continue. Il ne reviendra jamais plus aux affaires (longueur et issue du procès, limite d’âge naturelle, santé, volonté, époque). Sa page est tournée, il a écrit son histoire. Il a tracé un sillon et laissé un enseignement. Du fonds de sa cellule, il a suffisamment médité sur le bilan politique de son action et la nature des hommes, d’où sa distance vis-à-vis de la discorde du FPI, à laquelle il aurait pu mettre fin s’il en avait réellement la volonté, tout comme il aurait pu appeler le peuple Ivoirien à l’apaisement et à la réconciliation. … Une telle attitude le grandirait et modifierait profondément la perception de son procès. » (2). C’est dire que j’attendais ce geste de sa part, avec une certaine impatience. Je me réjouis donc de la densité de cette adresse. Par contre, je suis surpris et très déçu du silence abasourdissant qui a été réservé à cette importante déclaration, qui appelle à la paix, à la réconciliation, à l’union, à la stabilité et au développement du pays. Le sort de celle-ci est lié à l’embarras de la communauté nationale empêtrée dans ses antagonismes et ses clivages. D’une part, elle contrarie les aspirations et les attitudes de l’opposition, d’autre part, elle contrarie également la majorité placée entre l’inconfort d’en reconnaître tout le mérite en donnant écho à sa portée, et celui de reconnaître ses propres insuffisances de résultats dans le chantier de la réconciliation et de l’unité nationale. Dès lors, les deux parties agissent objectivement en synergie pour étouffer cette parole gênante, pour la faire mourir dans le silence, comme si elle n’avait jamais existé.
Les errements et les contradictions de l’opposition
Le souhait exprimé par le Président Gbagbo à l’endroit de ses partisans et supporteurs, les invitant à sortir de l’esprit de revanche, n’a pas été entendu par ceux qui se réclament le plus de lui, le FPI, tendance Sangaré, réputée héritière et gardienne de sa vision et de sa parole, parce qu’il bouscule en son sein des convictions contraires. Or, celui-ci sait que la haine corrompt l’esprit et l’appauvrit, au point de le priver de la capacité de faire confiance en son concitoyen, son compatriote, son frère. Pire, cette absence de confiance s’étend aux membres et sympathisants d’une même appartenance politique (suspicion permanente, préjugés irrationnels, accusations systématiques), alors que la confiance constitue la condition indispensable à une véritable réconciliation, avant même la volonté. Ensuite, il sait aussi, que la haine et le ressentiment altèrent le jugement, créant à la fois, une défiance à l’endroit des institutions (menace potentielle sur la paix, la stabilité et l’État républicain) et une déficience chronique dans les perceptions de la réalité et les motivations de l’action (déformation des faits et primauté du substrat émotionnel dans les processus de décision et de prise de position). C’est un enferment, une cécité et une forme de régression de l’esprit, alors que l’art de la politique dans son acception restrictive, au sens de « Politikè », consiste précisément dans la capacité d’exercer une saine appréciation des réalités. Le FPI, toutes tendances confondues, n’a pas souhaité ériger cette recommandation, en un point focal de rassemblement (opposition plurielle) et de ralliement (fédération des initiatives convergentes), à partir duquel il pouvait mettre en mouvement autour de lui, une dynamique pour la réconciliation et une redéfinition, à la fois, des modalités de son engagement pour la libération du concerné et de sa ligne politique dans le cadre de sa participation à la vie nationale et républicaine, dans la perspective de la « réussite de notre pays ». Implicitement tout patriote a le devoir de soutenir les actions de progrès accomplis dans l’intérêt du pays, pour le bien de tous, mais aussi pour que la Côte d’Ivoire redevienne la locomotive du progrès dans la sous-région (dimension panafricaniste de sa pensée)..
La recommandation du Président GBAGBO résulte d’une analyse, qui met en évidence l’incapacité du FPI, voire de l’opposition, de se remettre en question, pour se réorganiser et se redéployer dans une direction constructive, celle de la réussite de notre pays. Suivant quelle voie et quelle stratégie ? C’est à sa direction de les définir désormais. L’incapacité d’une réelle remise en cause, peut surprendre de la part d’un parti, qui s’origine d’une tradition et d’une culture de débat. Cette contradiction traduit une sclérose du mouvement de « gauche », qui s’est recroquevillé sur lui-même, plutôt que de s’ouvrir, et qui a perdu son « âme » en chemin, en se laissant contaminé par le virus des idéologies d’extrême droite et gangrené par l’esprit corrosif de l’école de la FEECISTE (fourberie, mauvaise foi, imposture, intolérance, populisme et violence, cohabitant aux côtés d’une exigence démocratique et d’une prétention indépendantiste légitimes) à qui elle a sous-traité partie de son pouvoir (pouvoir de la rue). Association jamais assumée officiellement du reste, en raison de ses dérives notoirement connues de tout ivoirien (la face ombrageuse du Pouvoir FPI). Il suffit d’observer le contraste saisissant qui existe entre la dignité du Président GBAGBO et le comportement de M. BLÉ GOUDÉ à la Haye, constamment dans un jeu de scène et de rôle (CPI et actualité nationale). Le plus surprenant n’est pas l’association dans l’imaginaire populaire de ces deux images antinomiques, découlant de la situation de fait de leur détention commune, mais de l’inconséquence de mettre sur le même pied d’égalité ces deux personnalités, autant dire, mettre au même niveau la densité et son contraire. Les créatures ont phagocyté leurs créateurs et les élèves veulent manger leurs maîtres au bal du crépuscule (ambition, confusion, opportunisme, relève). Plus grave, le FPI, peut se réconcilier, voire coopérer, avec le PDCI (l’un des co-gestionnaire du pouvoir post-crise) mais ne le peut pas avec le RDR (l’autre co-gestionnaire du pouvoir post-crise). Il peut se réclamer d’une tradition, d’une culture démocratique et populaire, mais peut s’allier à une culture politique élitiste, confiscatoire et patrimoniale (PDCI) ou même insurrectionnelle (FN), tout en se prétendant légaliste. En effet, Il peut s’allier à une idéologie ultra-libérale et néo-colonialiste, qu’il dénonce du reste en tant que « souverainiste », mais ne le peut pas en son propre sein, pour des problèmes de stratégie, de personne et de ligne politique, dont le clivage réside précisément dans la question du dialogue et de la coopération avec le Pouvoir et la « communauté internationale », dont la France principalement. Cette incohérence va jusqu’à prendre cette dernière pour témoin, comme si la communauté internationale ou la France nous prenaient pour témoin dans leurs affaires internes ou nous informaient de quoi que ce soit de celles-ci. La honte ne tuant pas (démonstration de notre sujétion, de notre immaturité et de notre ridicule) et n’étant pas à une contradiction près, le FPI et/ou l’opposition vont rechercher ailleurs des « réconciliateurs » et des alliances contre-nature, alors qu’ils disposent d’un référentiel, en la pensée et la parole du Président GBAGBO, qui pouvaient lui permettre de mobiliser, lui-même, sur la base de ce socle fort et de sa propre identité. Il pouvait être à l’initiative, et non à la remorque de la dynamique de la réconciliation.
En enterrant les consignes du Président GBAGBO et sa pensée (« La seule revanche à prendre, c’est d’œuvrer à la réussite de notre pays dans l’unité et dans la paix ») le FPI poursuivant sous la direction de personnes qui, logées dans une position victimaire, ne veulent pas sortir de leur projet de revanche, non seulement le trahit à nouveau, mais récidive leur comportement de 2010, car « Il a été trahi involontairement ou induit en erreur par les siens, c’est selon. Un groupe de personnes « jusqu’au-boutistes », dont il est en quelque sorte l’otage. SAM L’Africain ne savait pas si bien dire, lorsqu’il déclara devant la CPI, qu’il a eu, avec une certaine tristesse, la très forte et très nette impression, que le Président GBAGBO a été victime « d’un coup d’État » de la part de certains caciques du FPI, bien avant sa résistance et son arrestation. Selon ses dires de témoin oculaire de la scène, ceux-ci l’auraient empêché de prononcer la déclaration qu’il avait préparée à l’adresse de la Nation. En effet, celle-ci fut solennellement annoncée, mais ne fut jamais lue. Les Ivoiriens l’attendent toujours. À supposer qu’elle fût celle qui a circulée dans les médias et sur les réseaux sociaux, elle aurait permis d’éviter la guerre, avec son lot de désolation. … Ceci donne la mesure de la responsabilité des auteurs de ce « court-circuit » (2) qui veulent le reproduire en enterrant sa parole.
CONCLUSION
Guidé par une haine obsessionnelle et le ressentiment, le FPI et certaines franges opportunistes de l’opposition, souhaitent une large coalition hétéroclite pour « chasser » un fantôme du pouvoir, puisque le Président Alassane OUATTARA n’est pas candidat à sa succession (déclarations répétitives, possibilité n’est pas synonyme d’intention). Le faisant, non seulement elle ne combat pas une idéologie, un modèle économique, un système de gouvernance, un projet de société, des dysfonctionnements institutionnels, mais un homme (projet de revanche). Pour parvenir à assouvir ce désir de revanche, il (FPI) ou elle (opposition), n’hésitent pas à se compromettre et à exposer, une nouvelle fois, la nation à des risques majeurs (exacerbation de la division et de la fracture sociale, faiblesse du prochain leadership, violence du débat démocratique, aventure politique, rupture de la continuité programmatique, incertitudes sur l’avenir, instabilité institutionnelle, tarissement des investissements, ralentissement de l’activité, etc.). Il ou/et elle, ne se préoccupent guère de « la réussite de notre pays ». C’est irresponsable comme attitude. À supposer qu’un tel projet prospère, sur quoi reposeront la cohérence et la solidarité gouvernementale d’un tel attelage hétéroclite ? Qui sera comptable devant le peuple ? L’expérience de gouvernement de coalition démontre à travers le monde, qu’il comporte toujours des difficultés (fragilité et réversibilité des alliances, instabilité institutionnelle, blocages, pressions internes, limitation des initiatives, etc.). Celle de la Côte d’Ivoire a démontré la perversité d’une telle institution, en raison de son système d’imputation de la responsabilité. Qui des membres de la coalition sous le Président GBAGBO réclament son bilan ? Pourtant la refondation n’était pas la seule en responsabilité et à la gestion des affaires. Qui de l’alliance RHDP assume aujourd’hui les critiques qui s’élèvent contre le régime OUATTARA ? Pourtant le RDR et le PDCI gouvernent ensemble. « La défaite est orpheline » (FHB), et « quand le bateau coule, les rats quittent le navire», j’ajouterai après en avoir tiré profit. Alors que gouverner, c’est accepté de déplaire (efficacité et rigueur) et de décevoir (aspirations et illusions) à une importante partie de la population, car on ne peut pas satisfaire à tout et on ne peut pas plaire à tous (partisans et adversaires). Cela n’est possible que sous des régimes populistes, où le discours démagogique se substitue à l’action effective et la passion à la raison. Dès lors, nous serions, dans une telle éventualité, en face d’un système totalement irresponsable. Les alliances, pour être viables et cohérentes, ne peuvent être qu’idéologiques et programmatiques, pour permettre une responsabilité univoque (être entièrement comptable de son action devant le peuple) et une stabilité (solidité d’alliances assises sur une similarité et une complémentarité de projet de société, permettant de former une identité commune). Les différentes coalitions que nous avons connues (Front Républicain, LMP, RHDP, CNC) n’ont pas résisté au temps et aux conflits d’intérêts et de personnes. Seul le RHDP survit encore à cette expérience, nonobstant ses dissensions liées à la querelle sur la succession du Pouvoir. Son sort pourrait être identique à celui de la LMP, en cas de perte de pouvoir (incapacité de ces groupements à vocation électoraliste à se survivre à eux-mêmes, tant le destin de ces formations satellitaires du pouvoir central, se confond avec celui de leurs leaders charismatiques).
La Côte d’Ivoire a besoin d’une haute et claire vision de son avenir, d’un leadership fort et de qualité, d’unité, de paix et de stabilité. Ce n’est pas une nécessité, mais une condition de sa « réussite ». Elle a aussi besoin d’une opposition forte et responsable, pour faire vivre la démocratie, aider à une meilleure gouvernance par ses exigences, ses dénonciations constructives, et pour rééquilibrer aussi la vie nationale, au plan institutionnel. J‘indiquais récemment que « cette question comporte deux niveaux de responsabilité : celle de l’opposition elle-même (capacité à s’organiser efficacement et choix stratégiques) et celle de l’État, autant dire du Pouvoir (capacité à créer les conditions d’une meilleure représentativité à travers des mécanismes et des circuits démocratiques » transparents et fiables. Une clarification s’impose à la société politique, pour qu’apparaissent des blocs homogènes et cohérents, susceptibles de mobiliser sous leur propre identité. Cette analyse me conduit à considérer la constitution du bloc RHDP comme une excellente chose, si son objectif d’unité ne cristallisait pas division et frustration, parce que « d’une part, cette construction libère un espace démocratique au centre, et d’autre part, parce qu’elle exerce une pression sur l’opposition, l’obligeant sous la dictée de la nécessité, à s’organiser en un bloc de même dimension, pour rééquilibrer le rapport de force dans le jeu politique. Par ailleurs, cette orientation permet de clarifier le paysage politique, en précipitant la disparition d’une pluralité de groupuscules sans envergure et sans substance, et nous débarrasserait définitivement d’un militantisme, assis sur une base sociologique ethnique. Cette dynamique nous rapproche d’une opposition moderne entre blocs, donc entre projets de société, idéologies et programmes. Dès lors, elle constitue, sous ce rapport, une très bonne évolution pour notre transition démocratique. » (3). L’autre intérêt, et pas des moindres, est qu’une telle configuration ouvrirait un centre situé à équidistance des extrémités, d’où pourrait apparaître de nouvelles forces, marquées par une nette rupture avec le passé et un renouvellement du personnel politique. Celles-ci pourraient porter une vision novatrice de la manière de faire la politique en Côte d’Ivoire, de concevoir et gérer l’intérêt général. » (3). Notre démocratie pourrait faire de ce fait un bond en avant, sans que l’intérêt supérieur de la Nation ne soit menacé par des compromissions, des approximations, l’opportunisme et l’aventurisme. Nous n’avons besoin ni de division, ni de haine, ni de tension pour aller à une élection décisive, mais de lucidité, de paix et de responsabilité.