Ces jours-ci, des gens ayant attaqué la mère patrie et endeuillé plusieurs familles ivoiriennes entre le 19 septembre 2002 et le 11 avril 2011 parce qu’on les aurait considérés et traités comme des Ivoiriens de seconde zone, en appellent au pardon, invitent à dépasser le ressentiment et la colère, exhortent à ne plus penser aux atrocités physiques et morales qu’ils ont commises ici et là dans le pays. Mais leur message a-t-il quelque chance d’être entendu quand ils affichent, dans le même temps, arrogance et suffisance à l’endroit des militants et sympathisants de Laurent Gbagbo? La réconciliation, qui n’est pas une mauvaise chose en soi, est-elle possible aujourd’hui dans notre pays, quand les coupables narguent les victimes, sont gros, gras et dodus, prospèrent et se la coulent douce, sont promus et célébrés, répètent à l’envi avoir rétabli les gens du Nord dans leurs droits et se glorifient d’avoir sauvé le pays de l’injustice et de la tyrannie? Au nom de cette réconciliation, les Ivoiriens doivent-ils tourner aussi rapidement la page des crimes contre l’humanité perpétrés par Dramane Ouattara et sa clique? Non! La justice, qui jusqu’ici ne s’est intéressée qu’à un camp, doit aller sur les traces de l’autre camp afin que soient jugés et condamnés le cas échéant ceux qui, dans ce camp-là, se sont rendus coupables de graves violations des droits humains. Procéder autrement reviendrait non seulement à encourager l’impunité mais à tuer une seconde fois nos compatriotes prématurément disparus. Le pardon dont le sieur Kigbafori Soro nous rebat les oreilles depuis quelque temps est “une sinistre plaisanterie” si rien n’est fait pour dédommager toutes les victimes; c’est une comédie et une escroquerie aussi longtemps que ceux qui le prêchent ne posent pas d’actes concrets. À lui et aux autres nouveaux apôtres du pardon, on doit simplement rappeler qu’il appartient aux victimes et seulement aux victimes de pardonner à leurs bourreaux; que les viols, tueries, morts en exil ou en prison, comptes bloqués, l’embargo sur les médicaments ou la fermeture des banques font partie de ce que Vladimir Jankélévitch (1903-1985) appelle “l’impardonnable” et que pardonner l’impardonnable, c’est devenir “inhumain” et faire preuve d’idiotie, ajoute le philosophe français d’origine russe (cf. “L’imprescriptible”, Paris, Éditions le Pavillon, 1971). Rien ne nous oblige à devenir inhumains et idiots. Et l’Histoire nous enseigne que rien n’est plus précaire qu’une réconciliation de façade. La Côte d’Ivoire mérite mieux qu’une pseudo-réconciliation.
Jean-Claude DJEREKE