Si la Côte d’Ivoire avait une société politique responsable, une représentation nationale digne de cette noble mission, à elle confiée, une haute idée de notre pays et des fonctions publiques, elle s’offusquerait et condamnerait de manière unanime les attitudes et propos de certains responsables politiques, lorsqu’ils sont inadmissibles. Dans les autres pays, lorsqu’il y a entorse au pacte républicain (attachement commun à un bloc de principes et d’usages), c’est la classe politique dans son entier, qui interpelle l’intéressé en élevant de vives protestations. À défaut de le faire, c’est la République qui est menacée dans ses fondements idéologiques et son fonctionnement institutionnel. C’est aussi, les hautes fonctions de l’État qui s’en trouvent abaissées et abîmées. Ce n’est bon pour personne (opposition, majorité, entrepreneurs politiques), et encore moins pour l’intérêt de la Nation. Le jeu politique doit obéir à des règles républicaines claires et consensuelles. N’oublions jamais que l’État est une continuité.
Dans toute Nation, la société politique s’accorde sur des fondamentaux, tels que la protection de l’image du pays à l’étranger, la protection des intérêts nationaux, etc… C’est la limite minimale où disparaissent les différences. Un tel comportement est l’indication de son degré de maturité et de responsabilité. Je suis triste qu’il en soit autrement en Côte d’Ivoire. Après avoir écouté les propos de notre Président de l’Assemblée Nationale à la garden party qu’il a donné au Canada dernièrement pour s’entretenir avec nos compatriotes qui y vivent, je suis surpris de l’absence de réaction de la part de la société politique. On n’imagine pas le pareil, de la part de ses prédécesseurs les présidents Félix Houphouët-Boigny (1953-1959), Philippe Yacé (1959-1980), Henri Konan Bédié (1980-1993), Charles Donwahi (1994-1997).
Je précise toutefois, si de besoin, qu’il n’est pas la seule personnalité politique à tenir un tel langage, même si je loue son ouverture d’esprit, sa simplicité, sa disponibilité et son effort pour rendre ce type de rencontres plus fraternelles que protocolaires. Néanmoins, ses bonnes dispositions ou qualités, n’oblitèrent pas le reste, notamment le fond du discours.
En effet, je suis consterné par la qualité de cet entretien. La tenue, le niveau, le langage, et les propos de cette causerie/rencontre n’honorent ni la fonction, ni l’Institution. Le discours qui y a été tenu comporte des registres implicites qui décrivent la Côte d’Ivoire comme étant une République bananière, avec une classe politique bouffonne et possède des métaphores très allusives qui pointent les autorités du pays à partir de l’étranger. C’est incompréhensible de la part du 3ème personnage de l’État, surtout en mission de représentation du pays à l’extérieur. Nous pouvons respecter la Côte d’Ivoire, quelles que soient nos ambitions et nos sensibilités. Les principes républicains et les usages diplomatiques veulent que les questions de politique intérieure ne se traitent pas à l’extérieur, sauf à respecter les principes de solidarité gouvernementale et d’unité nationale lorsqu’on est en responsabilité et en représentation. Ces principes se déduisent du fait que vous y êtes avec les moyens de la Nation entière, et que vous vous y exprimer en son nom, même dans un entretien convivial avec ses propres concitoyens. Par ailleurs, on est pas en campagne électorale.
J’observe aussi que le Président de l’Assemblée Nationale incarne un pouvoir constitutionnel du régime en place, et qu’il appartient encore aux instances dirigeantes du Parti qui exerce le pouvoir. Dès lors, il est indécent de se désolidariser de ceux-ci, de caricaturer le pays que l’on représente et de mettre en cause ses dirigeants. C’est un manquement à la fonction (ce n’est pas une visite privée) et un fâcheux précédent. Il est remarquable que c’est son parler naturel. Celui-ci n’élève pas la fonction. Nous devons avoir une autre idée, une autre image de notre pays et de nos hommes politiques. Aussi, ceux-ci devraient faire un véritable effort pour relever le niveau de la pratique politique en Côte d’Ivoire. Même le débat politique en souffre, parce qu’il n’adresse pas l’intérêt général et n’est empreint d’aucune élégance morale. Il est temps que cela change. C’est désormais à la société civile d’être le moteur de cette mutation. Nos politiques ne se permettraient jamais les comportements qu’ils ont dans certains pays, notamment du Nord, parce que la société civile ne les laisserait pas faire.