Publiée par Lebanco.net
A Raleigh, la capitale de la Caroline du nord (Etats-Unis) depuis quelque temps « pour voir la famille », Tiburce Koffi répond aux questions de Lebanco.net. Présidentielle de 2020, Guillaume Soro, Henri Konan Bédié, etc., l’homme de Lettres parle.
Lebanco.net : Un petit tour à Abidjan et puis s’en va. Pourquoi Tiburce Koffi n’est pas resté à Abidjan, après son retour d’exil ?
Je l’ai déjà dit à d’autres organes de presse : je suis venu retrouver ma famille qui réside aux Etats-Unis : mon épouse, nos enfants, notre petit-fils. J’ai été éloigné de ces êtres chers pendant ces trois dernières années où je me suis vu contraint par les événements que vous savez, de demander asile en France.
Comment avez-vous trouvé le pays, depuis votre dernier séjour ?
Il y a deux plusieurs aspects dans la vie d’un pays : le visuel et donc visible, et le non matériellement constatable ; c’est-à-dire la vie mentale des gens, leurs soucis, leurs attentes, leurs déceptions et satisfactions, leurs espoirs, etc. Sur le premier plan, j’ai retrouvé un pays en plein essor économique. Cela se traduit par les défis infrastructurels que le régime relève, avec bonheur, il faut le reconnaître. Ma grande satisfaction à propos de ce régime est vraiment le rendement. Alassane Ouattara est un président productif. Un bosseur. Un homme soucieux de laisser des traces durables : un bâtisseur. Je reviendrai sous peu sur cet aspect du personnage. Bref, c’est un homme qui a des options claires : l’économie comme voie de salut. Je dirais que c’est de l’économisme, c’est-à-dire, l’économie érigée en doctrine et foi. Ecoutez, à moins d’être vraiment de mauvaise foi, on ne saurait nier tout ce travail qui a été abattu et qui signe le passage, à mon avis, réussi, d’un dirigeant de caractère à la tête de ce pays. Ouf, ai-je envie de dire ! Car nous en avions et en avons besoin, après les temps de bavardages, de fainéantise et d’inefficacité qui ont caractérisé les deux régimes qui ont précédé Ouattara : Bédié et Gbagbo. Oui, dans l’ensemble, je suis content du travail abattu, sur le plan infrastructurel. Mais il y a encore tant et tant de choses à faire.
Quoi, par exemple ?
Le point faible de ce régime, c’est le volet social de l’embellie économique, l’envers de la médaille, en somme. Ici, vous avez, d’un côté, le chef et ses partisans qui vivent dans l’opulence ; de l’autre, la masse des démunis qui se débrouillent. Il s’agit d’une paupérisation choquante, et il faut rectifier le tir. Un autre aspect regrettable, c’est le volet politique : trop de prisonniers politiques, trop de mépris des droits de l’homme. Ici, il faut qu’on arrête de dire qu’il n’y a pas de prisonniers politiques en Côte d’Ivoire. Mme Simone Gbagbo, Samba David, Lida Kouassi, entre autres, sont bel et bien des prisonniers politiques. Il faut noter aussi que le régime n’a pas pu relever le défi de la réconciliation. Mais ne nous faisons pas d’illusions sur ce chapitre : le président Ouattara n’aura pas et n’a pas le temps de régler cette question, c’est un autre régime qui s’en chargera.
Lui s’est donné des urgences : réhabiliter et améliorer le tissu industriel et infrastructurel du pays mis en mal par ceux qui l’ont précédé, notamment le régime de Gbagbo, redonner vie économique au pays, rassurer les partenaires de l’extérieur de la fiabilité retrouvée de notre pays, rétablir la qualité dégradée du Protocole d’Etat par ses représentations extérieures, donc la diplomatie, etc. La tâche est immense. Et l’homme s’est fixé des échéances pour réaliser ces grandes tâches et de Grands Travaux pour la Côte d’Ivoire de demain. C’est un modèle de dirigeant pragmatique. J’avoue que je le comprends, sur ces points. Et je réitère l’admiration que j’ai toujours éprouvée pour lui sur ces questions-là, nonobstant quelques réserves qui, finalement, ne sont peut-être pas aussi importantes que je le pense. Bref, il faut retenir l’essentiel de cet homme qui, par les performances accomplies, aura signé, à la fin de ses mandants, les plus belles pages de l’après Houphouët-Boigny car les deux premiers des héritiers qui lui ont succédé n’ont pas vraiment été à la hauteur de la tâche, il faut le reconnaître. Cela a toujours été mon avis. Et tant pis pour ceux qui ne seront pas contents de lire ça !
Quand l’intellectuel critique aujourd’hui d’autres intellectuels qui se taisent sur les “dérives” du pouvoir Ouattara, ne parle-t-il pas un peu de lui-même, lui qui s’étant aujourd’hui allié à Guillaume Soro, loue ce dernier et justifie même ces dérives ?
Il y a trois ou quatre questions ici, en un seul volet. Allons de manière plus méthodique, étape par étape. D’un : vous m’apprenez que moi, Tiburce Koffi, je me tais sur les dérives du pouvoir Ouattara. Je ne suis pas sûr que le Président Ouattara et ses collaborateurs aient cette même lecture que vous faites de moi, car je peux vous le dire, je ne suis pas en odeur de sainteté là-bas, malgré les apparences. Certes je compte des amis de haut rang au sein de l’appareil étatique ; mais ce sont des relations plus affectives que politiques. Et puis, ce que vous dites-là est absolument faux. L’actualité dément vos propos. Je viens de publier, il y a à peine une semaine, un article très critique à l’encontre du régime. Et je sais qu’ils sont encore fâchés contre moi. Et sans doute que ma peau doit être, encore, mise à prix par les cerbères et les requins du chef. Parce qu’ils n’arrivent pas à comprendre mon personnage. Pour moi, soutenir un régime ne revient pas à offrir chaque jour, un bouquet de fleurs au Chef de l’Etat, mais à adapter des attitudes alternatives relatives au travail accompli ; c’est-à-dire, féliciter le régime quand c’est bon ; et aussi, pointer du doigt les insuffisances que l’on a relevées, de bonne foi. C’est à ces conditions qu’ils peuvent s’améliorer.
Je ne crois pas aux vertus de la louange continue. La Bruyère, je crois, disait : « Amas d’épithètes, mauvaises louanges. » Or, et vous le savez, nos régimes nègres n’adorent que les gens qui disent des poèmes au chef de l’Etat. Non, ce n’est pas mon style. On me prend tel que je suis, ou on me rejette. C’est aussi simple que ça. Mon soutien à M. Ouattara demeure, et il le sait car je le lui ai répété à Paris au cours d’une audience qu’il m’avait accordée. Soutien, oui ; mais je garde mon esprit critique et ma personnalité en me réservant le droit de dire « oui » quand ça me paraît utile de le dire, et de dire aussi « non », si j’estime que telle option ou telle mesure n’est pas bonne. Je ne suis pas ministre pour être obligé de me taire par devoir de réserve.
Aujourd’hui vous êtes allié à Guillaume Soro, et vous louez ce dernier et justifiez même ces dérives ?
Encore trop de questions. Allons pas à pas. Allié de Soro ? Oui, je suis l’allié de M. Guillaume Soro. Et alors ? Qui n’a pas été allié de M. Soro dans ce pays ? Même Laurent Gbagbo, alors opposant, l’a été ; devenu chef de l’Etat, il l’a été. Et son admiration pour M. Soro était sans limites, au point où il a affirmé un jour, hautement et sur un ton d’une euphorie délirante, que Soro a été le meilleur de ses Premiers ministres. La déclaration est chargée de conséquences et de sens graves, car je vous rappelle que le Président Gbagbo avait eu auparavant comme Premier ministre Affi Nguessan, Seydou Diarra et Charles Konan Banny. Je ne connais pas le cursus administratif et technocratique du premier, mais les deux derniers, Seydou Eylimane Diarra et surtout Charles Konan Banny étaient de hauts technocrates, dotés d’expériences administratives internationales incontestables. Si Guillaume Soro a pu les surclasser, et je n’ai aucune raison de douter de la bonne foi de M. Gbagbo, c’est que c’est un Monsieur hyper compétent ! Enfin, j’aimerais vous dire que les ¾, sinon toute la classe politique actuelle a été alliée de M. Guillaume Soro. Il a dirigé tous ces gens-là. Tous lui ont obéi et l’on salué avec respect et obséquiosité. En bons subalternes. Haut mérite : c’est bien Guillaume Soro qui a porté au pouvoir l’actuel chef de l’Etat. Et tous, ont vanté ses mérites. Vrai ou faux ? Pourquoi cela ne vous a-t-il jamais choqué ?
Est-ce pourquoi vous le louez aujourd’hui, et justifiez même ces dérives ?
Je ne reconnais pas avoir loué M. Guillaume Soro. Je n’ai jamais loué un homme. Si je devais louer des êtres humains, ce seraient mon père et ma mère. Je ne loue que Dieu. Et même si Dieu prend parfois le plaisir de s’incarner en un être humain, je reste convaincu que Guillaume Soro n’est pas Dieu. Il est très loin de l’être. Et je ne crois pas même que ce soit dans ses intentions de se prendre pour Dieu. Je le répète, c’est un monsieur intelligent. Très intelligent même.
Vous semblez oublier ses dérives.
Quelles dérives ?
Il a dirigé la rébellion.
Ah ! Vous vous parler des dérives de la rébellion ? Ecoutez, ceci n’a rien à voir avec nos rapports. Je ne connais pas le rebelle Soro, car je n’ai jamais eu à travailler avec ce personnage que je n’avais jamais rencontré durant ces folles années 2002-2011. J’avais même refusé de le rencontrer. A l’exception du Pr Zadi, les témoins de ces circonstances sont encore vivants. Donc je n’ai rien à voir avec le chef de la rébellion qu’il fut et qui a dirigé la Primature et commandé à des ministres de la république. Moi je vous parle de l’actuel Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Kigbafori Soro, l’élu des élus du peuple ivoirien. Et je ne crois pas que M. Soro ait pointé un pistolet sur la nuque de chaque député pour l’obliger à voter en sa faveur. Ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui ont voté librement « non » ; et rien ne leur est arrivé. Est-ce moi qui ait fait de lui l’élu des élus de ce pays ? Vous voyez donc qu’il s’agit là d’un haut personnage de l’Etat ayant deux légitimités ; donc d’un homme politique qui me paraît plus légitimé à nous diriger que le chef de l’Etat qui, lui, n’a qu’une seule légitimité. Alors, où est le problème qu’il y a à collaborer avec lui ? Voulez-vous me dire que le Parlement ivoirien est une Assemblée de délinquants et de proscrits de la république ?
Pour terminer, sachez que c’est M. Guillaume Soro qui est venu vers moi, et non moi vers lui. Je considère cette démarche comme une marque de respect. Et j’ai été éduqué à respecter ceux qui m’ont manifesté du respect. Oui, je suis l’allié de Guillaume Soro pour 2020. Et alors ? Le président Ouattara a dit clairement aux Ivoiriens et au monde entier qu’il ne sera pas candidat en 2020. Sans doute qu’il aurait été mon candidat. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On va attendre Godot ? Moi j’ai trouvé Soro comme successeur valable. Et comme je n’ai pas pour habitude de taire mes convictions et de nager en eaux troubles, j’ai déclaré mes options. Personne n’est obligé de me suivre. Mais nul n’a non plus le droit de m’empêcher d’exprimer mes choix. On est en démocratie. C’est aussi simple que ça.
Tiburce avait annoncé sa candidature en 2010, avant de se retirer. Sera-t-il candidat en 2020 ?
Candidat en 2020 ? Certainement pas, puisque j’ai mon candidat : Guillaume Soro. N’est-ce pas suffisamment clair ?
Entretien realisé par René Tiecoura à Washington, DC