Yamoussoukro, Hôtel Président

Dr. Aïcha Yatabary, Écrivaine

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Je lui offris un sourire énigmatique en guise de réponse. Si j’étais pour la subtilité et la pudeur, jouer les candides effarouchées ne relevait pas non plus de mon domaine de prédilection.
Ayant envie de savoir plus sur Armed que sa simple activité professionnelle, le fait qu’il aimait beaucoup sa mère et qu’il vivait en France, à Paris, j’engageai la conversation sur un ton plus intimiste.
Je voulu savoir s’il était en couple et il me répondit que non. Il ne portait pas d’alliance.
Je voulu aussi connaître son âge.
37 ans, me répondit-il.
Ma question suivante était de savoir s’il comptait m’appeler pendant son séjour à Yamoussoukro. Il me répondit encore qu’il ne pensait qu’à ça.
Il semblait sincère. C’était en tout cas ce que mon intuition me soufflait.
Je m’inquiétais du fait qu’il ne s’étonne pas de m’avoir trouvée dans un tel état, une heure plutôt. Il fallait quand même qu’il me trouve spéciale pour ne pas s’étonner de m’avoir rencontrée chaussée d’un seul pied, les vêtements déchirés et en sueur…
Il sourit avec bienveillance quand je m’en ouvris à lui.
-Depuis l’instant où mon regard s’est posé sur toi, j’ai su que tu n’étais pas comme les autres. Tu es unique.
Quelle aventure t’est-il encore arrivé cette fois ?

Je remarquai que nous étions subtilement passés du vouvoiement au tutoiement.

Je lui racontai ma mésaventure et après que nous en ayons rit aux éclats, nous nous rendîmes compte que le café était devenu froid.
Mon séjour, à son tour, était subitement redevenu silencieux. Je voyais son cœur palpiter, à travers les tressaillements de son badge, fixé contre sa poitrine, sur sa veste. Ses mains tremblaient, quand il voulut se saisir de sa tasse de café. Quelques gouttes du liquide noir atterrirent sur la table. Les miennes aussi tremblaient, lorsque je voulu faire de même.
Le parfum de mon diffuseur d’ambiance, dans ma salle de séjour, discrètement fixé à un meuble, enveloppait l’atmosphère de notes de jasmin blanc et de musc. Une brutale et violente impression de familiarité nous saisissait.
-Tu es sûre que ce n’est que la deuxième fois que nous nous rencontrons ? demanda-t-il sur un ton qu’il voulut taquin, même si je devinais que son interrogation était sérieuse.
Je me posais moi-même la question.
Après ce genre de blanc, de minutes spéciales et précieuses, les mots sont anodins, indécents, bruyants, encombrants.
Il déposa sa tasse- il avait bu son café, froid, sans s’en rendre compte – et murmura:
Je dois vraiment retourner à l’hôtel Président. J’avais une réunion prévue dans la demi-heure quand je t’ai rencontrée et elle ne pourra débuter en mon absence. Mais je serai heureux de dîner avec toi ce soir.

C’était déjà entendu.

Ce soir là, quand je suis arrivée dans l’enceinte du restaurant de l’hôtel Président, avec une quinzaine de minutes de retard, Armed était installé à la meilleure table. Vêtue de ma robe rouge et d’escarpins de la même couleur à talons cuivrés, assortis à mes boucles d’oreilles, je me dis qu’enfin, il me verrait bien habillée. J’espérais surtout qu’aucune maladresse ne viendrait briser le charme de ce tête à tête.
Assis l’un face à l’autre, j’avais tout le loisir à présent d’apprécier ses yeux qui pétillaient en plongeant dans les miens. Cette effervescence dans le regard, cette lueur vive et brûlante, incandescente, n’avait rien de lubrique. Elle avait la profondeur des choses vraies et simples qui ne savent pas se dissimuler.
Nous avons dégusté un velouté de courgettes, fin et délicat, extrêmement agréable au palais, suivi de coquilles Saint Jacques accompagnées de Tagliatelles, cuisinées avec raffinement et simplicité, pour finir notre repas avec une exquise tarte aux myrtilles en guise de dessert.
La lumière dans ses yeux était toujours présente, aussi vive, et elle faisait s’allumer les miens à leur tour.
Quand il posa avec une précaution infinie ses lèvres sur ma main frissonnante, je me rendis compte que le bonheur tenait à peu de choses. Que les choses vraies étaient les meilleures. Que les choses simples et profondes étaient les plus précieuses.
Je me disais que je saurais trouver dans ces sentiments naissants, l’inspiration pour une belle histoire. Celle entre deux êtres d’esprit qui sauraient convertir leur chair en émotions subtiles et brûlantes.
Ratja et Abha, tels seraient le nom de mes prochains personnages. Ils seraient tous deux Indiens. J’avais lu quelque part la signification du prénom Abha: éclatante. Elle, issue de la noblesse indienne, serait d’une beauté à couper le souffle, et lui, issu du rang des intouchables, serait amoureux au-delà du seuil du raisonnable. L’amour, universel, ne traversait-il pas les continents, les âges et la couleur de la peau ?

Je voulais ainsi insuffler de la magie et de la poussière d’étoiles à notre idylle naissante.

Fin