Le restaurant
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– Ça va ? S’inquiéta-t-il, même si tout (en dehors de ma mine impassible) indiquait que non.
– Que faites-vous là ? Aussitôt cette question sortie de ma bouche, je me ressaisis. Quel manque de courtoisie de ma part ! Ravie, fis-je en tendant la main pour saluer Armed.
Il l’enferma dans la sienne, puis eut son sourire en coin qui me mettait hors de moi, tant il m’exaspérait.
– Vous êtes sûre que vous ne voulez pas entrer prendre un verre d’eau? Vous avez l’air vraiment mal en point, me proposa-t-il en me montrant le restaurant du doigt.
Et il porta un regard insistant sur moi, de haut en bas. J’affichais piètre mine. Un café plutôt, ne serait pas de refus, pour me remettre de mes émotions engendrées par la balade en calèche, me dis-je. Et chez moi plutôt. Comment pourrais-je m’installer à un bar dans cet état ?
– Avec plaisir, mais je vous invite dans ma modeste demeure, pour un café.
C’était tout moi ça. Je marchais à l’intuition. Je pouvais faire confiance à un inconnu et agir en conséquence sans me préoccuper de ce que les gens pourraient en penser. Et j’avais confiance en cette personne qui se tenait près de moi en cet instant. Mon intuition ne me trompait que rarement.
Dans ma voiture, en direction de mon domicile, je questionnai Armed sur la raison de sa présence dans la ville.
– Je suis en mission.
Il n’en dit pas plus.
Je vivais dans un petit appartement cosy, douillet et à l’ambiance feutrée. Comme j’aimais le silence et les choses simples, voir minimalistes, même le vent y murmurait. Même les chaussures effleuraient le tapis ancien, plutôt que de le frôler.
Il fut toutefois ahuri par la pile de Jeune Afrique, le magazine d’actualité politique et économique africaine, qui trainait sur ma table basse. J’avais en ma possession tous les numéros mensuels disponibles aussi loin que j’avais pu en avoir, depuis que je m’intéressais à la politique. Il y avait aussi des numéros du Monde diplomatique et du Figaro. Je lui avouai que j’étais passionnée de politique, entre autres.
Autre stupéfaction d’Armed dans ma cuisine, ma collection de café : du Guatemala, du Mexique, d’Ethiopie. De plus, je faisais mon café à l’ancienne : dans une cafetière italienne.
Cette fois-ci, la stupeur dans son regard s’accompagna encore de son sourire en coin.
J’exigeai qu’il me révèle enfin la signification de ce fameux sourire qui ne le quittait pas dès qu’il était face à moi. Il refusa de prime abord. Comme j’insistais, il finit par se lancer :
– J’ai lu dans une revue très sérieuse, un sexologue expliquer qu’il y avait dix signes insolites pour reconnaître une femme inoubliable comme amante, et ceux que j’ai retenus sont dans l’ordre: elle a le sens de l’humour, elle est intelligente, elle rit beaucoup, elle aime le café, elle s’intéresse à la politique, elle mange lentement, elle n’hésite pas trop sur ce qu’elle veut manger, elle est gauchère, elle maintient un contact visuel, elle est bonne danseuse. La seule chose que je n’ai pas encore relevée, vous concernant, est de savoir si vous êtes bonne danseuse. Êtes-vous bonne danseuse? Me demanda-t-il avec innocence. Une innocence qui sonnait faux, vu la lueur d’amusement dans son regard.
Si j’aimais les interlocuteurs francs et directs, on pouvait dire que j’en avais trouvé un. De plus, Armed était tellement élégant qu’il ne pouvait passer pour un goujat, même quand il abordait des questions de sexologie en présence d’une femme qu’il ne connaissait pas vraiment.