« Voir la présence de Dieu dans la chair du Crucifié »
Par Mgr Follo
« Transfiguration du Christ pour transfigurer le regard humain, qui rend capable de voir la présence de Dieu dans la chair du Crucifié »: c’est le thème de cette méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures de la messe de dimanche prochain, 25 février 2018, deuxième dimanche de carême (Année B: Gn 22,1-2.9.10-13.15-18; Ps 115; Rm 8,31-34; Mc 9,2-10).
« Aujourd’hui nous arrivons au Mont Tabor, le lieu de la Transfiguration qui manifeste la vérité resplendissante du Christ, pour permettre à celui qui le suit d’arriver à Pâques non pas malgré la Croix mais à travers la Croix en partant du désert qui rappelle que la vie humaine est un exode », explique Mgr Follo qui ajoute: « Notre chemin du Carême est un retour à la maison qui passe par le désert, lieu de l’épreuve et de la rencontre avec Dieu. »
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France), propose ensuite comme lecture patristique une homélie de saint Jean de Damas ( vers 676 – 744) sur la Transfiguration du Christ.
AB
Transfiguration du Christ pour transfigurer le regard humain, qui rend capable de voir la présence de Dieu dans la chair du Crucifié
I.Tentation et Transfiguration.
Lors du premier dimanche du Carême, nous avons contemplé le Christ surmonter l’épreuve de la faim. Il ne s’agissait pas seulement d’une faim corporelle. Comme chaque être humain Jésus eût trois faims:
1. faim de vie, qui tente l’homme à la possession et à l’accumulation démesurée de biens matériels. Pour cela le démon lui demanda de transformer les pierres en pain ;
- faim de relations humaines qui peuvent être d’amitié ou de pouvoir. Le diable tente le Christ de satisfaire cette faim en lui offrant le pouvoir ;
- faim d’omnipotence qui pousse à étouffer le désir de Dieu, c’est-à-dire l’aspiration de l’infini et de liberté sans limites. Cette faim induit à la tentation de planifier sa propre existence selon les critères humains de la facilité, du succès, du pouvoir, de l’apparence, en cédant à la tentation d’adorer le Mensonger (dont le nom en grec est : diable) au lieu d’adorer le vrai Amour providentiel.
Le Messie a vaincu la tentation de ces trois faims, en utilisant comme critère de discernement celui de la fidélité au projet de Dieu auquel il adhérait pleinement et dont Lui était la Parole faite chair pour nous sauver.
Imitons l’exemple du Christ en « utilisant » la Parole de Dieu comme instrument qui est mis à notre disposition pour comprendre la volonté de Dieu et vaincre la tentation de ces trois faims : de vie, d’amour et de pouvoir, de relations et de Dieu : « Lorsque tu es pris par les morsures de la faim – c’est-à-dire de la tentation – laisse la Parole de Dieu devenir ton pain de vie, laisse le Christ être ton Pain de vie » (saint Augustin d’Hippone).
Le chemin que le deuxième dimanche du carême ouvre devant nous, va du désert – le lieu de l’épreuve, de la rébellion où le tentateur, l’accusateur habite (Ier dimanche de Carême) – à la montagne de la Transfiguration, lieu de la manifestation de Dieu, de sa révélation, de sa sainteté.
Aujourd’hui nous arrivons au Mont Tabor, le lieu de la Transfiguration qui manifeste la vérité resplendissante du Christ, pour permettre à celui qui le suit d’arriver à Pâques non pas malgré la Croix mais à travers la Croix en partant du désert qui rappelle que la vie humaine est un exode. Notre chemin du Carême est un retour à la maison qui passe par le désert, lieu de l’épreuve et de la rencontre avec Dieu.
En effet Jésus nous dit « celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et me suive » (Lc 9,23). Il nous dit que, pour arriver à la lumière avec lui et à la joie de la résurrection, à la victoire de la vie, de l’amour, du bien, nous aussi, nous devons prendre la croix de chaque jour, comme nous le dit une belle page de l’Imitation du Christ : « Prends donc ta croix et suis Jésus ; ainsi tu entreras dans la vie éternelle. Il t’a précédé en portant sa croix (cf. Jn 19, 17) et il est mort pour toi, afin que tu portes ta croix et que tu désires être, toi aussi, crucifié. En effet, si tu meurs avec lui, tu vivras avec lui et comme lui. Si tu as été un compagnon dans la souffrance, tu seras un compagnon dans la gloire aussi » (L. 2, c. 12, n. 2)
Donc, méditons ensemble les faits présentés de ces deux dimanches parce qu’ils anticipent le mystère pascal : la lutte de Jésus avec le tentateur anticipe le grand duel final de la Passion, tandis que la lumière de son corps transfiguré anticipe la gloire de la Résurrection. D’une part nous voyons Jésus pleinement homme qui partage même la tentation avec nous et d’autre part, nous le contemplons comme Fils de Dieu qui divinise notre humanité.
II.Exode de Transfiguration.
Aujourd’hui, donc, l’exode, c’est-à-dire le chemin de libération que nous sommes appelés à effectuer, est bien celui de la contemplation. Grace à la contemplation, la prière devient un regard et notre cœur qui est le centre de notre âme, s’ouvre à la lumière de l’amour du Christ.
De cette façon, nous pouvons comprendre quel est le chemin que la liturgie de ce dimanche nous indique : celui d’un pèlerin qui accomplit l’exode qui le conduit à la Terre promise : la vie éternelle avec le Christ.
Un chemin imprégné de nostalgie, constellé de précarité et de faiblesse, mais plein d’espérance, celle de ceux qui ont le coeur blessé par l’Aimé et comblé de lumière « parce que la luminosité qui caractérise l’événement extraordinaire de la transfiguration, en symbolise le but : illuminer les esprits et les coeurs des disciples afin qu’ils puissent comprendre clairement qu’il est leur Maître. C’est un éclat de lumière qui s’ouvre soudainement sur le mystère de Jésus et illumine toute sa personne et toute son histoire » (Pape François).
Il est vrai que suivre le Seigneur est d’être crucifié avec lui. Il est vrai qu’à chaque pas, les blessures de la douleur nous transpercent le coeur. Le mal est vrai, le péché est vrai, la mort est vraie. Mais la Transfiguration de tout est aussi vraie, la beauté qui surmonte et donne un sens à chaque chose est vraie : « Dans la passion du Christ, l’expérience du beau reçoit une nouvelle profondeur, un nouveau réalisme. Celui qui « est la beauté en soi » s’est laissé frapper sur le visage, couvrir de crachats, couronner d’épines. Mais c’est vraiment sur ce visage défiguré qu’apparaît l’authentique, l’extrême Beauté de l’Amour qui aime « jusqu’a la fin » en se montrant ainsi plus fort que tout mensonge et toute violence.
Un exemple de percevoir cette beauté transfigurée nous vient des vierges consacrées. Ces femmes témoignent de façon particulière trois aspects spécifiques du chrétien.
Le premier est celui de se donner au Christ en abandon total parce qu’elles se fient amoureusement à son amour « qui n’hésite pas à se déshabiller de la beauté extérieure, pour annoncer de cette façon la vérité de la beauté (Joseph Ratzinger). Avec la virginité consacrée, ces femmes annoncent la beauté crucifiée, la beauté transfigurée, la beauté du Christ qui est notre vraie beauté.
Le deuxième est celui de témoigner dans leur propre existence virginalement vécue, la nécessité de descendre du Mont pour retourner à la mission d’évangélisation du Seigneur, mission qui passe par la croix et proclame la résurrection qui n’est que la transfiguration rendue éternelle dans l’Humanité du Seigneur.
Le troisième est celui de montrer que l’écoute est la dimension principale du disciple du Christ. L’évangile d’aujourd’hui nous dit : « Celui-ci est mon fils, le Bien Aimé : écoutez-le » (Mc 9,7).
Dans un monde qui a l’habitude de « parler » beaucoup (il vaudrait mieux dire « bavarder »), ces femmes se mettent à l’écoute constante de la Parole et à l’exemple de la Vierge Marie elles deviennent « vierges de l’écoute et mères de la Parole ».
A tous, le Père demande d’être des auditeurs de la Parole dont les paroles sont paroles de vie parce qu’à travers la croix, elles purifient et unissent à Dieu et aux frères.
Cette Parole a besoin d’un lieu (notre coeur). Elle a besoin d’y descendre jusqu’au fond et d’y mourir comme une semence pour s’enraciner, pour grandir et germer, et résister aux tempêtes et aux intempéries, comme une maison construite sur un rocher.
Cette Parole a besoin de silence pour être écoutée, attentivement. Le silence intérieur et extérieur est nécessaire pour que cette parole soit écoutée. C’est cela un point difficile pour nous aujourd’hui. En fait, notre époque est une époque qui ne favorise pas le recueillement. Bien au contraire, parfois nous avons l’impression que nous avons peur de nous détacher, même pour un instant, de ce fleuve de paroles et d’images qui remplissent nos journées.
La vie réservée, discrète des vierges consacrées montre combien il est important de nous éduquer à la valeur du silence parce que nous accueillons la parole de Dieu dans la vie personnelle et ecclésiale en valorisant le recueillement et le calme intérieur. Sans le silence nous n’entendons pas, nous n’écoutons pas, nous ne recevons pas la Parole et ce qu’elle nous dit. L’observation de Saint Augustin est toujours valable : « Verbo crescente, verba deficiunt », c’est-à-dire : « lorsque le Verbe de Dieu grandit, les paroles de l’homme diminuent ».
Lecture patristique
Saint Jean de Damas ( vers 676 – 744)
Homélie sur la Transfiguration du Seigneur, 16-18 (PG 96, 572-573)
Voici qu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre (Mt 17,5), et les disciples furent saisis d’une crainte glus grande en voyant Jésus le Sauveur, avec Moïse et Élie dans la nuée.
Jadis, il est vrai, quand Moïse vit Dieu, il entra dans la divine nuée, donnant ainsi à entendre que la Loi était une ombre. Écoute ce que dit saint Paul: La Loi, en effet, n’avait que l’ombre des biens à venir, non la réalité même (He 10,1). Israël, en ce temps-là, n’avait pas pu fixer les yeux sur la gloire passagère du visage de Moïse (Co 3,7). Mais nous, le visage découvert, nous reflétons la gloire du Seigneur et nous sommes transformés d’une gloire en une gloire plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit (Co 3,18).
Aussi la nuée qui couvrit les disciples de son ombre n’était-elle pas remplie de ténèbres – car elle ne les menaçait pas – mais de lumière. En effet, le mystère resté caché depuis les siècles et les générations a été révélé (Col 1,26) et la gloire perpétuelle et éternelle est manifestée. Voilà pourquoi Moïse et Élie, aux côtés du Sauveur, personnifiaient la Loi et les Prophètes. Celui qu’annonçaient la Loi et les Prophètes, c’est, en vérité, Jésus, le dispensateur de la vie.
Et une voix sortit de la nuée, qui disait: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour; écoutez-le! » (Mt 17,5).
Tels sont les mots du Père sortis de la nuée de l’Esprit: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, lui qui est homme et apparaît tel. Hier, il s’est fait homme, a vécu humblement parmi vous, et maintenant son visage resplendit. Celui-ci est mon Fils bien-aimé, lui qui est avant les siècles. Il est le Fils unique de l’Unique. Hors du temps et éternellement il procède de moi, le Père. Il n’a pas accédé après moi à l’existence, mais, de toute éternité, il est de moi, en moi et avec moi. »
C’est par la bienveillance du Père que son Fils unique, son Verbe, s’est fait chair. C’est par sa bienveillance que le Père a accompli, dans son Fils unique, le salut du monde entier. C’est la bienveillance du Père qui a fait l’union de toutes choses en son Fils unique. Car l’homme est par nature un petit monde, portant en lui-même l’union entre toute essence visible et invisible, du fait qu’il est à la fois l’une et l’autre. Vraiment, il a plu au Maître de toutes choses, au Créateur qui gouverne l’univers, d’unir en son Fils unique et consubstantiel la divinité et l’humanité, et, par celle-ci, toute créature, pour que Dieu soit tout en tous (1 Co 15,28).
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, le resplendissement de ma gloire, l’empreinte de ma substance (cf. He 1,3), par qui aussi j’ai créé les anges, par qui le ciel a été affermi, et la terre établie. Il porte l’univers par sa parole toute-puissante et par le souffle de sa bouche, c’est-à-dire l’Esprit qui guide et donne la vie. »
« Écoutez-le, car celui qui le reçoit, me reçoit, moi qui l’ai envoyé, non en vertu de mon souverain pouvoir, mais à la façon d’un père. En tant qu’homme, en effet, il est envoyé, mais en tant que Dieu, il demeure en moi, et moi en lui. Celui qui n’honore pas mon Fils unique et bien-aimé, ne m’honore pas, moi, le Père, qui l’ai envoyé. Ecoutez-le, car il a les paroles de la vie éternelle. »
Source : Zenit