Minga S. Siddick est un journaliste ivoirien installé au Mali. Son premier roman, La Femme de Dieu, publié aux éditions La Sahélienne se veut un livre dont la portée philosophique et les qualités littéraires ne font aucun doute. Nous avons rencontré l’auteur. Interview.

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L’histoire de Maïkan, devenue la folle de Dieu, a été rendue publique grâce à Maovi, un journaliste. Pourquoi faites-vous jouer ce rôle à un journaliste ?

Je me suis dit qu’il fallait une personne douée d’une intelligence critique et capable de mener à bien une mission qui nécessitait la collaboration avec les journalistes de l’ile de la Fernalie. Et comme les journalistes peuvent comprendre et aider plus facilement un des leurs, j’ai décidé de faire jouer ce rôle par un journaliste.

Au début du livre, vous vous attardez sur les réalités de la FERNALIE, un pays imaginaire où règne un dictateur. Pourquoi de la question politique qui ouvre le roman vous basculez dans une histoire d’adultère ?

En fait, cette œuvre est comme constituée de deux livres : Le prologue et l’épilogue qui ont comme personnage principal Maovi, du Bénin, puis « Quand le diable nous tire par la queue » qui est le manuscrit trouvé par Maovi. Il y a aussi un encart épistolaire intitulé « La main blanche » qui accompagne ce manuscrit.

Mais avant même le prologue, j’ai préféré présenté dans l’avant-propos le territoire sur lequel se déroule mon action : L’archipel des Cauris avec ses sept îles dont la Fernalie qui est une forme verlanisée de « infernal ». Il était important de savoir que ce pays est le reflet de chacun de nos pays africains. Le nom du dictateur n’est pas anodin : Gobon Tékon, c’est du verlan encore  une fois. Les syllabes renversées  nous donnent les noms de deux dinosaures africains ! Le contexte est un prétexte pour moi, pour raconter l’aventure de la recherche de la folle. L’histoire de la folle (1988-2002) est totalement détachée de celle de Maovi (2007-2012). Il n’y a donc pas de basculement si l’on prête attention aux détails de la construction des deux histoires.

Ce titre qui donne l’impression d’un blasphème exprime-t-il votre intention de provoquer ?

Mon intention était de choquer – et non de blasphémer – en choisissant ce titre. Parce que si l’on accepte volontiers l’expression « homme de Dieu » pour un homme qui consacre sa vie à Dieu, je  voulais m’autoriser à dire « femme de Dieu » et entendre les réactions. Pour moi, si une œuvre de l’esprit laisse indifférent, c’est qu’elle n’est pas originale. Les créateurs doivent provoquer des électrochocs dont le but est de tirer les esprits vers le haut. Je suis fier de mon titre parce qu’il me permet de briser une glace mystérieuse qui me permet de voir à quel point certains croyants ne sont que des ignorants. Ils ne savent pas que la religion n’exclut pas l’intelligence et une approche pragmatique et discursive des choses. Condamner un livre rien que par son titre est aussi obscurantiste que crier « Allah’u’akbar » en activant une ceinture d’explosifs dans une foule.

C’est Maïkan qui porte le surnom de « La Femme de Dieu ». Pourtant son itinéraire et l’épilogue de ses frasques sont aux antipodes de ce surnom ?

Le titre « La Femme de Dieu » est d’abord une métaphore elliptique car il sous-entend « la femme qui est au service de Dieu ». C’est un titre-piège qui permet de mesurer le niveau de fanatisme de petits religieux dont la foi ne réfléchit pas. Et cette métaphore est doublée d’une antiphrase à forte connotation ironique car, cette femme n’a rien fait qui puisse lui faire mériter ce surnom de « femme de Dieu ». Mais on peut comprendre aussi qu’elle s’appelle elle-même ainsi en pleine folie ! On ne peut donc pas la condamner pour hérésie…

L’on a pu prédire dans l’œuvre que Maïkan allait faire des choses prodigieuses en accomplissant ce que sa mère, La Folle de Dieu n’a pu faire. Apparemment ce n’est pas ce qui s’est passé. Quelle explication vous donnez au destin de Maïkan ?

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MINGA S. SIDDICK, auteur de « La Femme De Dieu »

Lwanty, le mari de Maïkan  a été cocufié pendant une longue période sans qu’il n’ait le moindre soupçon. C’est quand même surréel…

En grossissant les traits d’une réalité, on en révèle toute la profondeur. Dans mon écriture, je tente de déconstruire le réel pour le reconstruire en le sublimant avec les ailes de mon imagination. J’ouvre le champ de tous les possibles. Vous verrez que les gens vivront des situations pires que celles de Lwanty (son nom signifie en dan « l’esclave noir », car il est aveuglé par son amour pour Maïkan (« J’ai fini la traversée ») dont il devient une sorte d’esclave sentimental, jusqu’au dénouement dramatique.

C’est un univers en décomposition que vous décrivez : il y a un tremblement de terre, des gens trahis, des gens  qui meurent, des gens qui perdent la raison, des gens amputés…Un commentaire ?

Oui, nous vivons dans un monde fou dirigé par des fous ! La nature dans ses éclats de colère, nous détruit en masse et nos dirigeants « au leadership bancal et de courte vue » dans leurs éclats de colère, nous tuent par milliers. Et il y a les esprits malins qui profitent du désordre pour faire régner leurs propres lois. Je veux, à travers ce tableau funèbre, montrer à quel point l’homme donne tort à Dieu de l’avoir créé à son image, tout en montrant les limites de la science qui n’arrive pas encore à maîtriser les catastrophes naturelles.

La présence de deux albinos aux destins tristes dans cette bouleversante histoire répond-t-elle à une raison spécifique ?

Oui. Le phénomène de l’albinisme m’intrigue depuis mon enfance. J’ai plusieurs fois entendu ma mère dire que je suis un albinos noir. Puis, au collège, j’ai eu mon premier contact avec un albinos blanc. Beaucoup d’élèves le fuyaient mais moi et quelques uns en avions fait un ami. Je me demandais toujours, pourquoi je suis albinos et différent de lui. Plus tard, j’ai connu d’autres albinos que j’ai approchés et côtoyés. Je me suis donc toujours senti concerné par la cause des albinos même si moi je n’ai pas la même peau qu’eux. J’en parle dans mon livre dans deux objectifs : premièrement dénoncer les crimes rituels dont ils sont victimes, ensuite je pars du postulat scientifique selon lequel le taux d’albinisme est toujours plus fort dans les régions où se pratiquent les mariages consanguins. Voilà pourquoi seuls les enfants de Maïkan conçus de Yonne sont albinos. Ceux de Lwanty sont ‘’normaux’’. Il en est d’ailleurs de même pour les deux folles du livre. Je ne veux pas qu’on regarde les fous comme des personnes seulement victimes de la drogue ou d’un mauvais sort. Il en existe qui sont victimes de  tares héréditaires. Je fais ainsi allusion à la prédisposition à la folie qui est très  marquée chez les personnes ayant (eu) un fou ou une folle dans leur ascendance.

Comment justifiez-vous les rapports incestueux entre Maïkan et Yonne ?

Entre Maïkan et Yonne, c’est le résultat de la promiscuité dans la famille qui ne dispose pas d’assez d’espace mais fait beaucoup d’enfants qui dorment ensemble. L’amour fraternel se transforme dans certains cas en un pseudo sentiment amoureux basé en réalité plus sur l’attrait de l’interdit que sur l’amour ou la passion. Alors, le passage à l’acte peut se faire rapidement. Les résultats peuvent être graves avec des anomalies génétiques dont l’albinisme n’est que le fanion.

Lorsqu’on ferme le livre, on a envie de demander : l’homme est-il le jouet du destin, du diable ?

L’homme qui privilégie la matière et les plaisirs, au détriment de la recherche  de la connaissance sera toujours le jouet du diable. Le destin, c’est ce que nous en faisons et, de temps en temps, Dieu nous ramène à l’ordre par un événement choc qui peut être douloureux mais qui nous aide à nous rendre compte de nos erreurs, si nous avons du discernement et de rectifier notre tir en retournant à Dieu. Voilà en quoi le diable peut effectivement être « au service de Dieu » comme l’affirme Karl Jaspers. L’obscurité nous aide à apprécier la lumière.

Pourquoi doit-on lire votre roman ?

Pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est un livre et que moi j’estime qu’il n’existe pas de mauvais livre en soi, dans la mesure où il y a toujours une leçon à apprendre quelque part mais surtout parce que ce livre a une construction innovante à découvrir. Ensuite parce que c’est un ensemble d’histoires dans lesquelles on peut se retrouver ou reconnaître quelqu’un. Enfin parce que, en plus de sa valeur métaphorique, ce livre recèle de nombreuses thèses philosophiques qui méritent d’être connues.

Je n’oublierai pas de préciser que ce livre peut aussi ouvrir un nouveau champ d’études pour chercheurs et étudiants en littérature non seulement à cause de son potentiel symbolistique mais aussi à cause de sa stylistique. Rien que pour toutes ces raisons, ce livre mérite d’être lu du début à la fin.

Interview réalisée par ETTY Macaire