Ce qu’il leur reproche

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L'abbé Jean-Claude Djéréké

L’abbé Jean-Claude Djéréké

Ancien prêtre du diocèse d’Abidjan, vivant à Ottawa au Canada, l’abbé Jean-Claude Djéréké est très attentif à la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire. Cet homme de Dieu, docteur en sociologie et enseignant dans une université canadienne, est très spontané en réaction sur l’évolution du débat politique ivoirien. Dans sa dernière contribution, intitulée ”Indemniser les victimes est nécessaire mais insuffisant pour une vraie réconciliation” et dont copie nous est parvenue, l’homme en soutane ne s’est pas montré du tout tendre envers des ex-frères du sacerdoce et même des dignitaires de l’église catholique de Côte d’Ivoire. Dr Jean-Claude Djéréké s’en prend particulièrement à Mgr Siméon Ahouanan, président de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire (Conariv). L’ancien prêtre d’Abidjan n’a pas apprécié une sortie de l’évêque de Bouaké qui, lors d’une visite effectuée le 11 juillet dernier à Bloléquin, rassurait les victimes de la crise post-électorale en indiquant que «le président de la République tient toujours ses promesses». Le père Djéréké a rebondi sur cette affirmation pour dénoncer cette position de l’évêque de Bouaké, qu’il trouve erronée et partisane. Il ressasse une série de promesses faites par l’actuel tenant du l’Exécutif ivoirien pour porter la contradiction au président du Conariv. «Celui-ci n’avait-il pas promis également de construire 5 universités, de donner des milliards de F CFA aux villes où il était en campagne, de mettre fin aux intempestives coupures d’électricité, de débarrasser Abidjan des immondices, de sortir les jeunes du chômage, etc. ? N’avait-il pas laissé entendre qu’il demandait uniquement 5 ans et qu’en 5 ans il apporterait des solutions aux problèmes des Ivoiriens, ce qui veut dire qu’il avait promis de de faire qu’un mandat de 5 ans? Ahouanan peut-il nous dire que toutes ces promesses ont été tenues? Non! Par conséquent, l’assertion selon laquelle Alassane Ouattara tient toujours ses promesses est un grossier mensonge». Sans mâcher ses mots, l’ancien prêtre s’en prend vertement au prélat de Bouaké, s’attaquant directement à sa qualité d’homme de Dieu. «Comment peut-on mentir de la sorte et se targuer en même temps d’être “un homme de Dieu“? Dieu aime-t-il le mensonge? Non! S’Il aimait le mensonge, son fils ne Lui aurait pas adressé cette prière en faveur des apôtres: ”Consacre-les par la vérité. Ta parole est vérité!”» (Jn 17, 18), rappelle-t-il à Mgr Ahouanan. L’abbé Jean-Claude Djéréké ne s’arrête pas là. Il en veut encore à l’évêque de Bouaké d’avoir soutenu que «c’est la pagaille qui a envoyé la guerre en Côte d’Ivoire». «Qu’est-ce qu’il entend par “pagaille” et qui a semé la soi-disant pagaille? En disant de façon péremptoire que c’est la pagaille qui nous a envoyé la guerre, Ahouanan est en train de tronquer ou de falsifier la vérité. Une vérité que Fanny Pigeaud vient nous rappeler à travers son essai: “France-Côte d’Ivoire: une histoire tronquée”. Pigeaud, qui n’est ni Bété ni membre du Front populaire ivoirien (Fpi), révèle en effet que “la France n’est pas intervenue en Côte d’Ivoire pour des motivations humanitaires ou pour sauver le processus démocratique, comme on voudrait nous le faire croire, mais pour protéger ses intérêts dans ce pays en mettant en place un président qui lui soit favorable», a indiqué le prêtre-sociologue. Pour lui, l’ex-président Laurent Gbagbo n’était pas favorable au gouvernement et aux entreprises français parce qu’il était “arrivé au pouvoir sans passer par les réseaux francoafricains”. Aussi aura-t-il subi les pouvoirs français parce que les hommes politiques de gauche comme ceux de droite n’ont pas apprécié qu’il leur parle d’égal à égal. «Ce n’est donc pas une imaginaire pagaille qui a envoyé la guerre en Côte d’Ivoire. La vérité est que la France a fait la guerre à un homme qui lui paraissait insoumis, peu accommodant, pas capable de lui permettre de faire ce que bon lui semble en Côte d’Ivoire», souligne le père Djéréké, pour qui il est de bon droit pour Mgr Ahouanan de détester Laurent Gbagbo et de considérer Alassane Ouattara comme le nouveau messie de la Côte d’Ivoire. «S’il est honnête et objectif, il devrait pouvoir reconnaître avec Pigeaud que Gbagbo n’est pas un homme qui aime la guerre, que, voulant que la paix revienne dans son pays, il “a cédé aux demandes de ses adversaires en permettant, par exemple, à Ouattara d’être candidat à la Présidence. Et cela, malgré l’opposition de ses partisans et de certains de ses collaborateurs». Reprenant les propos du président du Conariv, le prêtre révolté les classe dans les ”formules faciles” de l’écrivain français Edward Said et invite à préférer une ”analyse profonde” de la situation pour parvenir à une réconciliation durable en Côte d’Ivoire. Une réconciliation pour laquelle, précise-t-il, ceux qui sont au pouvoir devraient faire plus que distribuer des billets de banque. «Il serait simpliste et naïf de penser que donner de l’argent aux victimes suffira à calmer leur douleur et à ramener la paix dans notre pays. Les victimes ont certes droit à des réparations, mais ce dont elles ont le plus besoin, c’est de savoir ce que l’État fait pour leurs parents et camarades exilés ou emprisonnés depuis 2011, si les ressortissants de l’Ouest retrouveront leurs terres illégalement occupées par des étrangers, si les auteurs des massacres de Nahibly, Petit-Duékoué et Guitrozon seront un jour arrêtés et punis», estime Dr Djéréké. L’ancien prêtre du clergé ivoirien s’insurge contre tous ceux qui le prennent pour un partisan de Laurent Gbagbo, à cause de ses prises de position. «Bien que me reconnaissant dans certaines idées de Laurent Gbagbo, je ne suis pas un ”gbagbolâtre”. Je soutiens Gbagbo et la formation politique qu’il a créée avec d’autres camarades, mais je ne les soutiens pas aveuglément. De la même manière, je n’applaudis pas tout ce qui se dit et se fait dans mon Église», lâche le prêtre. Qui se déchaîne, par la suite, contre d’autres co-religionnaires, parmi lesquels le cardinal d’Abidjan, Jean-Pierre Kutwa, d’autres évêques et le charismatique et célèbre Abbé Norbert Abékan. «Je crois avec Edward Said que “l’aveugle servilité à l’égard du pouvoir reste dans notre monde la pire des menaces pour une vie intellectuelle active et morale”. Telle est ma posture et c’est ce qui me distingue fondamentalement de Siméon Ahouanan, Norbert Abekan, Jean-Pierre Kutwa, Antoine Koné et Salomon Lezoutié qui, eux, n’ont jamais dénoncé les crimes contre l’humanité commis par leur ami et bienfaiteur, Alassane Ouattara», conclut le père Djéréké.

Félix D.BONY

Source: L’Inter N°5140 du Samedi 1er au 02 Août 2015