En affirmant dans Le jeu des possibles que « rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison », François Jacob entendait mettre en garde contre les dérives du fanatisme religieux ; ce phénomène qui éconduit des sillons majestueux de la raison ; le débat sur la véracité et la validité d’une religion étant parfois source de pomme de discorde ; surtout quand nos coutumes ancestrales sont reléguées au second plan. Fodjo Kadjo Abo, magistrat indépendant se voulant l’écho sonore de la culture africaine, écrit Vérités Sacrilèges à cet effet.
Le livre est un roman épistolaire mettant en exergue un conflit religieux entre les membres d’une même famille. Dieudonné Dicro ayant obtenu un boulot après des lustres dans les déboires du chômage, écrit à son père Nanan Dicro pour lui annoncer la nouvelle. Par le même fait, il a le plaisir d’informer son père de l’extinction du feu qui embrasait le foyer de sa sœur Tolérance Dicro. Le bonheur et le malheur se font toujours accompagnés de leurs corollaires quand ils viennent. Le père « tradireligieux », heureux, constate l’exaucement de ses vœux par ses mânes à qui il a promis un sacrifice en guise de remerciement. « J’avais promis de leur offrir un bœuf s’il vous aidaient, Tolérance et toi, à régler vos problèmes respectifs. »(p.18). Dieudonné et Tolérance, deux chrétiens confirmés, voient en cette offrande une offense aux principes du christianisme. En traitant la religion traditionnelle de leur père de fétichiste, les deux premiers enfants de Nanan Dicro ont attirés sur eux le courroux des autres membres de la famille. Leur sœur Affiatou convertie à l’islam, leur mère ainsi que leurs grand-tantes et grand-oncles…crient leur ras-le-bol vis-à-vis de ce comportement belliqueux. « S’il y a une chose que je n’apprécie pas chez les fidèles des religions révélées, c’est leur hypocrisie. »(p.202).
C’est une véritable leçon d’histoire que l’auteur nous donne d’apprendre. Un pèlerinage dans le panthéon tradi-religieux Abron et par ricochet africain. Il se fait le porte flambeau des religions traditionnelles, la bouche de ces ancêtres qui n’ont plus de bouche. « Comme les israélites, les Abron sont un peuple guerrier. Partie de la localité ghanéenne d’Akwamou à la suite d’une querelle de succession…ce peuple (…) fut très durement confronté à la famine. C’est dans cette situation que l’igname, qui était alors une plante sauvage, fut découverte. » (p.50). En plus des connaissances traditionnelles, l’auteur montre à travers des références bibliques et des exemples historiques son appartenance à une intelligentsia érudite. La discursivité de son discours invite à la réflexion. L’on est emmené à se demander s’il y a une différence fondamentale entre les religions venues d’occident et celles de nos ancêtres. Doit-on renier nos origines et nos traditions pour des religions dont l’on ignore les véritables essences ? Comment peut-on dénier ses propres racines pour des cultes dont les pratiquants versent le plus souvent dans un fanatisme exacerbé ? C’est à travers un essaim de questions profondes que l’auteur met le lecteur face à sa conscience comme dans une psychanalyse hypnotique. Comme Nelo du maître de la parole Bomou Mamadou, Fodjo Kadjo remet en cause le concours des intellectuels africains dans l’étouffement des cultures de chez nous. Au profit des « religions dites révélées », les africains abandonnent et portent des propos diffamatoires sur les cultes purement africains.
L’ouvrage comporte de nombreuses sagesses traditionnelles. Une sorte de recueil de proverbes africains. A travers ces assertions philosophiques Fodjo Kadjo Abo fait preuve d’esprit critique et surtout d’un sens de circonspection inouïe. Car « A un enfant intelligent qu’on veut raisonner, on ne fait pas un long discours, on parle en parabole » (p.78) disent les sages.
L’auteur, magistrat, détient une plume qui brille par la beauté chatoyante et l’intelligibilité de son encre. Cependant, La pertinence d’un raisonnement est-elle suffisante pour expliciter sa véracité ? Le discours est séduisant, éloquent mais ne peut justifier la mise en mal du Christianisme et de l’Islam. L’on ne doit rejeter sa propre culture certes, mais il ne faut non plus juger les religions révélées par les attitudes de quelques brebis galeuses. François Jacob n’avait-il pas raison d’affirmer que « rien ne cause autant de destruction que l’obsession du vérité considérée comme absolue » ?
Koné Abdala