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Secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, de 2005 à 2008, puis président de la Coalition nationale pour la résistance en Côte d’Ivoire (Conareci), Serge Koffi a rejoint l’Union des nouvelles générations (Ung) de Stéphane Kipré, où il a officiellement fait ses classes politiques. Porte-parole de cette formation politique jusqu’au 1er juin dernier, l’ancien leader de la galaxie patriotique, en exil au Canada, a rendu sa démission à travers un courrier remis à son président. Dans cet entretien, Serge Koffi explique sa décision, et aborde toutes les questions sur l’actualité politique de l’heure! 

Pourquoi avez-vous décidé de quitter l’Ung de Stéphane Kipré?

Je suis parti de l’Ung parce que les objectifs avoués ont été atteints, comme je l’ai mentionné dans ma lettre de démission que j’ai adressée à Stéphane Kipré, le responsable de cette organisation, le 01er juin 2015. Les objectifs étaient principalement d’implanter son parti.

Qu’est ce qui n’a pas marché entre le président de l’Ung, qui vient de vous promouvoir à un poste de vice-président, en plus de celui de porte-parole que vous occupiez?

Stéphane Kipré m’a sollicité en avril 2008, soit 3 mois après mon départ de la Fesci (Fédé- ration estudiantine de Côte d’Ivoire, ndlr). J’ai accepté de l’aider dans sa tâche en juin 2008, après avis de la Première dame Simone Gbagbo. Cette nomination tardive, en août 2014, au poste de vice-président dont vous parlez, et que j’ai d’ailleurs décliné, est la nette matérialisation des craintes qui ont toujours hanté l’esprit de mon ami Stéphane. Dans le fonds, les rapports avec Stéphane ne sont pas des rapports qui peuvent concourir à l’évolution de nos activités politiques. J’ai moi-même été à la tête d’organisations, et je pense que le minimum est d’éviter à ses collaborateurs, des humiliations. Je n’en dirai pas plus pour l’instant, mais j’estime qu’il y a plusieurs manières de dire à quelqu’un que ta mission est terminée. Je crois avoir bien saisi son langage, et j’ai déposé ma démission. Cela dit, mon départ n’a rien de conflit idéologique. Nous soutenons tous Gbagbo, même si c’est pour des raisons différentes, nous sommes tous pour sa libération, nous pensons unanimement que l’otage Gbagbo demeure le pilier par lequel la Côte d’Ivoire doit se réconcilier.

Que fait Serge Koffi au Canada? Est-il exilé?

Je profite de l’exil que l’oppression politique de M. Ouattara nous a imposé pour terminer mes études. Je suis élève en Génie électrique option Énergies renouvelables.

A quand le retour au pays?

Quand tous les prisonniers politiques, les otages de M. Ouattara, seront libérés. A commencer par le président Gbagbo jusqu’au dernier otage lambda qui se meurt a petit feu, loin de nos regards, chaque jour que Dieu fait. Vous demandez qu’on rentre et pendant ce temps on continue les arrestations. La plus récente reste celle des camarades Zagol Alain Durand, Cissé Mariame Marie-France et leurs camarades.

Quelle lecture faites-vous de la situation socio-politique en Côte d’Ivoire?

Une lecture assez sombre pour plusieurs raisons. Le peuple est davantage pauvre et affamé. Au lieu de s’attaquer a ce fléau social sérieux, on le justifie par le fait que l’argent ne circule pas parce qu’il travaille. Quelle théorie économique étrange! N’est-ce pas quand l’argent travaille justement qu’il circule? C’est d’ailleurs pour contraindre l’argent à circuler et réduire la paupérisation que les banques injectent les épargnes dans les investissements. Seul l’expert Ouattara peut expliquer sa nouvelle théorie économique. A côté de cela, l’école ivoirienne est paralysée, le système de santé qui garantit la mort pour tous, les détournements de deniers publics qui restent sans sanctions, etc. Pour cacher toute cette incapacité de gérer les affaires publiques, on matraque médiatiquement le peuple avec des histoires de croissance économique. On justifie cela par certaines réalisations publiques en réalité basées sur le surendettement. Tous ceux qui osent dénoncer ce désastre sont jetés en prison. En un mot, la situation socio-politique de notre pays est inquiétante.

A quelques mois des élections présidentielles, comment entrevoyez-vous l’horizon?

M. Ouattara veut envoyer les Ivoiriens à de nouvelles élections générales sans tirer les leçons des élections précédentes. Il avait créé les conditions d’une fracture sociale en attribuant son inéligibilité à son appartenance ethnique, régionale et religieuse. La suite, on la connaît. Les élections de 2010 vont déboucher sur une crise sociale aiguë après la longue rébellion qu’il a financée, et qui a fait des milliers de morts. Sans chercher à réconcilier les Ivoiriens d’abord, M Ouattara veut les envoyer à de nouvelles élections en 2015, cette fois-ci, avec une autre bombe sociale qui a aussi la même composition politique que la première: Le concept du rattrapage ethnique dans lequel il ne pré- sente que son clan ethnique, régional et religieux, détenteur exclusif du pouvoir qui, par conséquent doit tout faire pour le garder. Pour y arriver, il crée une Commission électorale sur mesure qui le rend vainqueur d’avance et dont le seul rôle est de lui accorder un score qui sera publié le soir du vote. Il destitue ensuite le président du Conseil constitutionnel pour se garantir qu’il n’y aura aucune entrave, et c’est dans ces conditions que vous me demandez ma lecture sur la situation à l’horizon….

Ou allez-vous après votre démission? Que devenez désormais?

Je suis et je reste le Serge Koffi que les Ivoiriens ont connu à la tête de la Fesci, avec ses mêmes convictions inébranlables. J’étais en mission, ma mission est terminée et je reste toujours militant du Fpi.

Vous faites allusion justement au Fpi qui se déchire entre partisans des élections et partisans du boycott des élections. Dans quelle posture se trouve Serge Koffi?

Je suis farouchement opposé aux élections dans les conditions actuelles. Quant à la crise qui secoue le Fpi actuellement, je suis ”Gbagbo ou rien”. Nous continuons notre combat de pression afin que le monde entier sache que Gbagbo et tous les prisonniers politiques en Côte d’Ivoire sont innocents. De toutes les façons, le président Gbagbo sortira de prison et réglera la crise qui secoue le Fpi. Inutile donc de cristalliser les positions. C’est pour cela j’invite le président Affi à faire libérer tous nos responsables incarcérés du fait de cette crise. Notamment les ministres Dano Djédjé, Hubert Oulaye, Lida Kouassi, et Koua Justin.

Le président Affi était comme un père pour vous. L’avez-vous lâché?

Ne voyez pas les choses en ces termes. Le président Affi se bat aussi pour la libération de Gbagbo, mais avec une procédure que je ne partage pas. Il respecte ma procédure, et je respecte aussi la sienne. C’est aussi pour cela que je condamne quand on passe le temps à le combattre en laissant le vrai adversaire de côté. Et puis, ce qu’on lui reproche, certains avant lui ont trahi Gbagbo vis-à-vis. Ceux-là, on les applaudit aujourd’hui. Je n’exclus donc pas aussi que demain, nous soyons les mêmes à applaudir le président Affi. C’est ça les revers de la politique.

Du Canada, quel est le regard de Serge Koffi sur l’école ivoirienne?

Vous avez déjà la réponse dans les nombreuses grèves des enseignants et des étudiants à travers le pays. L’école va mal. Le système Lmd, qui est en fait la professionnalisation de la formation, est un très bon système supposé rendre opérationnel l’étudiant à sa sortie de l’université. Mais, sa mise en place nécessite un travail de réforme profond, aussi bien avec le corps professoral que professionnel et industriel. Au lieu d’entamer en amont ces réformes importantes, on introduit un système par l’effet de mode et on est surpris des résultats. Les milliards dé- tournés dans la réfection de l’université aurait aidé aux réformes en amont pour un système Lmd réussi. On attend aussi les 5 universités que M Ouattara devrait construire en 5 ans.

Quel jugement du régime Ouattara?

Ouattara est le problème de la Cote d’Ivoire. Il faut le dégager et le plus vite afin d’éviter à cet havre de paix la deuxième guerre civile qu’il prépare.

Quelles conditions pour une véritable réconciliation?

Il faut la libération du président Gbagbo, Simone Gbagbo, Charles Blé Goudé et de tous les prisonniers politiques civils comme militaires. Ensuite, lors des États généraux de la République (qui fut une très bonne idée en son temps), les Ivoiriens pourront se parler à nouveau dans la confiance.

Des Ivoiriens Comme KKB, Banny et Essy Amara ont déclaré leur candidature contre Alassane Ouattara. Comment entrevoyez-vous les chances de ces candidats?

Pour moi, je le répète, les élections ne sont pas à l’ordre du jour dans les conditions actuelles. Néanmoins, je suis partisan du tout sauf Ouattara. Donc si ces potentiels candidats pensent dégager Ouattara pour sauver la Cote d’Ivoire en allant à ces élections pipées d’avance, on ne peut que les observer de très près, et attendre qu’ils le chassent. Ce jour-là, on les applaudira et on jubilera pour la liberté retrouvée.

Comment avez-vous appréhendé l’appel de Daoukro?

M. Ouattara lui-même ne croit pas en l’appel de Daoukro. C’est pour cela qu’il a installé une Commission électorale et un Conseil constitutionnel sur mesure pour se garantir les 80% de suffrage arithmétique que l’appel de Daoukro est supposé lui donner. Cet appel est très vicieux.

Que pense serge Koffi de la Coalition nationale du changement créée par l’opposition?

Permettez-moi d’être optimiste même si beaucoup de contradictions internes prédisent son échec.

Comment appréhendez-vous l’évolution de l’un de vos prédécesseurs à la Fesci, Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale?

Soro Guillaume est mon aîné à la Fesci, et le connaissant, je ne suis pas sûr qu’il soit content de ce qui se passe dans son pays. Si l’histoire était à refaire, Soro aurait réécrit son histoire autrement, car M. Ouattara est une vraie illusion politique. Toutefois, les Ivoiriens le regardent.

Entretien réalisé par F.D.BONY

Source : L’Inter N°5118 du Vendredi 03 Juillet 2015