Les Ivoiriens pourront-ils jouir des performances économiques de la Côte d’Ivoire citées en exemple dans plusieurs tribunes? Les chiffres, tels que présentés par le gouvernement, ne semblent pas se traduire dans la vie des populations. Selon un économiste, il faut encore attendre. Notre analyse!
Alors que le gouvernement ivoirien affiche ses prévisions de croissance aux alentours de 9,4% du Produit intérieur brut (Pib), le Fonds monétaire international (Fmi) vient de jeter un pavée dans la marre. New York a publié ses propres données, misant sur une croissance de 7,9% du Pib cette année. Soit un décalage d’à peu près 2%. Pourquoi une telle pré- vision revue à la baisse? Pour cette institution internationale, les projections du gouvernement ivoirien souffrent de deux principales faiblesses. D’abord, le Fmi n’est pas d’accord avec le scénario de croissance tel que présenté par les autorités ivoiriennes. Selon le gouvernement dirigé par le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, les élections à venir se présentent comme un gage pouvant booster les investissements privés en Côte d’Ivoire. Mais, les analystes du Fmi, se montrant plus prudents, préfèrent ne pas incorporer ce facteur dans les prévisions de croissance. Pour eux, il n’est pas certain que la confiance se rétablisse aussitôt après les élections. En consultant de précédents rapports sur la Côte d’Ivoire, l’on parvient à comprendre cette prudence observée par le Fmi. En effet, dans un rapport sur l’appréciation du risque émis par le leader mondial de l’assurance-crédit ”Coface” sur la Côte d’Ivoire, l’on note que l’un des points faibles des principaux indicateurs économiques du pays est qu’un «regain de violence est toujours possible à l’occasion des prochaines échéances électorales». «La situation politique s’est progressivement normalisée après la fin de la crise post-électorale de 2010-2011, grâce à la tenue d’élections législatives et locales, et l’insécurité a sensiblement reculé, encourageant le retour des investisseurs. Toutefois, les progrès en matière de réconciliation nationale demeurent lents, et le principal parti d’opposition, qui est divisé sur sa participation au processus électoral et s’estime persécuté sur le plan judiciaire, n’a pas encore retrouvé toute sa place dans la sphère politique. Alassane Ouattara compte se représenter à l’élection présidentielle, en octobre 2015, et a de grandes chances d’être réélu, bénéficiant à la fois de sa bonne gestion de l’économie, de la restauration de la sécurité et du ralliement à sa candidature, en septembre 2014, du dirigeant de l’autre important parti de la coalition au pouvoir. Cependant, un regain de violence lors de ce scrutin, et lors des élections législatives qui doivent suivre, en 2016, ne peut être totalement écarté», indique ce rapport. L’autre volet des réserves émises par le Fmi sur les prévisions de croissance affichées par la Côte d’Ivoire demeure l’épineuse question de la fiabilité des données statistiques. Sur ce sujet, les experts des institutions de Bretton Woods relève l’absence de données précises sur certains d’activités, notamment dans les domaines des productions vivrières, des services immobiliers. «Le gouvernement est obligé de faire des prévisions. Mais, il le fait en fonction des données dont il dispose, qu’elles soient fiables ou pas», note Prof. Ballo Zié, chercheur au sein de la Cellule d’analyse des politiques économiques (Capec). Le chercheur souligne toutefois que le système statistique ivoirien souffre de nombreuses défaillances. D’ailleurs, les partenaires techniques de la Côte d’Ivoire ne manquent pas de décrier la qualité des données produites par le gouvernement ivoirien. Le 31 mars 2015, à la présentation de la revue globale du Plan national de développement (Pnd 2012-2015), les bailleurs de fonds avaient ouvertement invité les autorités ivoiriennes à améliorer le dispositif de production des statistiques nationales pour une meilleure qualité des données. La nouvelle loi sur le système statistique national, votée par le Parlement ivoirien et promulguée par le président Alassane Ouattara, le 30 juillet 2013, vise justement à corriger les dysfonctionnements relevés depuis des années. Elle vient remplacer l’ancienne loi de 1951. Mais, à ces facteurs, il faut craindre des risques de déprime très marquée des cours des matières premières suite à un éventuel nouvel affaiblissement de la croissance en Europe ou dans les marchés émergents. Le groupe de la Banque mondiale avait, en avril dernier, donné l’alerte à ce sujet, dans son rapport sur ses prévisions sur l’Afrique. La Côte d’Ivoire, qui tire l’essentiel de ses revenus de l’exportation de ses produits agricoles, et en tant que pays importateur de pétrole, n’est donc pas à l’abri de ces chocs exogènes.
Bertrand GUEU
Des chiffres de la croissance aux impacts limités
Certes, le gouvernement ivoirien, pour afficher ses performances économiques, n’hésitent jamais à avancer son taux de croissance qui oscille autour de 9%. Mais, la réalité est toute autre. Les questions liées au chômage, à la cherté de la vie, ainsi qu’à l’accès aux services sociaux de base, contrastent bien souvent avec les chiffres flatteurs présentés par les autorités ivoiriennes. Selon des chiffres officiels, près d’un habitant sur deux est considéré comme pauvre en Côte d’Ivoire, avec un taux de pauvreté estimé à 48,9% et un revenu par tête de 532,797 Fcfa (1.090 dollars). En 2014, le pays était classé par l’Onu au 171è rang sur 187, selon l’indice de développement humain. Soit le 16ème rang mondial mal placé à l’inverse du tableau. Ce rang s’explique par des faiblesses constatées dans l’éducation structurelle, ainsi que dans la protection sociale. «La Côte d’Ivoire est confrontée à des taux de pauvreté inquiétants, surtout par rapport au potentiel énorme dont dispose le pays», avait regretté Ousmane Diagana, le chef des opérations de la Banque mondiale en Côte d’Ivoire, dans un article paru dans Jeune Afrique en novembre 2014. «C’est bien de parler du taux de croissance, mais il faut aussi regarder du côté du taux de croissance démographique pour voir si le Pib par habitant s’est amélioré ou pas», souligne Prof. Ballo Zié. Selon des indicateurs macroéconomiques, le taux de croissance réelle par habitant devrait situer autour de 5.6% en 2015 et de 6.2 en 2016. De l’avis de notre chercheur, il faut que ce taux évolue à un rythme continu et sur une longue période pour impacter le niveau de vie des populations. «Une croissance forte signifie des emplois et la possibilité d’augmenter le pouvoir d’achat des Ivoiriens, en particulier des fonctionnaires», avait relevé Michel Lazare, sous-directeur du département Afrique au sortir d’un entretien avec le président Alassane Ouattara en 2014. Pour l’heure, les Ivoiriens continuent de vivre au rythme des augmentations des prix de certains services et produits de grande consommation. La dernière en date est celle enregistrée dans le secteur de l’électricité, ce qui fait craindre des effets d’entraînement sur d’autres produits.
B. GUEU
Marius Comoé (Association de Consommateurs) : «Le taux de croissance du pays est une pure vue de l’esprit»
Le président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d’Ivoire (Facaci), Marius Comoé, ne cache pas sa déception devant la gouvernance du régime Ouattara. Approché hier, il a fait savoir que les performances économiques de la Côte d’Ivoire ne profitent pas aux Ivoiriens. «De quelle croissance parlons-t-on?», s’est-il interrogé. Car, pour M. Comoé, les promesses de campagne d’Alassane Ouattara n’ont pas été tenues. «La santé n’est pas gratuite pour nos enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes; le pays vit au rythme des coupures intempestives d’électricité; l’accès à l’eau potable n’est pas encore une réalité pour tous; sur 11 000 villages, moins de 5000 sont électricités. Aucun nouveau Chu (Centre hospitalier universitaire, ndlr) n’a été construit, aucune nouvelle université n’est sortie de terre», a soutenu Marius Comoé. «Ce taux de croissance dont parlent nos dirigeants n’est qu’une pure vue de l’esprit, car les Ivoiriens continuent de vivre avec un repas par jour», a-t-il décrié.
B. GUEU
Source : L’inter N°5109 du Mardi 23 Juin 2015