Hissène-habré

Par Souleymane Guengueng

Pambazuka | Après des années de silence et d’ignorance, l’heure de la justice est enfin arrivée avec l’ouverture de votre procès le 20 juillet prochain devant les Chambres africaines extraordinaires. Mais vos avocats ont annoncé que non seulement vous resterez silencieux mais qu’en plus, vous ne voulez même pas comparaitre. 

Monsieur Hissène Habré,

Vous me connaissez. Je suis cet ancien comptable de la Commission du Bassin du Lac Tchad (Cblt) qui, outragé par l’ampleur des crimes de votre régime, a revêtu les habits d’activiste des droits de l’Homme pour demander – et obtenir – justice.

En 1988, des agents de votre police politique, la Direction de la documentation et de la Sécurité (Dds), sont venus à mon bureau m’arrêter et me jeter en prison. Durant deux longues années, j’ai subi des conditions de détention inhumaines. En plus de n’avoir presque rien à manger, je suis tombé malade de la dengue, de l’hépatite et du paludisme. Je ne sais pas pourquoi j’ai survécu à ce calvaire alors que chaque jour des compagnons détenus mourraient devant moi. Pendant ces années de prison, alors que la mort et le désespoir m’entouraient, j’ai juré devant Dieu que si je sortais vivant, je consacrerais ma vie à la lutte pour la justice.

Avec la grâce de Dieu, j’ai survécu à cette terrible épreuve. Pour mes nombreux frères et sœurs qui sont tombés dans les geôles de votre régime, je ne cesserai de me battre pour faire vivre leur mémoire dans l’histoire du Tchad et de l’Afrique.

En 1990, vous avez fui le Tchad, avec l’argent du peuple tchadien. Ceux que vous aviez voulu faire taire se sont pourtant relevés en criant « plus jamais ça ! ». Hier comme aujourd’hui, nous nous sommes regroupés et n’avons plus peur de vous affronter.

La Commission d’Enquête a estimé à 40 000 le nombre de victimes des répressions sanglantes de vos 8 années de règne. Pendant plus de 20 ans, nous, les survivants, les veuves et les orphelins de votre régime, avec nos partenaires de la société civile, n’avons cessé d’enquêter et de récolter les preuves de vos exactions.

La récupération de beaucoup de vos anciens sbires par le gouvernement d’Idriss Déby a constitué un danger permanent pour nous les survivants. Victime de leurs menaces, j’ai été forcé à l’exil, loin de ma patrie. Le 11 juin 2001, un de vos anciens complices, devenu commissaire de police, s’est souvenu des vieilles techniques de votre régime lorsqu’il attaqua à la grenade notre courageuse avocate, Me Jacqueline Moudeina, plus que jamais déterminée à nous défendre.

Après des années de silence et d’ignorance, l’heure de la justice est enfin arrivée avec l’ouverture de votre procès le 20 juillet prochain devant les Chambres africaines extraordinaires. Mais vos avocats ont annoncé que non seulement vous resterez silencieux mais qu’en plus, vous ne voulez même pas comparaitre.

Monsieur Hissène Habré, de quoi avez-vous peur ? Que craignez-vous, vous le « chef suprême des armées, chef de la Garde présidentielle et président du parti unique l’Unir » ? Vous que l’on surnommait le combattant du désert, le renard des sables, le lion de l’Unir, auriez-vous peur de nous, ces pauvres citoyens ordinaires que vous vous plaisiez à balancer en prison d’un revers de la main ? Ne seriez-vous pas capable d’entendre nos témoignages ? De soutenir nos regards où dansent les fantômes de votre propre barbarie ? Vous qui avez rencontré les grands de ce monde et affronté en première ligne la grande armée libyenne de Kadhafi, trembleriez-vous devant vos propres concitoyens ?

Aujourd’hui, vous tentez vainement de justifier votre silence en invoquant l’illégitimité dont seraient frappées les Chambres africaines extraordinaires. En 2000, après votre première arrestation, vous souleviez l’incompétence de la justice sénégalaise. En 2005, vous affirmiez que les juridictions belges étaient incompétentes. Est-ce donc là votre seule défense, votre seul argument pour échapper à la justice et faire face aux victimes ?

Et que penser de votre foi en Dieu ? « En effet, quelle gloire y a-t-il à supporter de mauvais traitements pour avoir commis des fautes ? Mais si vous supportez la souffrance lorsque vous faites ce qui est bien, c’est une grâce devant Dieu » (parole de Dieu 1 Pierre 2 : 20).

Sachez, Monsieur Hissène Habré, que la souffrance est une blessure vive, une plaie brûlante que les années ne pourront jamais refermer. Après 24 ans de lutte, je veux pouvoir vous regarder dans les yeux et vous demander pourquoi j’ai pourri pendant plus de deux ans en prison, pourquoi mes amis ont été torturés et tués. Vous ignorez peut-être que la Cour peut vous contraindre à comparaître devant nous.

A l’aube de votre procès, jouer au grand seigneur ne saura biaiser l’immuable marche de la justice. Avec vous, ou sans vous, le procès aura lieu, les preuves de la cruauté de votre régime seront présentées et les juges statueront sur votre culpabilité. L’opinion africaine et mondiale pourra alors constater le courage de vos victimes et la lâcheté de celui qui a fui et qui continue de fuir.