Il livre des personnalités et des officiers en exil
Il n’a pas voulu user de la langue de bois, hier, au tribunal militaire d’Abidjan. L’occasion en valait certainement la chandelle pour le commandant Jean-Noël Abéhi, qui comparaissait, comme bien d’autres officiers de l’armée ivoirienne, pour désertion et violation de consignes durant la crise post- électorale, meurtrière en 2010. Devant les juges militaires, l’ancien patron de l’escadron blindé la gendarmerie nationale, de nature si réservé, a rompu avec l’omerta des casernes. Le commandant Abéhi s’est défendu sans réserve, même quand il s’est agi de citer des noms pour corroborer ses dires. A propos, il n’a pas hésité à orienter les regards vers certaines personnalités bien connues, en exil et d’autres services des ex-forces de défense et de sécurité, pour se dédouaner sur des faits à lui imputés. Ainsi, quand il est invité à en dire un peu plus sur son refus de participer à une action subversive planifiée à Accra (aveu contenu dans le compte-rendu de son instruction), l’officier de gendarmerie n’hésite pas à livrer des noms. Ceux des initiateurs et participants à une réunion au Ghana, au cours de laquelle il avait été question d’entrevoir leur retour au pays. «Quelques jours après mon arrivée au Ghana, j’ai participé à une réunion où il y avait Katinan Koné et un autre ministre dont je ne me rappelle pas du nom. Ils s’agissait de discuter des conditions de notre retour au pays. Certains proposaient la voie diplomatique, et d’autres, la voie militaire. Il était question de faire un coup. Ils nous ont demandé de faire le point du matériel que chacun pouvait apporter. Je leur ai dit que je n’ai pas d’homme, ni de matériel à mettre à leur disposition. Avec le colonel Gouanou, c’était plus tribalique. Il parlait de commencer des actions à l’Ouest et de massacrer tous les Baoulé et les Burkinabé du pays», a ré- vélé le prévenu. Selon le commandant Abéhi, son refus de s’associer à un tel projet aurait pu lui coûter la vie sur le sol ghanéen, n’eut été son arrestation qu’il entrevoit comme une action salutaire. «Je remercie le président Alassane Ouattara. Parce que, si on ne m’avait pas arrêté, j’allais être tué par mes propres amis», a-t-il avoué. Auparavant, l’ancien patron de l’escadron Blindé d’Agban a donné toutes les raisons qui l’ont poussé à quitter la Côte d’Ivoire. Il a soutenu avoir craint pour sa vie, indiquant que son nom était cité partout et inscrit sur une liste noire à tous les corridors, au nombre de ceux qu’il fallait assassiner, à cette époque. «On me reproche d’avoir déserté. D’avoir fui. J’ai quitté mon pays parce que ma vie était menacée. C’est la peur de mourir qui a fait que j’ai quitté le pays. Mes enfants fréquentaient la même école que ceux de Wattao. Ils ont dit à mes enfants: ”votre père tueur des femmes d’Abobo, notre père va l’assassiner”. Je parle là d’enfants qui ont entre 9 et 13 ans. Avec deux officiers, nous sommes allés voir le géné- ral Kassaraté pour lui demander de faire allégeance au nom de la Gendarmerie. Devant nous, il a appelé le Premier ministre Guillaume Soro». Après avoir frappé à la porte du commandant supé- rieur de la Gendarmerie, qui l’a renvoyé vers l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, dont il est parent, Jean-Noël Abéhi conte sa rencontre avec Guillaume Soro, alors locataire de la Primature. Celui-ci, a-t-il relaté, lui a rappelé ses hauts faits en sa faveur sans omettre toutefois de l’indexer au sujet de la tuerie des femmes d’Abobo. Un autre dossier que l’officier de gendarmerie n’a pas voulu qu’on lui impute, orientant les regards ailleurs. «J’ai été reçu par le Premier ministre Soro. Il m’a dit qu’il n’a rien contre moi et a même rappelé que lorsqu’il a failli être tué à la Rti, c’est moi qui l’avais sorti de là. Il m’a reproché qu’on dit qu’Abehi a tué les femmes d’Abobo. Je lui ai dit que là-bas, ce n’était pas mes chars. J’ai dit au Premier ministre Soro Guillaume de bien regarder la vidéo de ces tueries. Il s’agit des chars de la Brigade anti-émeute (Bae) et de ceux de la Garde républicaine, et non des chars du camp d’Agban. Il m’a dit qu’il y aurait une information judiciaire et que je serais entendu». Le lieu choisi pour cette audition n’aurait pas rassuré l’officier de gendarmerie, qui a choisi de prendre la poudre d’escampette. «J’ai demandé à être entendu au camp d’Agban. Mais, j’ai reçu une convocation pour me rendre au Parquet. Je craignais pour ma vie à cause des embuscades. Surtout qu’un Premier ministre m’a donné l’assurance que je serais entendu à la caserne, et je reçois une convocation qui me demande de sortir», a relaté le prévenu, qui sera situé sur son sort vendredi prochain. Demain jeudi 11 juin 2015, ce sera le tour du capitaine Anselme Yapo Séka, dit ”Séka Séka”, de passer à la barre pour répondre quasiment des mêmes faits reprochés au commandant Abéhi. A savoir, ”violation de consignes et désertion”.
Félix D.BONY
Source: L’Inter N°5098 du Mercredi 10 Juin 2015