Ouattara-Conseil

«La politique, c’est l’art de l’impossible ». La formule n’a jamais aussi bien cadré. Le 7 janvier 2015, au palais présidentiel, Alassane Ouattara tenait son premier conseil des ministres de l’an. Le chef de l’Etat, agacé par des bruits de plus en plus persistants au sujet d’un remaniement ministériel en préparation, étouffait la rumeur : «Je vois ici et là dans la presse, des éléments concernant un remaniement ministériel. M. le Premier ministre, il n’en est rien. Je voudrais aussi dire que cette équipe ministérielle fait un excellent travail. Cette équipe, je la garderai jusqu’aux élections». La politique, l’art de l’impossible ! Ce mercredi 13 mai, Alassane Ouattara a procédé à un remaniement «technique» : il a démis son ministre des Sports et des Loisirs, Alain Michel Lobognon, empêtré dans le scandale des primes non versées aux Eléphants footballeurs. Il a surtout intégré de nouvelles personnalités dans l’équipe gouvernementale : deux anciens ministres, Albert François Amichia et Anzoumana Moutayé, ainsi que son chef de cabinet, le discret Sidy Touré. Ces mouvements, au sein du gouvernement Duncan, au-delà de leur caractère «technique», ont une forte odeur électoraliste. En virant l’ex-cadre des Forces nouvelles, Alassane Ouattara souhaite renvoyer l’image d’un président soucieux des principes de bonne gouvernance et attentif aux récriminations de la rue. L’affaire des primes non payées aux vainqueurs de la Can équato-guinéenne a suscité de la colère, pas uniquement dans le milieu sportif. Et quand bien même le régisseur Yapi Patrick qui gérait les opérations- ait été mis sur la touche, l’indignation populaire paraissait intacte. L’idée qu’à chaque scandale, seul sont punis les seconds couteaux, n’a pas cessé de prospérer. Pas grand monde n’avait misé sur un limogeage d’Alain Lobognon, au passage, plus que proche de guillaume Soro, actuel numéro 2 du régime. Alassane Ouattara, qui a longuement jugé l’intelligence de la situation, a dû arrêter une décision : celle qui, d’un point de vue politique, lui était bénéfique. En affectant le portefeuille prisé de ministre des Sports à un dignitaire du Pdci à l’image policée, le chef de l’Etat renforce le pacte avec son puissant allié. Il sait qu’il n’a rien à perdre à nommer une personnalité de la trempe de François Amichia dans le gouvernement. Au contraire, il a tout à gagner : parmi les griefs formulés par le Pdci à l’encontre du Rdr, la question de la représentativité et du partage des postes est souvent revenue. Alassane Ouattara tenait là une occasion de contenter le Pdci et donner un peu de tonus à l’alliance.

PARIS VAUT BIEN UNE MESSE

Le cas Moutayé est probablement le plus illustratif du caractère électoraliste du réaménagement «technique» opéré il y a 48 heures. Anzoumana Moutayé n’est ni plus ni moins que l’ancien numéro 2 d’Anaky Kobena, et récemment, le «tombeur» du patron du Mfa. Alors que l’ancien ministre des Transports montait les enchères et affichait peu d’enthousiasme à s’approprier «l’appel de Daoukro», Moutayé et des militants du Mfa se sont retrouvés, lors d’un congrès, et ont «écarté» Anaky Kobena. Anzoumana Moutayé a été, dans la foulée, élu président du Mfa par ses partisans. Il est apparu, le samedi 25 avril, jour d’investiture d’Alassane Ouattara en tant que candidat du Rhdp, aux côtés de Bédié et des autres ténors de la coalition. Sa nomination en qualité de ministre de l’Entreprenariat national, de la promotion des Pme et de l’Artisanat, est bien méritée. On pourrait, en paraphrasant Henri IV, dire qu’un poste ministériel vaut bien le largage d’Anaky Kobena (Paris vaut bien une messe, dixit Henri IV). Alassane Ouattara, candidat unique du Rhdp au scrutin présidentiel d’octobre, aurait voulu renvoyer l’ascenseur au «tombeur» d’Anaky Kobena qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Chose notable : ces charges étaient jusqu’ici dévolues à Jean-Louis Billon. L’ancien patron de la Chambre de Commerce et d’Industrie a été dépouillé d’une partie de son ministère. Il était ministre du Commerce, de l’artisanat et de la promotion des Pme. Désormais, il n’aura en charge que le Commerce. Il y a immanquablement une terrible frustration qui est faite à Jean-Louis Billon et qui pourrait s’expliquer par des déclarations qu’il avait faites à une certaine époque. Début juin 2013, dans une interview au ”Nouvel Observateur”, le ministre se lâchait contre Bolloré, le puissant groupe français. Il avait contesté vigoureusement l’attribution du deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan au groupement Apm Terminals-Bolloré-Bouygues Travaux publics. Amer, Billon avait assené : «si l’on avait voulu brader l’économie ivoirienne, on ne s’y serait pas pris autrement». Sa critique était dirigée directement contre son propre gouvernement : c’est bien lui qui avait piloté la mise en concession. Le ministre avait été rappelé à l’ordre par l’exécutif. Que près de deux années plus tard, Jean- Louis Billon soit dépouillé de quelques charges pourrait s’apparenter à une… petite sanction.

Kisselminan COULIBALY

Source : L’Inter, Vendredi 15 Mai 2015