“j’ai eu des liens de fraternité très profonds avec Laurent Gbagbo”
Sa vie, depuis le 23 décembre 1999, ressemble à celle d’un moine cloitré dans son monastère. Ce « Monastère » de Michel Kouamé, est situé à la riviera 3. Il se veut une véritable « caverne » de bouquins, au milieu desquels, il est bercé par la musique classique. Depuis 16 ans, il a gardé le silence…L’ancien directeur général (Dg) de Fraternité-Matin se dévoile, à travers cette interview exclusive qu’il nous a accordée.
Pouvez-vous nous expliquer votre départ de Fraternité-Matin et les circonstances dans lesquelles ce départ est intervenu ?
Michel Kouamé : (Profond soupir). Je suis parti des locaux de Fraternité-Matin exactement le 23 décembre 1999. Il devait être 18 h. Et quand je suis arrivé à mon domicile de la Riviera, j’ai trouvé ma famille, mes enfants, qui se demandaient ce qui était en train de se passer. Je leur ai expliqué qu’il me semblait qu’il s’agissait d’une tentative de coup d’Etat. Ce qui a été confirmé le lendemain matin.
Qu’avez-vous fait par la suite ?
Dès le moment où ça été clair, j’ai décidé de quitter mon domicile. J’ai eu raison, puisque dans la nuit du 23 au 24 décembre 1999, des gens en armes sont venus chez moi, et se sont approprié tout ce qu’ils voulaient. C’est dans cette même maison que je vous reçois ce matin.
Il est reproché à Bédié de n’avoir pas su gérer cette affaire de tentative de coup d’Etat de 1999, qui a coulé son régime et le Pdci. Qu’en dites-vous ?
Monsieur Bédié est un grand homme d’Etat, et les décisions qu’il a prises à ce moment-là, l’ont été au nom de sa conception de la gestion des affaires de l’Etat. Ce qu’il faut retenir, c’est que c’était un coup d’Etat et un coup d’Etat, est un accident de l’histoire. Quelles que soient les décisions qu’il a pu prendre vis-à-vis de ces mutins, considérons que ce qui devait arriver, arriva. Et la suite de l’histoire n’a pas spécialement grandi les auteurs de ce coup d’Etat. Dites-moi seulement ce que sont devenus ces putschistes, des chefs aux lampistes ?
Quelle est votre position relativement aux candidatures dissidentes au Pdci, conduite notamment, par Essy Amara, Charles Konan Banny et K.K.B ?
Nous avons eu un congrès au cours duquel a été élu, de façon très démocratique, le président Henri Konan Bédié. Quelques semaines avant la tenue de ce congrès, des candidatures présentées ont été acceptées. La compétition a eu lieu, et le président Bédié a été plébiscité à plus de 95 % des voix exprimées. Dès lors, c’est à lui qu’il appartient de donner une direction pour les grandes décisions du Parti. Quand il s’est agi de l’Appel de Daoukro, il n’a fait qu’une proposition, qui pouvait venir de n’importe quel militant.
L’appel de Daoukro n’a-t-il pas pris à rebrousse-poil militants et instances du parti dont le bureau politique ?
Monsieur Bédié était dans son rôle, et il n’a rien imposé. C’est ainsi que nous avons eu la réunion du bureau politique qui a suggéré un congrès extraordinaire qui a réglé définitivement le problème qu’il y avait, en retirant la résolution qui disposait qu’il fallait un militant actif ; pour la remplacer par la proposition du président Bédié, qui, à mon avis, est basée sur le bon sens. Dans la mesure où le Pdci-rda co-gère le pays avec le Rdr. Il aurait été vraiment incongru que ce Pdci décide d’avoir un candidat opposé à celui avec qui, il co-gère le pays.
Pensez-vous que les ”irréductibles” sont des « indisciplinés », comme les qualifient certains ?
Je pèse mes mots. Je dois dire oui. Dans la mesure où un parti est une organisation qui a des règles pour son fonctionnement, et les positions du Chef, n’importe comment, ne peuvent être bafouées. Si on estime qu’il a dévié, cela se discute en interne, et la position majoritaire l’emportant, tout le monde doit s’aligner. Par conséquent, j’estime que ces personnes font au président du parti, un faux procès.
Si on les prend individuellement, quelles sont, selon vous, leurs chances à la présidentielle d’octobre 2015 ? Commençons par K.K.B (Kouadio Konan Bertin).
Vous me parlez de K.K.B (éclat de rire)… Je dirai simplement que c’est un jeune frère avec qui, pendant très longtemps, j’ai eu de très bonnes relations. Il venait, quand il le pouvait, quand il en avait le temps, dans cette modeste maison. Et même quelques semaines avant le congrès ordinaire où il fut candidat contre M. Bédié, il était venu me trouver à Koun-Fao, et je lui avais parlé longuement.
Vous démarchait-il ?
Non, il ne me démarchait pas ! Il était venu plutôt prendre conseil auprès de moi par rapport à la situation qui prévalait. Ma conclusion à son sujet est qu’il aurait pu aller loin en politique s’il avait su attendre son heure. Chez moi, on dit : ”quand on se presse pour ramasser, les mains se remplissent mais, rapidement, elles débordent et on finit par tout perdre”. Je pense que c’est ce qui est en train de se passer pour lui. J’estime que c’est très prétentieux (je pèse bien mes mots) de la part de K.K.B de vouloir être candidat à la présidence de la République, alors qu’au sein de l’appareil du Pdci, il n’a même pas eu 3 %. Si on ramène la chose au plan national, je me demande ce qu’il en sera. Donc, s’agissant de lui, j’estime que c’est vraiment un coup d’épée dans l’eau. Cette tentative, si elle va jusqu’au bout, se soldera par un échec retentissant.
Et Essy Amara qui est de votre région ? Quel commentaire vous inspire sa candidature ?
Monsieur Essy Amara est mon grand frère. C’est quelqu’un avec qui j’ai eu d’excellentes relations de petit frère à grand frère, pendant toute la période où il était Ambassadeur à l’extérieur, ensuite ministre d’Houphouët-Boigny, puis Ministre d’Etat, Ministre des Affaires étrangères de Bédié. Surtout à cette époque-là, nous avons eu des relations plus constantes. Il savait que j’aimais les livres et la musique classique. J’ai des dizaines de livres et de CD qu’il m’a ramenés de ses très nombreux voyages. Donc Monsieur Essy Amara est quelqu’un pour qui j’ai une grande admiration et beaucoup de respect.
Avez-vous échangé avec lui au sujet de sa candidature ?
Quelques semaines avant qu’il ne fasse acte de candidature, nous avons eu à échanger. A l’époque, je lui avais dit, à peu près ceci : « Grand frère, tu as d’énormes atouts pour être président de la République, pour diriger un pays comme la Côte d’Ivoire. A un moment donné de notre vie (en 2000), nous sommes nombreux à avoir pensé à te demander d’être candidat ». Et j’ai terminé en lui disant : ”de mon point de vue, la condition pour que, si tu es candidat, tu sois élu, c’est que le président Bédié te donne son onction, te soutienne”. Or moi, à l’époque déjà, j’avais la conviction que le président Bédié allait soutenir le président Alassane Ouattara, comme candidat du Rhdp.
Pourquoi pensiez-vous déjà que Bédié allait soutenir la candidature de Ouattara ?
C’est une question de bon sens. En soutenant Alassane Ouattara, le président Bédié demeure dans son rôle, et reste fidèle à ses engagements. C’est presqu’une histoire de « co-listier » entre Alassane Ouattara et Bédié, du fait qu’aujourd’hui, c’est le Pdci et le Rdr qui gèrent le pays. Il faut se souvenir que ses consignes de vote en faveur de M. Alassane Ouattara en 2010, conformément aux dispositions du Rhdp, avaient été respectées. Rappelons aussi qu’ils ont passé cinq mois cloitrés au Golf hôtel.
Quelle a été sa réaction (Essy Amara) ?
Sur le champ, il n’avait pas dit grande chose. Plus tard, il se trouvait à l’extérieur, lorsqu’il a fait déposer sa candidature. Lorsque j’ai eu a réagir après une réunion à Koun-Fao, Essy Amara m’a appelé de Paris pour me dire qu’il comprenait ma position ,mais qu’il avait de bonnes raisons pour être candidat, et qu’il irait jusqu’au bout. Je déplore qu’il n’ait pas tenu compte de ce que nous lui avons dit, et je n’ai pas le sentiment que ce sont les personnes les mieux indiquées pour le faire élire président en Côte d’Ivoire, qui font la promotion de sa candidature en ce moment.
Donc, pensez-vous que sans ce soutien de Bédié, il n’a aucune chance ?
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il n’a aucune chance. Je dirai, tout simplement, qu’il prend d’énormes risques. Permettez que je reste dans ce ton.
Et Charles Konan Banny, l’ancien Premier ministre, grand banquier, ancien président de l’ex-Commission dialogue vérité, réconciliation (Cdvr) ?
En ce qui concerne Charles Konan Banny, je dois dire que son cas m’indiffère. Tout simplement. D’abord, en tant que premier ministre, il avait commis beaucoup d’erreurs. A commencer par la mauvaise gestion de la résolution 1633 où il se prenait pour un appendice de Laurent Gbagbo. Il parlait de tandem alors qu’il n’avait pas besoin d’être en tandem avec Gbagbo. Vous vous souvenez de cette histoire des déchets toxiques, où il est allé rendre sa démission à Laurent Gbagbo, alors qu’il avait été nommé par une résolution de l’Onu votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Tout cela a montré qu’il a une perception très relative des choses, qui est loin de faire de lui un grand homme d’Etat. Il a été certainement un grand banquier, mais, homme d’Etat, évitons de mélanger les pinceaux.
Quels étaient ses rapports avec les cadres du Pdci-Rda ?
Pendant tout le temps qu’il était Premier ministre, j’ai eu, par moments, le sentiment qu’il s’adonnait plus à des règlements de comptes avec des cadres et militants du Pdci que de faire le travail pour lequel il était là. C’est à dire gérer la Côte d’Ivoire en crise, et commencer aussi à réconcilier les Ivoiriens.
Quel bilan faites-vous de son passage à la tête de la Cdvr ?
Au niveau de la Cdvr, pour le chef de l’Etat, Alassane Ouattara, je crois que le calcul était simple. En lui confinant la Cdvr, il a estimé que ce Monsieur (Banny) avait été Premier ministre à un moment donné de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il a géré une partie de l’histoire du pays. De ce fait, il avait pu avoir une connaissance approfondie des réalités de la crise. La Cdvr a été un échec total. Dans la mesure où, si vous demandez au citoyen lambda quelles sont les retombées de la Cdvr, je n’en connais pas beaucoup qui vont vous citer un seul fait notable. On sait que là où il y a eu des crises de ce genre, il y a eu de grands moments de catharsis, qui ont permis aux populations de se vider, et de cette façon-là, ayant dit tout ce que les uns et les autres avaient sur le cœur, de se pardonner par la suite. Il en fut ainsi en Afrique du Sud. J’estime qu’aussi bien à la Primature qu’à la tête de la Cdvr, ça été vraiment lamentable. Je le trouve d’ailleurs distant des Ivoiriens et assez dédaigneux…
Pensez-vous qu’un soutien de Laurent Gbagbo peut être déterminant pour ceux qui défilent à son parloir à la Cpi ?
En allant à la Cpi voir Laurent Gbagbo, ils font un calcul tout simple. Alassane Ouattara a été élu avec 54 % des suffrages. Laurent Gbagbo crédité de 46 %. Ils estiment donc qu’il y a comme du bétail électoral qui est à leur disposition. Ils pensent que celui qui va être adoubé, et qui aura le soutien de Laurent Gbagbo, ce bétail électoral se mettra automatiquement à sa disposition. Moi, je ne suis pas certain aujourd’hui, que ces 46 % sont statiques, attendant le mot d’ordre de Gbagbo pour balancer dans un camp comme dans l’autre. Je me demande même s’il reste encore plus de 10 % de ces 46 % encore favorables à Gbagbo. Sans compter qu’au sein du Fpi, il y a cette déchirure qui fait que les deux tendances ont bouffé, chacune, une partie de cet électorat. Je pense que c’est un faux calcul qu’ils font (rire). Laurent Gbagbo, je pense aujourd’hui qu’il a d’autres soucis que de donner des mots d’ordre de campagne pour telle ou telle personne. Même s’il donnait des consignes de vote, qu’est-ce qui dit qu’elles seront suivis à la lettre ?
Quel commentaire vous inspire alors leur approche ?
Tous ceux qui défilent à la Cpi, à mon avis, devraient garder leur argent, pour faire de bonnes choses, comme aller sur le terrain pour mobiliser les populations en leur expliquant leurs programmes, s’ils en ont. Les militants du Fpi ont eu le temps de réfléchir et de voir que ce que Laurent Gbagbo leur proposait en théorie, il n’a pas réalisé. Avec ce qui se passe aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, avec le président Alassane Ouattara, je pense que les Ivoiriens sont des gens qui vivent avec le réel, pas avec le virtuel.
En tant que Délégué départemental du Pdci-rda de Koun-Fao, croyez-vous en une alternance en faveur du Pdci en 2015, surtout qu’aucun officiel du Rdr ne s’est toujours pas prononcé sur cette question ?
Moi, je fonctionne avec les paroles des chefs. Le président Bédié, celui-là même qui nous a parlé de l’alternance, n’a pas lancé son appel au hasard. C’est parce qu’avec le président Alassane Ouattara, la chose a été certainement réglée à ce niveau. Je pense qu’à un moment donné, on saura comment ça va se passer. Mais, comme vous le savez, on s’achemine vers un parti unifié. Et au sein de ce parti unifié, il y aura des modalités pour que ce soit un candidat issu des rangs du Pdci.
Mais, à terme, le parti unifié ne va-il pas faire disparaître le Pdci-Rda ?
Non, le parti unifié ne fera pas disparaître le Pdci. Tout évolue. Le plus important est que ceux qui se réclament d’Houphouët- Boigny, de la pensée d’Houphouët-Boigny, puissent se retrouver dans un parti unifié quel que soit le nom que cela va prendre. Moi, je ne suis pas attaché au fétichisme des noms. Le plus important, c’est le contenu et non le contenant. Par conséquent, que ça s’appelle le « Pdci-Rdr », moi j’y adhère. A la mort du père, des enfants ont eu quelques dissensions. Et puis, l’ainé des enfants, revenant sur l’histoire familiale commune a réuni les frères et sœurs pour faire table rase du passé récent. C’est une sorte de renaissance de la famille politique d’Houphouët-Boigny. A l’Ump, en France, de De Gaulle, à nos jours, les Gaullistes ont changé le nom de leur parti plusieurs fois. Mais ils demeurent unis, les héritiers politiques du Général De Gaulle.
Quel commentaire sur la modification ou non de l’article 35 de la constitution, et sur le changement intervenu à la tête du Conseil constitutionnel qui a vu la nomination de M. Koné Mamadou, un militant du Rdr ?
Concernant l’élection du président Alassane Ouattara, moi, en tant que simple Ivoirien, je dis que sa candidature relève du domaine de l’automatisme. Du coup, la disposition de l’article 35 ne s’applique pas à Alassane Ouattara. Il n’a pas de problème de réélection. La constitution ivoirienne dit que quand on est élu, on est rééligible une fois. De plus, lors du forum sur la réconciliation en 2001, il a présenté, à toute la nation, les papiers de ses deux parents. Ce qui a fait la preuve que, contrairement à ce qu’on a pu croire à un moment donné, il est ivoirien. Aujourd’hui, ce débat relève du passé. Si nous sommes donc véritablement des hommes et des femmes du 21ième siècle, alors convenons que ce débat n’a pas lieu d’être. C’est tout à fait rétrograde et incompréhensible. Dans ma logique de citoyen lambda, cette éventualité ne doit même pas effleurer l’esprit. En parler, ce serait pinailler inutilement. Le débat sur son éligibilité est clos (…)
Et la nomination de Koné Mamadou, militant du Rdr?
Beaucoup de gens ignorent sans doute que celui qui est le président du Conseil constitutionnel en France, Jean-Louis Débré, est un ami de Jacques Chirac qui l’avait nommé, lorsqu’il était chef de l’Etat français. C’est avec la famille Débré et d’autres personnalités, que Jacques Chirac avait créé le Rpr. Et Jean-Louis Débré a occupé des fonctions au sein du Rpr. Il a été député et même longtemps Ministre du Rpr. Je veux ainsi dire simplement que dans la gestion de l’Etat, on s’appuie principalement sur ceux que l’on connaît le mieux et dont la compétence est établie. L’actuel président du conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire est réputé grand spécialiste du droit, surtout le droit constitutionnel, pas seulement en Côte d’Ivoire, mais à travers le monde entier. Sa compétence est reconnue. Le fait qu’il soit proche du Président de la République, à mon avis, n’est pas déterminant. La question qu’on doit poser est de savoir si oui ou non il est compétent pour occuper cette fonction ?
Est-ce que Michel Kouamé qui est au chômage, est une victime de la politique de rattrapage décriée par des Ivoiriens ?
Je réponds non. Rien de rien… Mais surtout, si j’avais quoi que ce soit à dire, c’est à Monsieur Bédié que j’aurais parlé. C’est lui mon premier responsable politique. Je peux même dire que c’est lui mon premier responsable, tout simplement. C’est lui qui nous « gère » nous autres. Mais, je n’ai rien à lui reprocher. Je ne dirai jamais assez le bien qu’il a fait pour moi. Surtout en 2000, à Paris. Ma famille ne lui dira jamais assez merci.
Est-ce que vous avez rencontré le chef de l’Etat lui-même ?
Je dois vous dire une chose, et c’est l’occasion de le dire. Sa générosité ne m’a jamais fait défaut. Je lui dois beaucoup, beaucoup. De plus, il m’a honoré d’une manière inoubliable quand il est venu en visite d’Etat à Koun-Fao. Au protocole d’Etat, il avait fait savoir qu’à sa descente d’hélico, il y a trois personnalités, les premières qu’il voulait saluer : il a cité, lui-même, mes ainés Essy Amara et Anaky Kobenan ; la troisième personnalité nommée, Michel Kouamé. C’est un grand honneur. Par la suite, à Tanda, au domicile du ministre Adjoumani, il m’a accordé 20 mn d’audience. Je le remercie sans fin pour tout ce qu’il ne cesse de faire pour moi.
Le Fpi, qui a été au pouvoir, est aujourd’hui laminé par une profonde crise. Qu’en pensez-vous ?
Moi, j’ai eu des liens de fraternité très profonds avec Laurent Gbagbo. Au domicile de mon jeune frère Noël X. Ebony, à Paris, en 1978, nous avons eu à partager le même lit, Laurent Gbagbo et moi. Je dis bien, le même lit. A un moment donné, les militants du Fpi se réjouissaient de voir que le Pdci allait en lambeaux, avec les départs du Rdr, de l’Udpci… Et c’était malheureux pour nous de voir que l’héritage d’Houphouët-Boigny partait en menus morceaux. Les gens du Fpi, y compris Gbagbo, reprochaient à Bédié de ne pas pouvoir gérer l’héritage d’Houphouët-Boigny, de n’avoir pas la capacité de gérer ce grand ensemble politique. Aujourd’hui, le président Bédié est en train de reconstituer la « famille ». Mais pour le Fpi, le plus dur reste à venir. Pour moi, le Fpi est un parti de revanchards. Revanche à prendre sur le Pdci. Je pense que lorsqu’on créée un parti avec des sentiments aussi peu nobles, ça ne peut que prendre cette tournure-là dès que celui qui a conçu son affaire n’est plus là. Affi N’guessan aura du mal à retrouver le gouvernail du Fpi, et je crois qu’ils sont partis pour un bon moment de dissension.… Je ne vais pas verser des larmes pour eux.
Qu’est-ce que cela vous fait aujourd’hui de le voir incarcéré à La Haye pour des faits de crimes contre l’humanité ?
Je dois dire que j’ai eu à écrire quand j’étais à Fraternité-Matin que « si Gbagbo prenait ce pays, on n’échappera pas à la guerre ». Les archives sont là, elles peuvent être consultées. C’était pour moi une manière de mettre en garde les Ivoiriens. J’ai connu l’homme Gbagbo, avant qu’il ne devienne président, avant même la création du Fpi, et je n’ai pas reconnu l’homme d’Etat que Gbagbo a été. Pendant ses 10 ans au pouvoir, nos relations n’ont plus été celles qu’elles furent avec lui, à Paris. Les liens que mon jeune frère et moi nous eûmes, au 41 rue Lacepède à Paris, étaient fraternelles. Mais le chef de l’Etat, de 2000 à 2011, je ne l’ai pas connu, je ne l’ai pas reconnu… Dans notre vie d’avant, en France, Laurent Gbagbo était devenu, à la fois notre grand frère et notre ami. Je vous le dis, on l’avait beaucoup aimé. J’ai mal pour ce frère. J’ai mal de savoir que ce frère a si mal géré la Côte d’Ivoire que la conséquence soit son emprisonnement à La Haye. Mais, dans la vie, il faut assumer tout ce qu’on fait.
Anaky Kobena que vous présentez comme votre frère, vient d’être évincé de son parti. Quelle lecture en faites-vous?
Je souhaite bon vent à Azoumana Moutayé qui a pris la tête du parti. Je le connais bien. Quant au grand frère Anaky, je déplore le fait qu’il donne parfois le sentiment de ne pas savoir où il va. Lorsque vous optez pour un groupe, vous demeurez solidaire et constant d’un bout à l’autre, de ce groupe-là. Je n’ai pas le sentiment qu’ayant adhéré au Rhdp, Anaky ait été constant et honnête autant que l’ont été tous les autres membres. Je déplore vraiment ce qui lui est arrivé. Le parti n’est pas la propriété de quelqu’un, fut-il le fondateur. Quand vous êtes en faute, on vous le fait payer.… Sa vie politique, de mon point de vue, a été un peu désordonnée et il en paye le prix.
Au plan social, quelle analyse faites-vous de la politique du président Alassane Ouattara ?
On a tous souhaité que la croissance à deux chiffres se répercute au niveau du panier de la ménagère. Tous autant que nous sommes, nous subissons ces affres-là, de la situation sociale, parce que nous achetons au même prix les biens de consommation. Je pense que le gouvernement fait en sorte que les difficultés s’atténuent. Si pendant la période de son premier mandat, il s’est attaqué aux gros problèmes du pays, c’est-à-dire la macroéconomie, et dans une moindre mesure, à la micro-économie, je pense qu’avec le second mandat, ce sera l’inversion, avec la micro-économie qui permettra à chaque ivoirien de vivre décemment.
Avec quel pourcentage remportera-t-il la Présidentielle ?
Moi, je n’aime pas trop les pronostics. Mais, j’ai la certitude que le président Alassane Ouattara va remporter la prochaine présidentielle, avec au minimum 60 %. Nous avons la chance d’avoir à la tête de ce pays de grands hommes d’Etat, qui ont un sens élevé de la République et qui font du bon travail au profit des populations. Quand je parle d’équipe et d’hommes, je parle du président Alassane Ouattara, le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, un travailleur infatigable. Et je pense que si cela était possible, on devrait cloner Daniel Kablan Duncan, pour avoir de petits ivoiriens dans son modèle. Quand on voit Duncan travailler, on est frappé par la vigueur qui le pousse.
Quels sont vos rapports avec Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ?
Aucun !Je n’ai aucun rapport avec Guillaume Soro. C’est quelqu’un que je ne connais pas. Je l’ai reçu à l’époque quand il était dans le mouvement estudiantin. Il avait été désigné l’homme de l’année par Ivoir-Soir et en ma qualité de directeur général de Fraternité-Matin à l’époque, j’ai eu à lui remettre son prix à mon bureau. Depuis cette époque, nous n’avons pas eu de rapports particuliers. Par contre, je connais le Ministre d’Etat Hamed Bakayoko, qui fut journaliste ; mon frère et ami le ministre Ally Coulibaly, mon bienfaiteur, qui fut aussi l’un des plus grands amis de mon défunt jeune frère Noël X Ebony ; mon petit frère le Ministre Kobenan Kouassi Adjoumani, à qui je dois reconnaissance pour avoir su m’aider à traverser des moments terribles de ma vie…
Que pensez-vous de la santé politique de la Côte d’Ivoire?
Politiquement, le pays est dans une excellente forme, dans la mesure où, des personnes dont on dit qu’elles étaient à la base de la crise sont à nouveau unis. Ensemble, les Houphouëtistes maîtrisent la situation et ils iront loin ensemble.
Comment en êtes-vous arrivé à la fonction de chef traditionnel ?
Chez nous, on ne peut pas véritablement dire que le choix vient des populations. Ça vient d’une lignée. C’est le système matrilinéaire. Si votre mère est descendante d’une chefferie, il y des chances que cela vous touche, tôt ou tard. Et le groupe auquel j’appartiens, c’est le groupe des Agni-Bohona, venus du Denkiira au Ghana. Et tout le monde connait l’histoire.
Quelles sont les implications liées à cette charge ?
Il m’incombe de faire vivre une coutume, à administrer de manière coutumière, un certain nombre de villages, à résoudre et à être l’auxiliaire entre les populations que j’administre coutumièrement et l’administration du pays.
Le président Alassane Ouattara a initié un projet, celui d’accorder un statut particulier aux chefs et rois de Côte d’Ivoire. Quel est votre sentiment ?
Je pense que c’est la meilleure chose qui soit arrivée aux chefs traditionnels de Côte d’Ivoire. Il faut dire que si je prends l’exemple du Ghana, il existe, depuis des lustres, une autorité ministérielle chargée de la chefferie traditionnelle, et qui fait en sorte que la chefferie traditionnelle accompagne la gestion de l’Etat. Parce que la perception des choses dans le monde moderne, n’est pas toujours équivalente avec le monde traditionnel. Donc, il faut quelqu’un qui fasse le lien entre les deux. Donc j’estime que le président de la République a fait l’une des plus belles choses pour la Côte d’Ivoire. Il y a longtemps que les chefs traditionnels de ce pays attendaient ce statut.
Quel devrait être le rôle joué par cette chambre auprès de l’administration?
La première chose, c’est une sorte de lien entre les populations dépendantes de ces chefferies et l’administration de la Côte d’Ivoire. Et cela peut se décliner au niveau de chaque région, j’allais dire de chaque zone de Côte d’Ivoire. Vous savez que la chefferie n’est pas du tout pareille partout en Côte d’Ivoire. Je pense que tout doit concourir à renforcer l’autorité de l’Etat
Réalisée par Armand B. DEPEYLA
Source : Soir Info, mardi 12 mai 2015