“Il faut être d’une rare inculture politique pour croire que cette histoire d’alternance est possible”

TIBURCE-KOFFI-INSAAC

Quelques jours après l’investiture en pompes du Président Alassane Ouattara comme candidat unique du Rhdp à la présidentielle d’octobre 2015, Tiburce Koffi, l’un des irréductibles à l’Appel de Daoukro, a voulu parler de cette cérémonie. Mais aussi, depuis son exil, faire le tour de l’actualité politique en Côte d’Ivoire. Sans langue de bois, comme à son habitude.

Ouattara vient d’être investi dans une liesse populaire, candidat unique du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Quels sont vos sentiments sur cette cérémonie ?

Liesse populaire ? Un rassemblement festif de quelques 5 000 militants dans un stade clairsemé est, pour vous, une liesse populaire ? Un match Séwé/Botro FC réunirait plus de monde que ça ! L’électorat se chiffre à des millions de voix. Il se trouve dans les coeurs et les esprits et non dans ce type de folklore politique classique en Afrique. Laurent Gbagbo écraserait aujourd’hui dans les urnes Alassane Ouattara ! Pourtant, il n’y a aucun attroupement pour lui dans aucun stade du pays. (…)

Quels sont vos sentiments, malgré tout, sur cet événement ?

D’abord, c’est un non-événement. Du gâchis ! Gâchis de temps, gâchis d’argent, gâchis d’énergie ! Il y a tant à faire dans ce pays. A savoir, équiper les rares hôpitaux en médicaments et plateaux techniques, équiper les écoles et Universités, s’atteler à réduire le coût de la vie, veiller à moins gaspiller sinon même à ne pas gaspiller les ressources du pays, dynamiser le service public, penser au social, etc. Pour un pont, on amuse le people pendant des jours. Pour des luminaires, de même. J’avais sincèrement cru qu’Alassane Ouattara allait nous faire sortir de ces nègreries ! Une fois de plus, je me suis trompé. La Côte d’Ivoire est retournée aux âges primitifs de la politique…

Devant cette demonstration de force, pensez-vous que l’opposition a encore des chances de triompher à la prochaine présidentielle devant le candidat du Rhdp ?

« Démonstration de force !» C’est cela la démonstration de force, pour vous ? Pourquoi êtes-vous si fascine par la force, vous et nous les Noirs africains ? Obama a dit que ”l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes”. Pour le moment, sous Alassane, ce pays n’a plus aucune institution forte. Rien que des officines politiques (…). Arrêtez donc d’être fascinés par la force illusoire ou non. Il s’agit aujourd’hui, pour notre pays, de sortir de la période de transition politique pour entrer dans une ère de normalité institutionnelle par des élections libres, transparentes, démocratiques et ouvertes à tous. Et, à mon avis, Ouattara et Bédié ne sont pas les cartes qu’il faut, aujourd’hui. En 2010, ils étaient les hommes qu’il fallait. Aujourd’hui, non.

Et pourquoi ?

Je l’ai déjà dit et écrit. Alassane, Gbagbo et Bédié incarnent la mauvaise Côte d’Ivoire. Celle des conflits (…), de la violence institutionnelle et militaire, la Côte d’Ivoire de la corruption du corps social et de l’altération de la qualité de la classe dirigeante. Bédié et Ouattara sont des miroirs de Gbagbo, et vice versa. (…)

Que voulez-vous dire concrètement .

Pour Bédié et Ouattara, l’État, c’est eux, et non les Institutions. Ce sont des héros d’hier qui ne savent pas se retirer pour mériter la reconnaissance de l’Histoire. Ouattara et Bédié se trompent de combat et d’époque. Ils rusent avec le peuple ivoirien….pour leur propre consécration et plaisir de princes (…).Tout le monde sait que les fils d’empereur, de roi ou de chef, surtout quand ce sont des noirs, aiment beaucoup s’amuser et gaspiller.

La question demeure : pensez-vous que l’opposition a encore des chances de triompher à la prochaine présidentielle ?

Bien sûr. La victoire de l’opposition est plus qu’une certitude. C’est une évidence mathématique. Mais Ouattara et Bédié conserveront, peut-être, le pouvoir.

Soyez plus explicite.

C’est simple : Alassane Ouattara n’a pas de surface électorale populaire…. Il ne peut pas gagner. (…). Lui-même le sait, le Rdr, de même. J’ai mené campagne pour lui, en 2010. Nous avons gagné, mais pas dans la transparence. Les deux camps avaient triché. Choï l’a même attesté. Mais, c’est nous qui sommes parvenus au pouvoir par l’intervention militaire et le soutien diplomatique de la France qui, je le souligne au passage, avait bien fait.

Tiburce_Koffi

Bien fait ? Cela signifie quoi ?

Sans cette intervention décisive de la France en faveur de laquelle j’avais, au demeurant, milité, la Côte d’Ivoire serait devenue le Liberia ou la Sierra Leone. L’opposition détient cette donne. Elle est loin d’être dupe. C’est quand même Charles Konan Banny qui a conduit la campagne électorale d’Alassane dans le pays baoulé. Mon équipe et moi étions à ses côtés. Je vous le dis, nous en avons entendu, hein, de la bouche des paysans baoulés auxquels nous avions demandé de voter en faveur d’Alassane Ouattara. (…) Je ne vous en dirai pas plus.

Selon vous, quelle devra être la stratégie à adopter par l’opposition incarnée par Mamadou Koulibaly, Essy, Banny, KKB… pour inverser la tendance en sa faveur au cours de la présidentielle ?

La tendance est déjà en faveur de l’opposition. Ce n’est pas dans mes compétences de lui dire ce qu’il faut faire. Je ne suis pas un stratège politique, ni un militant de parti. Je suis un intellectuel libre penseur, qui a toujours estimé qu’il était de son devoir d’éclairer le peuple. Car, de ma posture, je comprends les choses un peu mieux que le citoyen ordinaire. Et cela, même s’il m’arrive parfois de me tromper. Mais qui peut prétendre ne s’être jamais trompé ? Et puis, aucune opposition ne dévoile son plan avant le combat.

Ne serait-ce pas suicidaire pour les opposants d’aller en rangs dispersés, face à ce candidat de poids qu’est le président Ouattara?

En 2010, Laurent Gbagbo n’était-il pas un candidat plus que de poids ? Le Rhdp n’était-il pas pourtant allé à l’élection en rangs dispersés afin de, selon les experts du Rdr, réunir le maximum de chances d’amener Laurent Gbagbo au second tour ? Et le Rhdp n’a-t-il pas dit qu’il a gagné cette élection grâce à cette option tactique ? Alors, pourquoi cette même tactique qui fut payante, d’après le Rdr, ne le serait pas pour nous ? Aller en rangs dispersés n’est donc pas une mauvaise chose en soi, bien au contraire.

Certains estiment déjà que Ouattara va écraser ses adversaires dès le premier tour. Ne le pensez-vous pas honnêtement ?

A part les affidés du Rdr…, personne ne pense que ce dernier peut et va écraser ses adversaires dès le premier tour. Le fiasco de cette investiture sème déjà le doute dans leur esprit. …Alassane Ouattara ne peut pas gagner…. Encore moins dès le premier tour. C’est impossible. Et lui-même le sait. Aucun candidat ne peut gagner au premier tour. Cela aussi est une certitude. Même dans ses folies, Gbagbo n’a pas osé franchir cette borne. C’est l’opposition seule qui, unie autour d’un seul candidat, peut, numériquement gagner un scrutin au premier tour. Ouattara, Bédié ou Gbagbo, seuls, non. C’est impossible.

Pour vous, il y aura forcément un second tour….

Il y aura forcément un deuxième tour. Et Ouattara et Bédié seront bel et bien écrasés au second tour. En 2010, je l’avais prédit à Gbagbo et ses refondateurs ! La seule issue au couple Ouattara-Bédié, est l’achat des voix (…). Et c’est triste !

Pourquoi êtes-vous si sûr que Ouattara ne peut pas gagner ?

C’est la configuration sociologique de la carte électorale qui le dit. A Kong et au Nord, Ouattara fera indiscutablement le plein…. Mais à l’Ouest, au Centre, à l’Est et au Sud, dans le pays bété, yacouba, wê, baoulé, agni, akyé, ébrié, N’zima, etc., il sera écrasé. C’est d’une puissante et impressionnante majorité sociologique qu’il s’agit ici. Je vous le dis : aucun ressortissant de cette zone, ne donnera sa voix à Ouattara au détriment de Konan Banny ou Essy Amara. Ce n’est pas possible. De même qu’aucun Ouattara ou Traoré ou Diomandé de Kong ou de Boundiali, n’optera pour Konan Banny en lieu et place d’Alassane Ouattara. Et vous savez tous, pourquoi. Nous sommes tous en Côte d’Ivoire, non ? Ou bien ? Donc pourquoi se mentir ? (…).

La question est encore là : qu’est ce que l’opposition doit faire pour espérer triompher là où elle semble frappée de nanisme devant le Président Ouattara?

Que faire ? C’est Lénine seul qui détient la réponse à ce type de question ! Mais c’est une question importante, car il est évident que l’opposition gagnera cette présidentielle dans les urnes. Toute la question est de savoir si elle a les moyens de protéger sa victoire. (…). Les militants de l’opposition, les millions d’Ivoiriens qui ne veulent plus du couple Ouattara-Bédié, et qui sont fatigués de cette politique sans pitié pour les pauvres, doivent donc s’armer de courage et de confiance pour réclamer leur victoire…, car ils gagneront ce scrutin. Ils l’ont même déjà gagné….

Vous avez pourtant écrit que le mandat de Ouattara est positif.

Oui, mais sur le plan strictement infrastructurel. Et je l’ai précisé. Relisez bien mon livre. Le reste du mandat est presque nul. Le pouvoir a consacré la mainmise de l’étranger sur les richesses du pays, l’impunité, la promotion de la violence politique et administrative, la cherté de la vie, la détresse des pauvres, les détournements de fonds publics, la corruption (…) les promesses non tenues, l’endettement excessif, etc. C’est grave.

Selon vous, l’opposition devra donc encore retrousser les manches, après le scrutin. C’est cela ?

Oui. Elle n’a pas le choix…. Qu’elle se prépare donc pour sauver cette victoire inéluctable. Je demande à Ouattara…. d’accepter d’affronter loyalement Charles Konan Banny et Essy Amara… (…)

Vous paraissez trop sûr des propos que vous tenez…

D’où je suis aujourd’hui, je suis assez bien placé pour vous dire ces choses-là. Vous savez tous que l’Appel de Daoukro est un acte de filouterie politique…. Je viens de passer des mois à Paris, et j’ai eu l’occasion de rencontrer la direction du Pdci-Rda de Paris. Ils avaient dit « Non à l’Appel de Daoukro », à l’issue d’une réunion qu’un délégué départemental du Pdci-Rda dont je tairai le nom, venu d’Abidjan, a organisée à Paris. A son retour de Paris, ce délégué a dit carrément à Bédié que « Paris dit oui à l’appel de Daoukro ». Incroyable ! Le Bureau de Paris m’a remis une copie du PV de cette réunion.

Et que dit ce bureau ?

Ils sont tous indignés par ce grossier mensonge. Ils ont même adressé un courrier à la direction du Pdci-Rda pour signifier leur désaccord. En représailles, aucun membre du bureau de Paris n’a été invité à la fameuse et fausse Convention qui a voté oui pour l’appel, à 99, 999% ! Et vous croyez que ces gens de Paris, leurs parents et amis ainsi que les importantes communautés rurales du pays qu’ils contrôlent, donneront leurs voix à Ouattara ? Vous avez aussi lu le courrier des chefs traditionnels et celui du Comité des Sages du Pdci-Rda, concernant cet appel. Pourquoi Bédié et Ouattara sont-ils tant fascinés par le discours des flagorneurs ?

Tiburce-Koffi1

Dans le parti du président Bédié, nombreux sont ceux qui soutiennent que l’ascenseur ne sera point retourné par le Rdr au Pdci dans le cadre d’une alternance en 2020. Partagez-vous cette opinion ?

C’est évident. Il faut être d’une rare inculture politique pour croire que cette histoire d’alternance est possible. Dr Mabri Toikeuse a dit, avant tout le monde, qu’il sera candidat en 2020. Ensuite, d’après Bédié et Ouattara, les deux partis vont fusionner pour donner naissance à une nouvelle structure. En 2020, il n’y aura donc plus ni Pdci ni Rdr. Le pouvoir ne sera donc pas donné au Pdci, puisque ce parti n’existera plus !

Cette explication de vous, suffit-elle pour douter de l’alternance ?

Il y a aussi que je ne vois pas non plus comment et pourquoi, en 2020, un monsieur comme Hamed Bakayoko, qui est en pleine émergence politique, et qui sera en possession de moyens colossaux pour briguer la magistrature suprême, devra renoncer à cette ambition légitime, pour offrir le pouvoir à un cadre… du Pdci-Rda qui n’aura rien fait pour le mériter ! Bédié pense que, comme lui-même ne s’est jamais vraiment battu pour réussir parce que Houphouët-Boigny lui a tout donné, on en est encore à ce stade monarchique, paternaliste et facile de la succession. C’est triste !

Par quoi expliquez-vous ce que vous appelez attentisme politique des cadres du Pdci-Rda ?

Je ne sais pas. Posez-leur la question. Je constate….qu’au Pdci-Rda, les gens pensent que le pouvoir, c’est comme le gbofloto qu’enfants, on se partageait ! C’est ridicule ! Je leur dit ceci : ”Ahoussou, Guikahué, Raymonde Coffie, Patrick Achi, Mme Kaudjys, Noël Akossi Bendjo, Joseph Kouamé Kra et autres cadres compétents mais peureux, du Pdci, et réduits au silence, vous vous trompez énormément. Personne ne vous donnera le pouvoir. Le pouvoir se conquiert, il ne se donne pas. Ce n’est pas un gbofloto ! Il n’y aura aucune alternance en 2020. (…)”.

Vous êtes souvent sévère quand il s’agit de Bédié. Pourquoi ?

On dit : « Qui aime bien châtie bien ». Il faut dire et redire la vérité au père Bédié : il s’est trompé, il se trompe (…). Mais Bédié a le droit de s’être trompé, c’est un être humain. Il faut qu’il se dise tout simplement que reconnaître ses erreurs, n’est pas un signe de faiblesse, mais de grandeur. Le chef et le modèle qu’il a été, et qu’il est encore, ne peut pas s’obstiner dans l’erreur et de conduire tout un peuple dans une impasse historique d’où il sera difficile de sortir.

Qu’avez-vous exactement contre l’Appel de Daoukro ?

Cette histoire d’Appel de Daoukro qui décrète que Alassane est le représentant du Pdci-Rda, au détriment de hauts cadres et technocrates avérés du Pdci, alors que ce même Ouattara est encore le Président d’un parti qui s’appelle Rdr, lequel Rdr a juré la disparition du Pdci-Rda, eh bien, cette affaire-là n’est pas du tout claire. Elle pue d’une odeur infecte. C’est une absurdité politique, mais c’est surtout une offense à la mémoire du président Houphouët-Boigny.

Une offense à Houphouët-Boigny ?

Oui. Ouattara sait qu’il a blessé la mémoire d’Houphouët-Boigny en violentant son testament politique qu’est le Pdci-Rda. Alassane Ouattara sait aussi qu’il a trahi la parole donnée en 2010. Il nous a dit qu’il venait pour un mandat, et de l’aider à avoir ce mandat à la fin duquel, il se retirerait. (…). Si Ouattara, aujourd’hui, veut sincèrement se racheter de ses fautes…, s’il regrette sincèrement, alors il sait ce qu’il lui reste à faire pour montrer sa bonne foi. A savoir, prononcer la dissolution pure et simple du Rdr, symbole de la fracture au sein de la famille politique houphouétiste, et retourner clairement au Pdci-Rda. Dans ce cas, oui dans ce cas-là, on pourrait comprendre et accepter la logique de l’Appel de Daoukro. Il y a quand même un précédent en la matière, et qui devait inspirer Bédié.

Quel est ce précédent ?

Oui. En 2000, le Bureau politique du Pdci-Rda a refusé l’appel du Général Robert Guéi qui voulait se faire parrainer par ce parti, à la présidentielle. La raison de ce refus, c’est Jean Konan Banny qui l’a donnée, du haut de son verbe merveilleux : « Le Pdci-Rda ne saurait faire du héros d’un coup d’Etat, son héraut ! » Génial ! Ça c’est du Me Jean Konan Banny ! La classe dans le verbe et la pensée! Rien à voir avec les discours politiques bancals actuels, sans élévation intellectuelle ! En réalité, ce fut par respect pour Bédié, que Me Jean Konan Banny a soutenu cette option. Prendre le ‘‘tombeur’’ du Pdci comme candidat de ce parti à la présidentielle, revenait à cautionner le coup d’Etat, donc à désavouer la gestion de Bédié et à dire à l’opinion que ce parti n’a pas de cadres valables pour diriger le pays. Bédié devrait s’inspirer de cette sagesse !

Qu’est-ce que cela à voir avec l’Appel de Daoukro ?

Comment Bédié peut-il, lui, amener aujourd’hui le parti créé par Houphouët-Boigny et ses compagnons, à donner sa caution à un homme qui s’acharne à le détruire et qui a, d’ailleurs, juré, par la voix de Djéni Kobina, de le réduire à l’état de vestige ? En plus de cela, le Pdci-Rda a des candidats de carrure politique et technocratique égale à Alassane Ouattara. Ce choix porté sur Ouattara ne se justifie donc pas. En opérant ainsi, Bédié offense la mémoire du « Vieux » ! Malheur à ceux qui offensent la mémoire des patriarches disparus !

L’actualité, c’est également l’éviction d’Anaky Konénan de la tête de son parti, le Mfa, à la suite de son désaccord avec l’Appel de Daoukro. Cela était-il prévisible ?

Anaky ne peut pas, juridiquement, être expulsé du parti qu’il a créé. Le Mfa a été créé par deux personnes, en ma présence . A savoir, Innocent Anaky et Joël Nguessan. Il s’appelait, à l’origine, le Mur. Je suis même un peu membre fondateur de ce parti. Si un jour je devais prendre une carte de parti, c’est chez Anaky que j’irais. Anaky évincé du Mfa, une telle réflexion est, en soi, une hérésie. Moutayé n’a pas de trace politique. Il ne signifie rien dans la mémoire des combattants politiques illustres de ce pays. Le nom Moutayé ne veut rien dire. (…)

Vous y allez un peu trop fort …

J’ai du mal à réaliser aujourd’hui que c’est pour la cause d’Alassane Ouattara et les idéaux de démocratie et de liberté d’expression que je croyais qu’il incarnait, que j’ai mené tout ce combat en 2010, au point d’avoir malmené Laurent Gbagbo, le camarade de longue date, avec tant d’excès et de violences verbales. Planté ! Oui je me suis carrément planté ! Énormément trompé !

Des regrets ?

Non. Pas vraiment. Le fond du combat était juste. Il était nécessaire pour ce pays de réhabiliter Ouattara. Il avait trop souffert d’exclusions injustes. Je ne savais pas qu’une fois au pouvoir, il allait être de connivence avec Bédié… pour exclure, à son tour, d’autres Ivoiriens, et malmener ceux qui ne pensent pas comme lui. Franchement je ne le savais pas. Je ne suis pas devin. Mais je réalise, à la comparaison, que j’ai combattu Laurent Gbagbo avec trop de violences verbales. Donc, je regrette la forme de mon combat, mais pas le fond. Si c’était à refaire, je le referais, mais pas de la même manière. On peut combattre avec élégance un adversaire.

D’aucuns estiment qu’Anaky mérite bien ce qui lui arrive. Parce qu’il lâcherait toujours ses camarades à des virages importants des combats, comme ce fut le cas avec Gbagbo. Vous le pensez aussi ?

Cette question prouve que vous ne connaissez pas l’histoire de votre pays. Ce n’est pas Anaky qui doit à Gbagbo et au Fpi. C’est plutôt l’inverse. Anaky, pour votre gouverne, est membre fondateur du Fpi, au Congrès de Dabou. Houphouët-Boigny, en représailles, l’a fait arrêter par le Commissaire Drissa Toé (Paix à son âme ) et lui a infligé trois années de prison. Pour vous instruire un peu plus de la qualité politique et sociale du personnage d’Anaky, sachez qu’il est issu d’une lignée d’opposants et de combattants pour la démocratie et la liberté. Son frère aîné, Paul Anaky, compta au nombre des prisonniers d’Assabou. Innocent Kobena Anaky fut le Pdg d’Inter Transit, une société prospère au cours des années 1970-1980. Il a mis sa relative fortune au service de nombreuses personnes et familles démunies de ce pays. Notamment la jeunesse, en finançant des clubs sportifs, artistiques, des talents, dans tous les domaines, la politique surtout.

C’est vous, aujourd’hui, sans gêne, le laudateur d’Anaky…

C’est un homme d’une extrême générosité et sensibilité, qui ne supporte pas de voir des gens dans le besoin. C’est le Fpi qui a été d’une rare ingratitude envers lui. J’ai servi d’intermédiaire entre Laurent Gbagbo et lui durant ces périodes de déchirement. Je vous en parlerai plus tard, au besoin, un jour. Une amitié de plus de 30 années me lie à lui. Donc, à son endroit, je sais de quoi je parle. Sur votre question, je dis qu’elle n’a pas de sens. Elle suppose qu’Alassane Ouattara est le vengeur de Gbagbo ! C’est absurde !

Les patrons du Rhdp ne se sont-ils pas, eux aussi, montrés comme on le dit, ingrats avec Anaky qui pourtant, a été l’un des pions essentiels dans le combat contre Gbagbo ?

Les leaders politiques ivoiriens de ces deux dernières décennies ont souvent été en conflit avec les règles de l’éthique. La qualité de la mémoire ne fait pas non plus partie des atouts qu’ils cultivent.

Une crise secoue en ce moment même le Fpi de votre ami Gbagbo, au point qu’un bicéphalisme s’y est créé. D’un côté, le groupe d’Affi et de l’autre, l’aile dure tenue par Sangaré Abou Drahamame. Quelle analyse faites-vous de la situation ?

C’est Laurent Gbagbo seul qui détient les clés et la solution de cette crise. Il saura trancher quand le moment sera venu. La politique en Côte d’Ivoire m’a fait perdre mes illusions et certitudes.

Il y en a qui soutiennent que Affi fait le jeu du pouvoir en place dans le but de crédibiliser l’éventuelle réélection du président Ouattara. N’est-ce pas un faux procès comme on le pense du côté du pouvoir? Ou alors, en êtes-vous plutôt convaincu ?

Ce que je constate, c’est que le pouvoir a dit qu’il choisit Affi comme interlocuteur. C’est aussi étonnant qu’ahurissant ! Le Fpi n’a donc plus le droit de choisir son propre porte-parole. C’est le régime de Ouattara qui le choisit ! (…).

Le Fpi est déchiré. Le Mfa également. Et tout récemment, le Pit de l’opposant Aka Ahizi où une tendance pro-Ouattara vient de voir le jour. Certains pensent à tort ou à raison, que le pouvoir est derrière toutes ces tribulations, pour rendre l’opposition moribonde à quelques mois de la présidentielle. Qu’en dites-vous ?

C’est évident. Et c’est la preuve d’une grande fébrilité dans le camp du pouvoir. Si Ouattara et Bédié étaient si sûrs de leur popularité, quel besoin y aurait-il de semer tant de désordres et de mésententes dans le paysage politique, afin de pouvoir gagner le scrutin ? Après l’éviction de Laurent Gbagbo et ses patriotes de la scène politique, on était en droit d’espérer une consultation électorale tranquille, apaisée, pour prouver au monde entier que c’était lui qui semait la discorde. Eh bien, on vient de le constater, ce n’est pas Laurent Gbagbo qui était le problème. Oui, Ado pissanci, a manhi dêh !!!

Beaucoup d’Ivoiriens s’intéressent à votre retour au pays. Alors, il est pour quand ce retour ?

Je ne suis pas un proscrit. Ouattara dit qu’il est fâché contre moi parce que j’ai écrit un livre, rien qu’un petit livre où j’ai dit que je ne suis pas d’accord avec son mentor Konan Bédié et son Appel suspect de Daoukro. Mois aussi, je suis très fâché contre les deux. Donc, nous sommes tous fâchés. Et c’est bon comme ça. Pour le moment, moi je me sens très bien ici. La Caroline ( États-Unis) est un pays merveilleux ! J’adore son climat, son calme, son paysage. Je suis inspiré, j’écris beaucoup, j’ai repris mon tennis, le jazz, et je vois ma fille tous les jours. C’est mon amour. Qui est fou pour retourner maintenant à Adjouffou (Abidjan ) ?

Interview réalisée par KIKIE Ahou Nazaire

In Soir Info, mercredi 06 mai 2015