David Tayorault

David Tayorault

Réalisée par M’Bah Aboubakar

(L’Expression, 13 -14 avril 2013) – Grande figure de la musique ivoirienne, Tayorault Edson David vient de sortir un album intitulé «Good vibes». Cet artiste au talent multiple parle dans cette interview, entre autres sujets, des relations entre 

Pourquoi avoir choisi d’intituler votre dernier album «Good vibes» en anglais ?

J’ai trouvé que «bonnes vibrations » (Ndlr, la traduction en français de Good vibes) ne faisait pas bien, commercialement parlant. Good vibes est beaucoup plus vendeur que sa traduction en français. C’est juste pour cette raison.

Ces «Good vibes» traduisent-elles la bonne ambiance dans laquelle vous avez réalisé l’album ou parlent-elles de ce que vous voulez communiquer aux mélomanes ?

Au départ, j’avais des difficultés pour trouver le titre de l’album. Au cours d’une causerie, nous évoquions les différentes ambiances dans lesquelles nous avons enregistré l’album, dans les pays où nous avons travaillé. Cela s’est fait dans des circonstances tellement positives que lorsque quelqu’un a sorti l’expression «bonnes vibes» j’ai sauté dessus. Ça a donné le titre de l’album.

N’est-ce pas un clin d’œil aux pays anglophones ?

Peut-être inconsciemment. Un artiste dépasse les frontières et les langues. La preuve, la musique nigériane marche partout. Les gens ne comprennent pas forcément l’anglais, le pidgin que les Nigérians utilisent, mais leur musique plaît. Ce qui attire, c’est l’air, la musique. C’est après qu’on cherche à savoir ce que les paroles signifient.

Qui a assuré les arrangements sur cet album ?

J’ai travaillé avec plusieurs camarades dont Mathieu Nangui, Thomas Hola. J’ai collaboré aussi avec Jacob Desvarieux qui a fait des guitares sur un titre. Un jeune pianiste, Dimitri, a aussi travaillé sur l’album, ainsi que Théophile Allou. A part Mathieu qui est de ma génération, ce sont de jeunes musiciens, beaucoup talentueux qui m’ont accompagné sur les différents titres. Je me suis dit qu’au moins une fois, j’allais être à 70% chanteur simple sur l’ensemble de l’album. C’est pour cela que j’ai laissé la latitude à mes collègues d’assurer les arrangements sur certains titres. Au chant, je me suis fait coacher par des artistes comme O’Nel Mala. J’ai travaillé avec plus jeunes que moi. Les gens qui avancent le plus en musique sont ceux qui font le plus de collaborations, de rencontres musicales. Prenez l’exemple de Johnny Hallyday, il a une cinquantaine d’années de carrière, mais une cinquantaine d’années de succès. Simplement parce qu’il collabore.

L’album explore plusieurs genres musicaux. Pourquoi n’avoir pas choisi un genre en particulier ?

Je m’ennuie très vite. Si je m’ennuie moi-même sur ma musique, je vais finir par ennuyer les autres. J’ai commencé ma carrière en tant qu’interprète dans un petit groupe qui accompagnait d’autres artistes. On a joué derrière toutes les grosses pointures à l’époque – Lougah, Bailly, Diane Solo, Reine Pélagie, Aïcha Koné – on a eu beaucoup d’expérience. J’ai gardé cette déformation qui fait que quand je réalise un album, il faut qu’il soit varié pour espérer avoir un public beaucoup plus large. C’est ce qui fait que tous mes albums sont très colorés.

Quelle est l’histoire du titre «My Baby» ?

C’est une histoire très simple. C’est le fruit d’une collaboration. Je voulais faire une musique très jeune, très actuelle. J’ai composé la musique et j’ai appelé un de mes petits, Kil’heur, du groupe Kil’heur & Rikwane – qui ont fait le titre ‘‘Chérie tu me saoule’’ – et je lui ai donné la musique. Il a pris la musique et une semaine plus tard, il m’a appelé pour donner le résultat. C’était exactement ce que je voulais. J’ai aussi une amie, qui se reconnaîtra, qui au départ était une de mes fans. Sur Facebook, elle me dit qu’elle écrit des chansons. Au début, je ne l’ai pas prise au sérieux. Quelque temps après, j’ai eu besoin d’un texte qui parle d’amour. Je l’ai contactée un matin et le soir elle m’a donné ce que je cherchais. J’étais édifié, émerveillé. La collaboration a continué avec cette dame et sur l’album, elle a écrit six des 14 chansons.

Il y a aussi, sur l’album, cette reprise du tube «En bwe nain ye» de Chino Rems. Racontez-nous…

Il y a longtemps que je rêvais de reprendre cette chanson. J’ai déjà repris une chanson de Diago Strong, «Awana», en 1995. J’ai voulu reprendre une chanson classique de la musique ivoirienne, celle de Chino Rems, lui donner un nouveau visage, une seconde jeunesse. Cette chanson, je l’ai tellement adorée. Elle a été arrangée par Mathieu Nangui, un excellent guitariste avec lequel je joue depuis plus de 20 ans. Je me suis vraiment éclaté sur cet album. La collaboration avec O’Nel Mala a commencé sur ce titre. Il m’a fait souffrir, mais le résultat est parfait. C’est ce que j’appelle les good vibes.

On a l’impression que le coupé décalé est en retrait sur l’album ?

Je n’ai jamais fait de coupé décalé sur mes propres albums, je l’ai fait pour les autres. J’ai fait un clin d’œil à cette musique sur mon album précédent, avec le titre «Sentiments» sur lequel j’ai appelé en featuring Mulukuku DJ. C’était ma façon de voir le coupé décalé avec ses sonorités. C’est moi qui ai commencé à faire du coupé décalé avec des synthés technos, dance… Il y a six ans que j’ai fait cela. C’est maintenant que les gens le font. C’était ma façon de faire avancer la chose. Je suis à l’origine de la musique coupé décalé, mais je ne suis pas un adepte de cette musique.

 

Combien de temps cela vous a-t-il pris pour réaliser ces «Good vibes»?

Il y a quatre ans que j’ai débuté la réalisation de cet album. Entre les voyages, les concerts, les arrangements des autres artistes, je n’ai pas eu beaucoup de temps. Quand le soir j’ai une petite inspiration, je mets mon ordinateur en marche et je mets cela en boîte. Quand je rencontre un musicien et que je sens que sa participation me sera profitable, je le sollicite. J’étais au Cameroun, en avril 2012, j’ai rencontré un guitariste qui a l’habitude de jouer avec Petit Pays, qui m’a épaté. Il a une certaine dextérité. Je lui ai proposé de jouer sur le titre «Moi pas connaître danser», il s’est exprimé et c’était génial.

 

Quelle casquette préférez-vous? Arrangeur, chanteur?

C’est compliqué cette affaire de préférence. Je me sens bien partout. Pour dire vrai, je suis beaucoup plus à l’aise sur scène. C’est là que se trouve mon univers. Je suis né là, j’ai grandi là et j’y mourrai. Le studio est venu après. Ma vraie passion c’est la scène.

 

Arrangeur, chanteur, producteur, membre du Conseil d’administration du Burida, comment vous en sortez-vous ?

Avoir plusieurs activités n’est pas un frein à l’évolution de ce qu’on entreprend. Tout est une question d’organisation. Il y a un moment où je dois être au Conseil d’administration du Burida, je trouve le temps d’y aller. J’ai une équipe qui s’occupe de gérer mes nombreuses facettes. Pour être performant, il faut se mettre à la disposition de son staff. Je m’en sors parce que je suis très organisé. J’ai compris très tôt comment fonctionnait le showbiz. Pour être performant, pour pouvoir avancer, il faut s’entourer de gens compétents, chacun dans son domaine. Il faut connaître ses limites. Mon travail, c’est la création. Les gens qui sont autour de moi ont pour rôle de promouvoir ce que je fais. Tant que chacun est dans domaine, tout marche comme sur des roulettes.

L’album est sorti en début de semaine. Comment se comporte-t-il sur le marché?

Il y a de l’engouement. Je préfère les choses qui vont crescendo. Quand quelque chose commence de cette façon, cela signifie que ça va durer. J’ai foi. Au fur et à mesure que la promo va s’intensifier, les mélomanes sauront où se procurer l’album.

L’on a appris que vous avez décidé de vous installer à l’étranger. Qu’en est-il ?

Il y a longtemps que je voyage. Cela fait 26 ans que je voyage. Chaque année, je vais travailler en Europe et je reviens. Depuis quatre, cinq ans, mes activités sont beaucoup plus concentrées sur l’Europe. Ce qui fait qu’il y a, de ma part, une absence répétée sur le sol ivoirien. Un journaliste m’a demandé pourquoi on ne me voyait plus sur la scène musicale. Je lui ai répondu que mes activités musicales m’obligeaient à travailler en Europe où j’ai beaucoup plus de collaboration avec des artistes internationaux. Il m’arrive de passer six ou sept mois hors du pays. Mais je reviens pour voir ma famille. Le journaliste en question a écrit : «David Tayorault : Je pars». Ça a créé le buzz, d’autant que tout cela a coïncidé avec la crise postélectorale. Je n’ai rien à me reprocher, je suis un citoyen ivoirien libre. Je n’ai jamais été mêlé à quoi que ce soit. Je n’ai jamais dit que je m’installais en France définitivement. Quand je suis loin de ma base, je suis déconnecté. 

Que pensez-vous des artistes qui s’installent en Europe ?

Chacun part en Europe par rapport à des objectifs bien précis. J’ai eu l’occasion de m’y installer il y a 20 ans. Ce ne sont ni les occasions, ni les moyens, encore moins les conditions qui ont fait défaut. Ça ne m’a jamais vraiment intéressé de rester là bas. Je préfère faire d’ici ma base, aller travailler en Europe et revenir. Ceux qui y restent savent pourquoi. Certains vont se chercher. Ils y sont, pour la plupart pour d’autres raisons que pour faire de la musique.

La pratique de la musique n’y est-elle pas plus rentable qu’ici ?

C’est vrai que la musique rapporte beaucoup plus en Occident. Mais je pense qu’en étant sur

place, ici, si nous sommes organisés, nous pouvons nous en sortir. Il suffit juste d’être professionnel, de s’entourer de gens responsables, qui connaissent leur métier. Il faut respecter son métier et le pratiquer avec beaucoup de droiture. C’est vrai qu’en matière d’infrastructures, on n’est pas très nantis ici, mais quand ils vont là-bas, ils sont obligés d’assurer le quotidien. La musique est très jalouse. Quand tu la délaisse, elle te délaisse aussi. C’est pourquoi quand les gens s’exilent et qu’ils reviennent avec un album, il est sans âme. Parce qu’il n’a pas été fait dans les mêmes conditions que quand ils étaient ici. On dit toujours que les meilleurs albums se font dans la galère, parce qu’on a le temps de le faire.

L’album est lancé. A quand les premières scènes ?

D’ici la fin du mois d’avril. On envisage d’abord de faire une tournée promotionnelle ponctuée par des showcase. L’objectif est de faire, d’ici six mois, un grand concert. Nous sommes lancé dans cette machine promotionnelle, espérant que l’album va faire beaucoup de good vibes.

Ne craignez-vous pas que vos enfants, qui sont dans le show-biz, subissent les mêmes tracas auxquels vous avez été confronté ?

Quand on a des enfants, dans leur éducation, on fait tout pour que ce qui nous est arrivé leur arrivent le moins. J’ai coaché mes gosses pour qu’ils soient aguerris. De toute façon, ils ont toujours été avec moi dans tout ce que je fais, ils savent comment les gens sont dans ce milieu-là. Aujourd’hui, ce sont de grands garçons, ils vont avoir 27 ans, ils ont déjà l’expérience. Je pense qu’ils sont armés pour affronter le monde du show-biz.

Quel regard jetez-vous sur la musique ivoirienne…

C’est un regard très positif. Il y a une dizaine d’années, la musique ivoirienne était certes appréciée mais pas autant qu’aujourd’hui. Il y a eu un véritable travail qui a été fait sur le plan artistique, pour présenter quelque chose de potable, digne de représenter le pays sur le plan musical à l’extérieur. Et c’est ce que nous avons fait avec la création du zouglou, du coupé décalé, qui sont des rythmes qui représentent valablement la musique ivoirienne à l’extérieur. Ces deux rythmes sont dansés partout dans le monde. Une chose à mettre à l’actif des acteurs que nous sommes. Je parle de ceux de ma génération comme Olivier Blé, Freddy Assogba, Koudou Athanase,… Nous avons travaillé pour que cette musique soit assise et c’est le cas aujourd’hui. Maintenant tout ce qui lui manque, c’est de trouver comment durer. Il y a une nouvelle génération d’arrangeurs, il faut qu’ils sachent que nous avons bossé pour que cette musique aille de l’avant. Mais c’est à eux de faire en sorte que cette musique perdure. C’est cela le plus difficile.

Quelles sont vos relations avec la nouvelle génération d’arrangeurs ?

Il faut rappeler que la nôtre était très soudée. On s’entraidait dans ce que nous faisions. Quand Koudou a un problème, il m’appelle et je viens l’aider. Ainsi de suite. Quand nous sommes arrivés, nous nous sommes rapprochés des devanciers, c’est-à-dire les Marcellin Yacé, les Boncana Maïga, Huon Pierre,…pour leur demander des conseils. La différence avec les jeunes d’aujourd’hui, c’est qu’ils donnent l’impression d’être en concurrence avec nous. Nous ne sommes pas en concurrence, nous faisons tous le même métier. Ils sont dans une bulle. Ils ont le même âge, ils pensent ne pas avoir besoin de nos conseils parce que ce qu’ils font marche. De temps en temps, quand j’en rencontre un, je lui donne les conseils d’usage. En tant que devancier c’est mon rôle. Mais quand une personne est dans l’euphorie, elle n’écoute aucun conseil. Le principal reproche que j’ai à leur faire concerne l’organisation. On peut avoir tout le talent du monde, quand on n’est pas organisé, rien ne marche. Je profite de votre micro pour dire certaines vérités à mon fils Bébi Philipe. Il m’a posé deux fois un lapin alors que nous avions rendez-vous.

Qu’a-t-il fait exactement?

A deux reprises je l’ai appelé pour un projet auquel je voulais qu’il participe. Je l’ai attendu au studio toute la journée, il n’est pas venu. Et il n’a pas appelé pour dire pourquoi il n’est pas venu. La prochaine fois, je ne vais plus l’appeler pour quoique ce soit. Le non-respect des engagements est une chose qui tue la carrière d’un artiste. C’est juste pour lui tirer les oreilles

parce que c’est mon fils. Je dis mon fils, car il est moins âgé que mes enfants. C’est lui que j’apprécie le plus, parmi les jeunes parce qu’il me rappelle ma jeunesse. Il faut apprendre à être correct envers les autres. Pour que je l’intègre à un autre de mes projets, j’attends qu’il vienne s’excuser parce que ce ne sont pas des choses qu’on fait à un grand frère. J’espère que les journalistes ne vont pas en faire une polémique. C’est juste le rappel d’un aîné à son cadet