Il livre des secrets sur ”Premier Gaou” de Magic System
Arrangeur génial, musicien et chanteur de talent, David Tayorault, affectueusement appelé ”Le Samouraï” de la musique ivoirienne ou ”Totorino”, célèbre du 17 au 19 avril, ses 30 ans de carrière à Abidjan et à Grand-Bassam. Avant cet événement, il revient sur les grandes étapes de ce parcours qu’il ne regrette pas du tout. Des Woya jusqu’à l’arrangement, sur des sonorités nouvelles, de certains artistes en vogue, l’enfant de Divo se lâche.
David Tayorault, vous célébrez vos 30 ans de carrière, quels objectifs voulez-vous atteindre à travers un tel événement?
En fait, c’est une sorte de bilan, une pause que je fais. Je veux fêter tous les acquis, toutes les expériences qu’on a pu avoir durant ces 30 ans. Il fallait marquer ça parce que 30 ans dans la vie d’une personne, de surcroît un artiste, ce n’est pas rien du tout. Je veux dire, 30 ans, c’est une grâce de Dieu pour la vie qu’Il donne, l’inspiration, la force nécessaire qu’Il accorde pour pouvoir faire son travail pendant ce temps. Ce n’était pas évident, ce n’est pas donné à tout le monde, c’est une grâce et je veux marquer ce coup, faire le bilan de toutes les actions que j’ai pu mener dans ce métier.
Êtes-vous satisfait de votre parcours en tant qu’artiste?
Bien sûr! 30 ans après, il y a beaucoup d’eau qui a coulé sous le pont. Je veux dire qu’il y a eu beaucoup plus de choses positives. Tout ce qui n’a pas marché, je préfère ne pas en parler, parce que ce sont des choses que je considère comme des dos d’âne ou des nids-de-poule sur mon chemin, quand je roule. Ce sont des choses qu’on a évitées pour que toutes les actions qu’on mène soient largement positives. Moi, je suis très content de mon bilan. J’ai fait des artistes, j’ai fait beaucoup de rencontres au niveau de la collaboration, je vis de mon art, de mon métier.
Concrètement, qu’est-ce qui vous a marqué pendant ces 30 années?
Beaucoup de choses. Déjà avec le groupe Woya, le premier concert qu’on a fait au Palais des sports m’est resté gravé dans la mémoire, parce que c’est la première fois que je voyais autant de monde venir pour nous. C’est resté gravé dans ma mémoire pour la vie. Il y a aussi tous les succès que j’ai eus. D’abord, en tant qu’artiste chanteur, arrangeur, on a fait un tube planétaire qui est ”Premier gaou”, dont je suis très fier.
C’était quand même une révolution en 1985, quand vous arriviez sur la scène musicale avec le groupe Woya. Surtout avec l’introduction de la fanfare…
Oui, parce que c’était une idée de François Konian, le producteur, qui a eu le flair de nous détecter et de vouloir faire quelque chose avec nous. Il y avait déjà beaucoup rêvé, faire un vrai groupe de musiciens. Ensuite, il y avait le chef de l’État, père de la nation, le président Félix Houphouët-Boigny, qui avait lancé un appel à la jeunesse, dans le contexte de l’exode rural. Le thème sur le retour à la terre était un filon à exploiter. Nous avons saisi ce message au bond, puis nous l’avons exploité dans ”Kacou Ananzè”. Le père de François Konian, Félicien Konian Kodjo, qui était le maire de Divo, à l’époque, nous avait donné des parcelles de terre qu’on cultivait. Nous étions de vrais paysans musiciens. On avait un étang, des parcelles, on faisait de la culture maraîchère et en même temps, on faisait de la musique. La musique étant notre activité principale. Tout le monde a suivi le succès que nous avons connu avec notre premier album” Kacou Ananzè”.
Le morceau-culte de l’album éponyme, ”Kacou Ananzè”a été, on le sait, un succès ”. A quoi renvoyait véritablement Woya, le nom du groupe?
Woya, c’est le nom du chat-huant en langue locale. Le chat-huant a un cri qui donne ”woya, woya”. En fait, c’est un animal que l’on décrit comme étant paresseux, c’est-à-dire qu’il prend tout son temps pour grimper à l’arbre, et c’est quand il arrive au sommet qu’il émet son cri. Donc, on était en train de chercher le nom du groupe, lorsqu’on a entendu un cri qui venait de la forêt, puisqu’on habitait dans le domaine du maire à 3 km de la ville, où il y avait la brousse. M.François Konian qui a constaté qu’on était en train de chercher loin, a proposé le cri de cet animal comme nom du groupe.
À l’époque, vous étiez très jeune, vous étiez certainement le plus jeune des garçons du groupe, et vous portiez un casque colonial. Qu’est-ce que cela vous faisait de porter une telle parure?
C’était pour dire qu’on était décolonisés. Mais en même temps, c’était un style qui était très particulier, comme moi je n’aime pas faire les choses comme les autres. Chacun avait choisi sa façon de s’habiller. L’idée même est venue de M. François Konian. Il a dit:” Tu vas t’habiller comme un colon”.
Toute la musique que vous avez développée avec le groupe Woya était-elle en rapport avec le groupe antillais Kassav?
Non, nous n’avons pas copié ”Kassav”. Les musiciens de ”Kassav” eux-mêmes, à l’origine, sont des musiciens de studio. Que ce soient Jacob, Naimro, Jocelyne, Jean Philippe, c’étaient des ”requins” de studio qui ont accompagné beaucoup d’artistes africains. Surtout au début des années 80 où ils ont joué dans tous les tubes ”makossa” qui ont marché. Jacob Devarieux lui-même était ingénieur de son, et c’est à partir de cette collaboration avec des artistes africains qu’ils ont pu faire une synthèse, une sorte de mélange de la musique africaine et celle des Antilles. De toutes les façons, les Antillais viennent d’ici. Ils ont la rythmique africaine dans le sang. En associant la musique qu’ils ont pratiquée à celle des musiciens africains, ils ont posé le pont entre l’Afrique et les Antilles, et c’est ce qui a fait que ”Kassav” a été et est toujours autant aimé en Afrique qu’aux Antilles. C’est un très bel exemple de synthèse musicale. On n’y a pas échappé, tout le monde a été fan de ”Kassav”. Nous, à ”Woya”, notre musique principale, c’est la fanfare qui est une musique urbaine ivoirienne. C’est la seule musique qui réunit tout le monde. Quand on met une fanfare dans la rue, que tu sois du Nord, du Sud, l’Est ou de l’Ouest, tu te retrouves là-dedans. On s’est alors dit qu’en prenant la fanfare comme musique de base, on pourrait développer d’autres rythmes ivoiriens, parce que la musique a besoin de nourrir d’autres musiques pour pouvoir grandir. On était à l’ère ”Kassav”, c’est pour cela que les gens pensent qu’on a copié ”Kassav”. Même s’il y a des ressemblances, il ne faut jamais avoir honte d’imiter le bon exemple. De plus, Jacob étant très lié à M. François Konian, parce qu’ils ont eu à travailler sur des projets et des productions de M. Konian à l’époque, comme Nayanka Bell et autres, cette amitié entre les deux hommes a compté. Jacob aimait beaucoup ce qu’on faisait parce qu’il s’y retrouvait aussi. C’est comme ça qu’est partie cette collaboration indirecte avec le groupe Kassav. Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, la musique, c’est la musique. D’où qu’elle vienne, c’est la musique. Quand on la sent, on la pratique.
Aujourd’hui, vous êtes l’un des survivants de ”Woya”, il y a eu des décès. Rétrospectivement, quand vous analysez tout ce qui s’est passé, qu’est-ce qui, à votre avis, n’a pas marché pour ceux qui sont encore en vie?
Vous savez, c’est un moment où on était jeunes. Aujourd’hui, avec beaucoup plus de recul, je pense qu’on aurait du continuer le projet. Mais, de toutes les façons, ”Woya” est toujours là. À l’occasion des 30 ans de ma carrière, vous verrez que tout le monde sera là pour faire la fête avec nous. Manou sera là, on est toujours en contact. L’occasion sera donnée, justement le 18 avril, de constater que les gars sont toujours là.
Vous êtes un arrangeur qui a excellé dans ce domaine. Peut-on dire que l’arrangeur a supplanté, quelque part, le chanteur?
Oui, je l’avoue. À un moment, l’arrangeur a supplanté le chanteur. Mais, j’ai corrigé cela depuis quelques années. J’ai repris en main ma carrière de chanteur. De sorte qu’aujourd’hui, je mène mes deux barques parfaitement. Je fais l’équilibre des choses. Il y a beaucoup de fans du chanteur David Tayorault qui se sont plaints que j’ai laissé en arrière-plan le chanteur pour privilégier l’arrangeur. C’est vrai, cela a été une erreur de ma part, que j’ai rectifiée. J’ai un album qui est sur le marché depuis un an et demi, on a repris la promo avec un nouveau clip, donc je tourne. Je fais mes tournées, mes festivals, je tourne, ça va, j’ai réussi à redresser la barre.
Vous avez arrangé ”Premier gaou”, l’album du groupe Magic System, qui est devenu un tube planétaire. N’êtes-vous pas frustré ou déçu de ce que l’arrangeur soit méconnu par rapport à l’artiste?
Non, pas du tout. Je suis autant connu que Magic System. La seule différence, c’est qu’ils sont dans une multinationale. J’étais connu avant eux, je suis connu et je serai toujours connu. Magic System n’est qu’un embryon de ce que je fais, c’est comme une goutte d’eau dans la mer de tout ce que je fais.
J’ai fait d’autres succès après ”Premier gaou”, qui n’ont peut-être pas eu le même parcours que ”Premier gaou”. Mais, j’ai fait Mokobé, le rappeur franco-malien qui a eu un gros succès en Europe. Après ça, j’ai bossé avec de grosses pointures de la musique internationale telles que Youssou N’dour. ”Premier gaou” fait partie de mon parcours. Ce n’est qu’un album parmi les milliers que j’ai faits.
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Il y a une anecdote qui se raconte à propos de cet album. Il s’en est fallu de peu que vous ne puissiez pas arranger ”Premier gaou”.
Oui, mais parce que j’étais malade. C’est sur insistance de ma femme que je suis parti au studio pour le faire.
Racontez-nous cette anecdote…
J’étais malade ce jour-là. Je leur avait donné rendez-vous et je ne suis pas venu parce que je ne me sentais pas bien. Je n’avais pas assez de forces pour partir. Eux, ils ont attendu malheureusement. Le lendemain, ma femme a insisté pour que je parte le faire.
Elle m’a même accompagné ce jour. On est parti et j’ai fait le morceau la même nuit. Mais, la chose insolite dans cette histoire, est que ce morceau n’a jamais été mixé, c’est juste une balance que j’ai faite comme ça pour leur donner, et puis ça a pris. Je n’ai jamais eu le temps de mixer cet album.
Comment l’idée vous est-elle venue avec l’intro que nous connaissons?
C’est comme ça, c’est une inspiration. Je ne sais pas d’où c’est sorti. Moi, quand j’écoute la chanson et je me mets sur l’ordinateur pour travailler, ça sort comme ça. Ce n’était pas prévu, c’est venu comme ça, c’est ça l’inspiration. Elle ne se commande pas, ça vient quand et comme ça veut.
Vous êtes passé un peu partout. Vous avez fait le ”Zouglou” et vous arrangez tout le monde, y compris le Couper-décaler. Alors, vous êtes un arrangeur qui transcende les rythmes…
(Rires). Je sais, il y a quelqu’un qui me disait: ”Mais comment fais-tu pour ne pas répéter les même choses et en plus, tu as ton style musical à part qui n’a rien à voir avec les gars que tu arranges ?”. Je réponds: C’est là la différence parce qu’aujourd’hui, malheureusement, les jeunes gens qui sont en vogue au niveau des arrangements, qui font du ”Couper-décaler”, moi je leur dis toujours de faire la différence entre le chanteur et l’arrangeur. Malheureusement, aujourd’hui, ce n’est pas le cas, parce que quand tu écoutes Dj Beynaud, par exemple, musicalement, il n’y a pas de différence avec ce qu’il arrange. C’est ça le danger de la chose. Moi, j’ai essayé de ne pas tomber dans ce piège. Je suis chanteur, d’abord. C’est après que je suis devenu arrangeur. Je sais donc faire la part des choses entre moi-même, ma propre culture musicale que j’exploite sur mes albums, et les clients qui viennent, à qui je donne un style, à qui je fabrique une identité musicale. Il faut savoir faire la part des choses. Toute chose que les jeunes gens ne font pas aujourd’hui. Mais, ils sont encore jeunes. Ils pêchent de ce côté-là. J’espère qu’ils arriveront à redresser cela.
Avec quel genre musical êtesvous le plus à l’aise? ”Zouglou, Couper-décaler”?
Je suis à l’aise partout. J’ai même fait des succès de reggae. Vous vous souvenez du tube ”Demi frère” d’Anidier, c’était du reggae. Moi, je me sens à l’aise partout, n’importe quel genre de musique qu’on m’apporte, je le fais parce que j’ai une formation d’interprète. À l’époque, quand je commençais à faire la musique, ”Woya”, avant d’être un groupe-vedette, a été un groupe d’accompagnement, un peu comme les ”Mewlessel” ou l’orchestre de la Rti. On accompagnait les artistes à l’époque. C’est là qu’on a acquis cette expérience. Et moi, j’interprétais tellement de choses, parce qu’avant que la vedette n’arrive, on” chauffait” la salle, on faisait beaucoup de variétés. A l’époque, c’était beaucoup ”le Makossa” et la musique de l’Afrique centrale qui marchaient. Il y avait du Zouk, un peu comme en discothèque, et il y a les séquences. Et donc, tu es obligé de chanter du ”Zouk” la même soirée, du ”Zaïko”, du ”Makossa”, du ”Reggae”, du ”Funk”. Tu chantes un peu de tout. Ça a été un gros avantage pour moi, et c’est ce qui transparaît aujourd’hui dans ce que je fais. C’est pour cela que je suis à l’aise avec n’importe quel rythme.
Parlons de vos 30 ans de carrière. Que va-t-il se passer pendant ces festivités?
Il y a beaucoup de choses qui vont se passer. C’est un show de 3 heures avec plusieurs tableaux. Il y aura génération ”Zouglou”, génération ”Couper-décaler”, c’est-à-dire les artistes que j’ai révélés. Ils vont venir témoigner, en chantant les chansons que j’ai arrangées. J’ai aussi mes invités. Ce sont des gens dont le choix est un peu particulier, parce qu’ils ont quelque chose à voir avec mon histoire, avec mon parcours. Mes parrains artistiques sont ”Kassav”, Lokua Kanza qui est un grand frère, c’était l’ami intime de Marcellin et Sam Fan Thomas. Ce monsieur, la première fois que Marcellin, m’a auditionné pour faire partie du groupe, quand il m’a demandé ce que je voulais y faire, j’ai répondu que je voulais chanter. Il a dit: ”Chante-nous quelque chose”. C’est cette chanson qui m’a permis d’être retenu. Après, nous sommes devenus des amis et d’ailleurs, c’est moi qui réalise son dernier album qu’on vient de boucler. Vous voyez, le fan qui devient l’arrangeur de l’idole. C’est pour tout cela que je l’invite. Et avec tous mes frères de ”Woya”, on va reconstituer le groupe pour l’occasion. Il y a beaucoup d’autres invités, il y a une trentaine d’artistes qui vont participer à cette fête.
Connaissez-vous Yodé et Siro?
C’est moi qui les ai révélés, quand ils étaient ”Poussins chocs”. On les a découverts à Divo, lors de ”Malboro Rock’in”. Ils étaient le seul groupe qui n’était pas venu avec des instruments modernes. Ils ont joué en ”wôyô”. Ils ont tellement impressionné le public alors qu’ils n’avaient pas été qualifiés, parce que ne remplissant pas les conditions techniques, guitares-basses, tout instrument harmonique. Ils ont quand même presté. Ils étaient huit dans le groupe, avec Petit Denis. C’est là que Claude Bassolé, qui était membre du jury comme moi, a dit: ”David, ces enfants-là, ils faut qu’on en fasse quelque chose”. Après leur prestation, je suis descendu, j’ai pris leur numéro de téléphone. Après, on s’est retrouvé au studio pour faire le premier album de ”Poussins chocs”, ”Asec-Kôtôkô”.
Vous avez, dit-on, eu une collaboration musicale avec Soum Bill qui, dit-on aussi, vous considère comme l’un des meilleurs arrangeurs. Comment prenez-vous ce compliment?
C’est un compliment qui me va droit au cœur. J’ai fait son premier gros succès, mis à part les ”Salopards” avec qui je n’ai jamais travaillé. Ce qui a lancé véritablement la carrière de Soum Bill, c’est ”Gnèzé” que j’ai réalisé. Et c’est une fierté pour moi. Soum Bill est un artiste que je respecte, c’est un superbe chanteur, et j’ai toujours du plaisir à travailler avec lui quand il a besoin de moi.
Et si on vous demandait de choisir entre l’arrangement et la chanson?
Je ne pourrais jamais. Il ne faut pas me demander de choisir entre mes ”enfants”. Je ne peux pas (rires). J’adore ces deux métiers, j’adore tout ce que je fais, je ne peux pas changer, ce n’est pas possible.
Entretien réalisé par Litié BOAGNON
Coolaboration: Steeve AZO (Stg)
Source : L’inter, Jeudi 16 Avril 2015