Depuis quelques jours, nous n’arrêtons pas de nous plaindre de l’indifférence du reste du monde devant le massacre des étudiants au Kenya. Là-bas, c’était 148 jeunes étudiants que la folie de fous de Dieu avait froidement fauché dans la fleur de l’âge. En France, c’était une quinzaine de personnes. En Tunisie…Peu importe le nombre. Ce qu’il fallait dénoncer, c’était la barbarie. Surtout lorsqu’elle est perpétrée au nom de Dieu. Et ceux que l’on accusait, les musulmans, se sont dépêchés de dire, avec raison, que ce que nous voyions-là n’avait rien à voir avec l’islam.
Pourquoi cette indifférence devant ce qui s’était passé au Kenya ? Lors d’un débat sur une chaîne de télévision française, un intervenant a fini par mettre le pied dans le plat : c’est parce que c’est en Afrique. « Oui, a-t-il précisé, il y a une géopolitique de l’émotion qui fait peu de ce qui se passe en Afrique arrive à émouvoir le reste du monde. » Pourquoi ? Peut-être parce que nous avons-nous-mêmes banalisé l’horreur. Au point où elle n’arrive plus à nous émouvoir, nous-mêmes. Qui, sur ce continent s’émeut des massacres commis chaque jours par Boko Haram aux confins du Nigeria ? Qui, sur ce continent, s’est ému des pogroms orchestrés en ce moment en Afrique du sud contre les étrangers, avec la bénédiction du roi des Zoulous ? Nous pourrions, de la Centrafrique à la Somalie en passant par le Mali, les deux Soudan, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Burundi, etc, dresser une longue liste des endroits où des massacres sont perpétrés tous les jours, devant notre totale indifférence. Nous sommes indifférents parce que les auteurs de ces barbaries ne sont autres que nous –mêmes. La barbarie nous serait-elle consubstantielle ? Un non Africain qui poserait une telle question se verrait aussitôt taxé de racisme avant tout débat. Jouissons donc de notre position d’Africain pour poser cette question essentielle.
Je la pose à bon escient, après avoir visionné cette horrible vidéo qui circule en ce moment sur le net. Il s’agit de l’assassinat d’un homme que l’on voit dans un premier temps en sang, menotté, donc ne présentant plus de danger. Des personnes lui jettent des pierres, lui assènent des coups de marteau, l’homme se lève et prend la fuite. Puis, dans une autre vidéo, l’on bascule dans l’horreur totale. On tranche à un homme la tête, les membres, le sexe…sous les objectifs de dizaines de téléphones portables. Les réseaux sociaux et les journaux nous ont appris plus tard qu’il s’agissait en fait de deux « microbes » qui avaient ainsi subi la colère du peuple. Les « microbes », ce serait un autre nom pour désigner des bandits ou des assassins, m’a-t-on dit. Les deux suppliciés auraient fait régner la terreur dans la commune d’Attécoubé, et la population serait très contente de leur exécution. La messe est dite. Ceux qui ont pris une hache pour couper la tête, les membres, le sexe de cet homme, ces dizaines d’autres qui filmaient avec leurs téléphones diront certainement qu’ils sont des gens normaux, qui n’aiment pas la violence, qui n’aspirent qu’à la paix et à la tranquillité. Mais qu’il me soit permis de dire que si ceux qui ont fait cela représentent les Ivoiriens, cela veut dire que nous sommes une société très malade. Et je refuse de croire que cela soit la Côte d’Ivoire. Non, ce n’est pas la Côte d’Ivoire. Ceux qui ont fait cela représentent la partie très malade de notre société. Ne nous voilons pas la face. Que cela ait pu se produire signifie notre société a des problèmes, qu’elle est malade dans une certaine mesure. Et il est urgent de prendre des mesures afin que le mal ne gagne pas tout le reste du corps. C’est pour cela que la Côte d’Ivoire normale, la Côte d’Ivoire légale, la Côte d’Ivoire qui aspire à faire partie des nations qui compteront demain va se dépêcher de procéder à l’arrestation de tous ces meurtriers, de les juger et de les condamner d’une façon exemplaire. Ce ne sera pas difficile. Ils ne se cachaient pas dans les films et cela s’est passé en public.
Nous nous demandons pourquoi le massacre du Kenya n’émeut personne ? La réponse est là : pourquoi voulons-nous que quelqu’un s’émeuve pour nous, lorsque des gens normaux sont capables de faire cela ? Si l’Etat de Côte d’Ivoire ne frappe pas fort, qu’il ne s’étonne pas que personne ne le prenne plus au sérieux lorsqu’il parlera d’émergence. Parce que l’émergence commence par la disparition de tels actes de pure barbarie.
Venance Konan
Source: Facebook Venance Konan