Ses révélations sur des manoeuvres pour la libération de Gbagbo
Cadre du Front populaire ivoirien ( Fpi), Ohouochi Clotilde était ministre de la Solidarité, de la Sécurité Sociale et des Handicapés avant de devenir Conseillère à la Présidence de la République, chargée du projet de l’Assurance maladie universelle ( Amu) jusqu’à la chute du régime du Président Laurent Gbagbo. Aujourd’hui en exil, elle accepte pour la première fois de parler. A travers cette interview exclusive qu’elle nous a accordée le vendredi 3 avril 2015, par la magie des Tics, elle dit absolument tout. Notamment sur le projet de l’Amu qu’elle a piloté, la Cmu mise en place par les nouvelles autorités, la crise au Fpi, son parti, l’Appel de Daoukro, les candidatures à la présidentielle d’octobre 2015 de KKB, Essy Amara, Banny, son mentor Laurent Gbagbo…
Pourquoi écrire un livre sur l’Assurance maladie universelle ( Amu) au moment où se met en œuvre la Couverture maladie universelle (Cmu) ?
Je voudrais vous remercier de l’opportunité que vous m’offrez de présenter mon nouvel ouvrage intitulé : « l’Assurance Maladie Universelle (AMU) en Côte d’Ivoire: enjeux, pertinence et stratégie de mise en œuvre », paru, il y a environ une semaine, aux Editions l’Harmattan, à Paris. Cet ouvrage fait suite au premier intitulé: « On ira jusqu’au bout », paru en juin 2013, sur la crise post-électorale et la manière dont je l’ai vécue en tant que personnalité proche du président Laurent Gbagbo. Pour en revenir à votre question, deux raisons essentielles m’ont amenée à écrire cet ouvrage.
Lesquelles ?
Premièrement, en 2001, vu l’échec de l’Initiative de Bamako qui, par le principe de l’instauration du paiement direct des soins de santé, excluait les populations, notamment les plus démunies, des structures de santé, le gouvernement avait initié le projet de l’Amu. Cela, partant du fait que dans notre monde globalisé, les politiques ou initiatives qui, ailleurs, ont permis d’apporter des progrès fulgurants au bien-être des populations, devaient également être envisagées pour les sociétés africaines en pleine mutation et au sein desquelles la promotion d’une importante culture proactive et préventive gagnait de plus en plus de terrain. Le système de l’assurance maladie qui, en Occident, était le fruit de nombreuses conquêtes du corps social, émanait, dans notre contexte, plutôt d’une volonté politique affichée.
Que s’est-il passé par la suite ?
Lors du vote de la loi sur l’Amu en 2001, la pensée de la Communauté internationale était frileuse, voire hostile à l’instauration de systèmes d’assurance maladie obligatoire en Afrique. L’assurance maladie sociale ne faisait pas partie des considérants des « développeurs » et les initiatives qu’ils engageaient sur le continent en matière de financement de la santé, consacraient, toutes, la primauté des mutuelles de santé. Or le constat général révèle que, sur le terrain, la propagation des mutuelles est lente et limitée. En 2003, par exemple, on dénombrait en Côte d’Ivoire, une quarantaine d’organisations mutualistes de types divers avec seulement 662.457 personnes couvertes. Quant aux assurances privées, elles ne couvraient que 3% de la population globale.
Comment se présentait concrètement la situation avant le projet de l’Amu ?
Au moment de l’étude sur l’Amu, environ 6% de la population ivoirienne bénéficiaient d’une protection sociale contre le risque maladie. Les 94 % restants étaient des laissés-pour-compte face aux aléas de la maladie. L’Etat a donc pris ses responsabilités régaliennes par l’instauration de l’Amu comme moyen d’accessibilité des populations à des soins de santé de qualité.
Qu’en est-il à ce jour ?
Aujourd’hui, le temps nous donne raison et l’assurance maladie est à l’ordre du jour en Afrique. En effet, dans la continuité des conclusions du G20 de Cannes, en novembre 2011, l’Assemblée Générale des Nations unies a adopté, le 12 novembre 2012, à l’initiative de la France, une résolution en faveur de la Couverture sanitaire universelle (Csu) dans les pays du Sud. De ce point de vue, je me suis sentie interpellée, en tant qu’intellectuelle, et cet essai sur l’Amu intervient dans l’objectif clairement affiché d’apporter ma contribution au débat engagé et de partager, par la même occasion, mon expérience.
Quelle est la deuxième raison de la sortie de votre livre ?
La 2è raison est d’ordre politique. L’Amu est née de la vision politique et du rêve d’un homme : Laurent Gbagbo. C’est un pan important de son projet de société, de son programme de gouvernement et du contrat social qu’il avait passé avec les Ivoiriens, alors même qu’il était dans l’opposition. J’estime que le « patrimoine » politique de Laurent Gbagbo doit à tout prix être préservé et reproposé aux Ivoiriens. J’ai écrit cet essai dans l’optique de la réactualisation du programme de gouvernement du Fpi.
Quelle différence faites-vous entre l’Amu dont vous conduisiez le projet à l’époque et la Cmu mise en place par les autorités ivoiriennes ?
On pourra difficilement épuiser la question dans le cadre de cette interview tant la différence entre les deux projets est monumentale. Je me bornerai uniquement à relever les points les plus clivants.
Quels sont ces points-là ?
D’abord au niveau du principe de la cotisation à montant unitaire de 1000 F Cfa. La cotisation à montant unique de 1000 F Cfa préconisée mécaniquement dans le cadre de la Cmu ne repose, de mon point de vue (et beaucoup d’observateurs extérieurs partagent cette opinion), sur aucune base concrète et contrevient gravement au principe d’équité qui est la base fondamentale de toute assurance à caractère social. En effet, qu’est-ce qui justifie le fait que le pauvre paye 1000 F Cfa de même que le riche ?
Comment les choses étaient-elles prévues au niveau de l’Amu ?
Au niveau de l’Amu, c’était différent. En termes d’équité, les dispositions de la loi sur l’Amu prévoyaient une contribution des populations, proportionnellement à leurs revenus et à leur capacité contributive. Les cotisations des affiliés étaient assises sur le revenu ou fixées sur la base d’un forfait si l’adhérent n’a aucune source de revenu ou des revenus difficilement estimables. Les enfants de moins de 5 ans étaient exemptés de toute cotisation, pris en compte sur la carte Amu des parents. La grille des cotisations, en fonction des strates sociales pertinentes, a été élaborée selon les hypothèses de l’étude actuarielle que nous avons commandée en 2002.
Que disait cette étude ?
Selon cette étude, la contribution financière attendue à partir des cotisations variait entre 457 milliards de F Cfa en 2002 et 567 milliards F Cfa en 2007. Or, la dépense nationale de santé (Dsn), d’après une étude de la Coopération française de 2000, se situait à 386 milliards de F Cfa par an. Par conséquent, les cotisations attendues de l’Amu permettaient de couvrir, largement, la dépense globale de santé.
Quels sont les autres points de différence entre l’Amu et la Cmu ?
Il y a l’équité dans la distribution des soins. La loi sur l’Amu précise que tous les prestataires de soins, aussi bien publics que privés, sont conventionnés dans le système. Aussi, riches et pauvres peuvent-ils se soigner aussi bien dans le public que le privé. Il y a également la gratuité des soins au premier niveau de la pyramide sanitaire. Les structures de santé primaires constituent le soubassement du système de santé. Ce sont les structures de base de 1er accès à la population (infirmeries, maternités, centres de santé). Ils représentent environ 93% de l’offre de soins. A ce niveau, l’Amu prévoit la distribution gratuite des soins pour la population. Il y a également l’approche participative et citoyenne comme méthodologie de mise en oeuvre de l’Amu.
Comment comprendre ce point ?
En fait, compte tenu du caractère innovant de l’Amu, des écueils importants ont été répertoriés. A savoir, le scepticisme, l’ignorance, les pesanteurs socio-culturelles, les appréhensions et les réticences de certains partenaires-clés. Pour aplanir ces difficultés et garantir la réussite du projet, l’approche participative et consensuelle a été adoptée comme stratégie de mise en œuvre. Cette approche s’est traduite par un dialogue social initié à travers une vaste campagne d’information et de sensibilisation qui a permis de recueillir les avis et suggestions de toutes les couches de la population à chaque étape du processus.
Qu’avez-vous retenu, par exemple, à la suite de ces avis et suggestions ?
Par exemple, la gratuité de la cotisation pour les enfants de moins de 5 ans et les facilités à accorder aux ménages polygamiques ont été suggérés à l’équipe-projet par les populations de Korhogo en 2001, avant la guerre. Ces rencontres ont permis l’élaboration consensuelle de la loi sur l’Amu. Le Comité de pilotage s’est aussi bâti autour de 4 grandes composantes : santé, identification, cotisations, création des organismes de l’Amu. Ces composantes sont formées à partir de l’expertise locale émanant des structures publiques, parapubliques et privées, de la société civile et des représentants des différents secteurs de la vie sociale, économique et politique.
Il avait été évoqué des sites d’expérimentation à l’intérieur du pays…
En effet. Toujours dans le cadre de la sensibilisation en vue de l’appropriation de l’Amu par les populations, il a été mis sur pied, sur les deux sites d’expérimentation de Bondoukou et de Soubré, des Comités locaux Amu, regroupant les acteurs de terrain et les leaders d’opinion pour porter le projet à la base. Disons, en un mot, que le dialogue social et la concertation permanente ont été érigés en règle de gestion du projet de l’Amu. Postulant qu’il n’y a pas de solutions durables dans une telle entreprise sans compromis successifs. Tel ne semble pas être le cas en ce qui concerne la Cmu.
Les responsables de la Cmu justifient l’abrogation de la loi sur l’Amu par la lourdeur de ce projet. Qu’en dites-vous ?
J’ai déjà entendu cette critique lorsque je conduisais le projet. Elle est principalement formulée par certains partenaires au développement pour justifier, à l’époque, leur refus d’accompagner le projet ivoirien. Et je ne suis guère surprise de constater, aujourd’hui, que le schéma organisationnel et la stratégie opérationnelle qu’ils voulaient nous imposer sont pratiquement identiques à ce qui est fait par les responsables de la Cmu. Là où l’Amu proposait, dans une optique de justice sociale, une couverture de base minimale obligatoire pour tous les membres du corps social sans exclusive, les partenaires internationaux préconisaient, quant à eux, un mécanisme mutualiste tendant vers la couverture sectorielle des seuls acteurs du monde du travail organisé.
Pourquoi ces partenaires avaient-ils opté pour ce choix ?
Ces partenaires pensaient qu’une extension rapide et à grande échelle de la couverture de sécurité sociale dans les pays à faibles revenus était impossible. Or, les faits observés depuis quelques années balaient cette idée reçue. Au Rwanda par exemple, l’assurance maladie est aujourd’hui une réalité. Le projet de l’Amu, tel que décidé par ses concepteurs, se présentait comme une véritable spécificité ivoirienne, voire africaine. Il n’était ni une imitation ni une reproduction systématique de modèles étrangers. Il tirait son originalité et son authenticité de la capacité qu’ont eue ses responsables à le rendre cohérent avec les réalités économiques, sociales et culturelles des populations ivoiriennes.
Sur la question, vous aviez participé à une conférence à Ouagadougou, au Burkina Faso…
A la conférence internationale sur les soins de santé primaires et les systèmes de santé en Afrique organisée par l’Oms (Organisation mondiale de la santé) à Ouagadougou du 28 au 30 avril 2008, l’occasion m’a été donnée d’observer quelques similitudes entre l’Amu et le projet de l’assurance maladie en Tanzanie. Cela m’a confortée dans le combat en faveur de l’instauration de mécanismes d’assurance maladie obligatoire en Afrique pour sortir définitivement notre continent de la zone de silence sanitaire.
Selon vous, pourquoi n’avoir pas adapté l’Amu à la nouvelle situation de crise connue dans le pays au lieu d’arrêter sa mise en œuvre ?
C’était impossible pour plusieurs raisons. L’environnement de guerre à partir du 19 septembre 2002 a, indéniablement, eu de lourdes conséquences sur la poursuite du projet. Le chronogramme d’exécution s’en est trouvé gravement contrarié. Le président Laurent Gbagbo a refusé d’opter pour une Amu uniquement tournée vers les populations de la zone gouvernementale au détriment de celles placées sous l’autorité de la rébellion à l’époque. Ceci pour respecter les principes fondamentaux de l’Amu. A savoir la solidarité, l’universalité et surtout, pour éviter d’entériner la partition de fait du pays.
L’Amu a-t-elle donc été sacrifiée sur l’autel d’intérêts ?
Oui. L’Amu est un projet transversal dont la mise en œuvre nécessite l’implication de tous. Or des postes-clés, des postes stratégiques du dispositif de l’Amu se sont retrouvés aux mains de ministres provenant de l’opposition armée et civile à l’issue du partage du pouvoir de Laurent Gbagbo exigé par les accords de paix (Linas-Marcoussis, Accra 1 et 2, etc.). Victime d’intérêts politiques divergents, l’Amu va souffrir du manque de solidarité et de cohésion au sein des gouvernements successifs dits de réconciliation nationale au sein desquels les forces politiques et armées vont transposer leurs antagonismes et dissensions.
Mais si le projet avait effectivement été mis en route, d’où devraient provenir les fonds pour assurer son démarrage ?
Je précise que les dispositions de la loi sur l’Amu font obligation à l’État de mettre à la disposition des organismes de l’Amu un fonds d’établissement leur permettant de démarrer leurs activités. Ce fonds doit être rendu disponible avant les cotisations sociales et dûment constaté par les mandataires adhoc de l’Amu avant le démarrage de toute activité.
Et à combien de F Cfa était estimé ce fonds sur la base de l’étude actuarielle ?
Sur la base de l’étude actuarielle, ce fonds d’établissement était estimé à 30 milliards de francs Cfa. Or, du fait de la guerre, la Côte d’Ivoire avait enregistré, au plan économique, des taux de croissance négatifs en 2002 et 2003 (respectivement de -1,6% et -1,7%). En 2004, elle avait enregistré une croissance économique positive de 1,6%. Mais les défis liés à la sortie de crise et au processus de consolidation de la paix étaient immenses et ce taux était totalement insuffisant pour satisfaire les besoins de la population à plus forte raison, financer des projets de développement tels que l’Amu.
Pour aborder un tout autre sujet, on pourrait parler du Fpi votre parti qui est divisé en ce moment. Que ressentez-vous, depuis votre exil ?
Il faut savoir que tout courant de pensée, qu’il soit politique, philosophique ou religieux, rencontre au cours de son évolution des divergences, des mouvements de contestation qui aboutissent, la plupart du temps, à des positions schismatiques souvent irréversibles. Surtout lorsque le père-fondateur dont le charisme irradiait et servait de liant puissant entre les composantes de l’édifice, est absent ou éloigné. On assiste généralement à un manque de confiance total envers les nouveaux dirigeants qui peinent, dans un environnement difficile, voire hostile, à définir une ligne politique susceptible de rassembler les militants autour d’un projet clair et lisible pour tous. Le Fpi est dans cette situation.
Était-ce bien pour Sangaré Abou Drahamane et certains caciques du Fpi de prendre cette position de rupture ?
On l’appelle le gardien du temple. C’est un homme pondéré qui a été amené, par la force des événements, à s’inscrire dans cette position radicale.
Gbagbo votre mentor est aujourd’hui incarcéré à La Haye. Et certains disent, à tort ou à raison, qu’il est là où il devrait être. Quel est votre point de vue sur la question ?
Je ne prendrai qu’un seul fait. Vous vous souvenez que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont demandé, le lundi 3 juin 2013, au procureur d’apporter des éléments de preuves additionnels avant de décider de mener un éventuel procès contre le président Laurent Gbagbo. Les trois juges de la chambre préliminaire étaient divisés. Deux d’entre eux n’ont manifestement pas été convaincus par l’enquête et les démonstrations du bureau du procureur. Dans une juridiction normale, Laurent Gbagbo aurait dû, à ce moment, être libéré pour insuffisance de preuves.
Pourquoi n’a-t-il pas été libéré alors ?
Mais étant entendu qu’il s’agit d’un procès à caractère politique, on a accordé une seconde chance à l’Accusation. Les équipes de la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, ont été renvoyées à leurs copies, priées d’apporter plus d’éléments probants sur les crimes supposés commis par le Président Laurent Gbagbo. C’est-à-dire qu’on accuse et après on va chercher les preuves. On a même trouvé dans les pièces de l’Accusation, des vidéos de scènes de violences qui ont eu lieu au Kenya. Quel crédit doit-on accorder à une telle justice qui fait du repêchage au lieu du droit ?
Gbagbo et son épouse Simone ont-ils des chances de sortir de prison ?
J’ai de l’espoir. Les lignes bougent favorablement. C’est vrai, on ne peut, du jour au lendemain, effacer d’un coup d’éponge magique, une décennie de propagande mensongère et malveillante à l’encontre de Laurent Gbagbo et de Simone. Mais grâce au travail immense de sensibilisation, d’information et de diplomatie souterraine initié par les amis de Laurent Gbagbo et la diaspora africaine, ivoirienne en particulier, l’opinion longtemps anesthésiée commence à manifester de l’intérêt pour ce qui s’est véritablement passé au printemps 2011, en Côte d’Ivoire.
Quels sont les éléments tangibles qui vous poussent à le dire ?
Il y a ici un foisonnement d’activités. Les livres écrits par des auteurs africains, ivoiriens et européens sur Laurent Gbagbo et la crise post-électorale ne se comptent plus. Des conférences, des colloques, des activités académiques sont organisés autour de Laurent Gbagbo et de son combat. Même dans certaines universités, on est autorisé à parler de sujets qui, autrefois, étaient frappés d’« ostracisme ». Il y aura, le 11 avril prochain, à Paris, une grande marche panafricaine pour la libération de Laurent Gbagbo et le respect des constitutions en Afrique. Laurent Gbagbo lui-même est à la tâche, plus combatif que jamais, écrivant des ouvrages et recevant des personnalités de tous bords et de tous horizons.
Affi N’guessan dit avoir sa méthode pour faire libérer Gbagbo que ceux qu’il qualifie de dissidents, sabordent par leur posture. Y croyez-vous ?
C’est l’auteur classique Boileau qui, dans son ouvrage « L’Art poétique », affirme que « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Le premier ministre Pascal Affi N’guessan, pour qui j’ai beaucoup de respect, n’a pas, de mon point de vue, fait preuve de pédagogie et d’ouverture dans cette crise interne au Fpi, pour accueillir et analyser la pertinence des préoccupations exprimées par ceux qu’on qualifie de dissidents. De plus, son discours et sa stratégie sont rendus inaudibles, brouillés par des décisions inopportunes et sa propension à recourir à l’intolérable immixtion du pouvoir dans les problèmes internes du parti.
Que dites-vous du choix opéré par Gossio, Augustin Comoé, Amani N’guessan et bien d’autres, de suivre Affi au lieu de Sangaré ?
Chacun est libre de son choix.
Si vous étiez au pays, de Sangaré et d’Affi, aux côtés de qui auriez-vous mené le combat ?
Ah ! Vous ne l’avez pas remarqué ? Et pourtant cela coule de source. Je partage la vision du Fpi incarnée et conduite par le professeur Abou Drahamane Sangaré. Nous, cadres du FPI, portons une lourde responsabilité en ce moment. Nous n’avons pas le droit de détruire l’outil de combat auquel Laurent Gbagbo a consacré toute sa vie. Aujourd’hui, l’urgence et la priorité, de mon point de vue, résident au niveau de la réorganisation et de la consolidation du parti après la terrible crise post-électorale. Il nous faut bâtir, au-delà des incantations, une solidarité réelle et sans failles autour du président Laurent Gbagbo, de Simone et de tous les prisonniers politiques en vue de leur libération. Il faut amener le pouvoir à mettre sur pied un cadre politique global pour le retour de tous les exilés et non le « glanage » de quelques cadres du Fpi qu’on nous présente comme tableau de chasse.
Affi estime que le Fpi doit aller aux élections prochaines. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Concernant les élections, la position de l’aile révisionniste du FPI est d’y aller à tous prix, les remporter et ensuite mettre en œuvre une stratégie pour la libération de Laurent Gbagbo. Et si on perd ces élections ? La libération du président sera donc reléguée aux calendes grecques ? De plus, sur la base de quel programme de gouvernement allons-nous solliciter le suffrage des Ivoiriens ? Cela quand on sait que nous n’avons pas encore fait le bilan de la Refondation, ni actualisé le programme de gouvernement.
L’aile Fpi version Sangaré est rejointe par Mamadou Koulibaly qui lui, avait claqué la porte de votre parti. Avez-vous un commentaire là-dessus ?
Le président Laurent Gbagbo nous a enseigné qu’en politique, il ne faut jamais fermer la porte. L’allié d’aujourd’hui peut devenir l’adversaire de demain et vice-versa. C’est pour cette raison que je reste optimiste quant au retour de la paix et la cohésion au sein du Fpi. Le parti a les ressorts et les intelligences nécessaires pour rebâtir l’indispensable rassemblement.
Le groupe de Sangaré estime que Affi est en mission pour le pouvoir, pour casser le Fpi. Partagez-vous cette analyse ?
Je n’en suis pas informée. Mais c’est l’attitude du premier ministre Pascal Affi N’guessan qui offre le flanc à cette critique. Le recours intempestif à la force brutale du pouvoir contre ses camarades, les arrestations des cadres, la confiscation du patrimoine du Fpi, sont autant d’éléments qui ajoutent de l’eau au moulin de la critique.
Le procès des pro-Gbagbo est terminé avec la condamnation de Simone à 20 ans de prison. Avez-vous le sentiment d’une justice de vainqueurs comme certains le disent au Fpi ?
Il est admis qu’elle a dominé son procès. Même les médias coutumiers de la diabolisation systématique de Simone Gbagbo se sont laissé séduire par son intelligence, sa perspicacité et sa constance. Elle a servi au tribunal un cours magistral digne de l’universitaire qu’elle est. Mais personne n’est dupe, Simone Gbagbo a été, comme Laurent Gbagbo et les autres prisonniers politiques, condamnée avant d’être jugée.
L’appel de Daoukro a été lancé par le président Bédié pour un soutien de son parti à la candidature d’Alassane Ouattara. Avez-vous un commentaire sur la question ?
Moi, j’illustre l’appel de Daoukro par la fable de La Fontaine « Le Corbeau et Le Renard ». Que Dieu nous donne longue vie jusqu’à l’échéance 2020 pour voir l’épilogue de cette palpitante histoire.
Comment expliquez-vous que Essy Amara, Banny et KKB, fassent fi des consignes de Bédié pour se porter candidats contre Ouattara ?
C’est l’expression de la démocratie, la preuve que l’ère de l’unanimisme moutonnier est bel et bien révolue au Pdci.
Ont-ils des chances dans cette élection présidentielle où il est prédit une victoire sans bavures de Ouattara ?
Je n’ai pas le don de prophétie ni l’art divinatoire. Mais je sais une chose : une élection n’est jamais gagnée d’avance et l’électorat reste indéniablement une variable fluctuante, bien sûr quand les dés ne sont pas pipés.
Des trois, à savoir Essy, Banny et KKB, avez-vous une préférence?
Mais il ne s’agit pas d’un concours de Bagnon (rires). Tous trois sont des citoyens ivoiriens et ont des compétences requises pour solliciter le suffrage des Ivoiriens.
Sur la question de la réconciliation nationale, comment appréciez-vous les efforts faits par les autorités pour que cela aboutisse ?
Si le premier ministre Banny, qui avait en charge la Cdvr, a rendu sa démission, cela signifie que la réconciliation est cruellement en panne. La réconciliation ne se décrète pas. Pour paraphraser feu le Président Houphouët-Boigny, je dirai que la réconciliation, ce n’est pas un vain mot, c’est un comportement. Ce sont les gestes, petits ou grands, posés chaque jour qui y concourent. Par exemple, au Rwanda, les femmes Tutsi, après le génocide, sont parvenues à sublimer leur douleur, surmonter leur haine et ressentiments pour ouvrir les bras et accueillir dans la liesse, leurs sœurs Hutu de retour des camps de réfugiés de la Rdc. Encourageant de ce fait, les plus hésitantes, à emprunter le chemin de retour au bercail. L’exemple rwandais est un cas d’école que les réconciliateurs de chez nous devraient explorer.
Dans votre camp le Fpi, on entend dire que la réconciliation nationale passe nécessairement par la libération de Gbagbo, son épouse et de tous ceux qui lui sont favorables. Partagez-vous cet avis ?
C’est sans équivoque. Il y a eu deux protagonistes dans la crise. Pourquoi est-ce un seul camp qui est poursuivi ? La Commission nationale créée et chargée par le gouvernement de mener des investigations sur la crise a relevé la responsabilité du camp Ouattara dans les tueries de la crise post-électorale. Les organisations internationales des droits de l’homme en ont également fait mention dans leurs différents rapports. La question qui est de plus en plus posée est de savoir pourquoi ce camp continue de bénéficier de la faveur et de l’impunité de la part du régime.
Le Président Ouattara a lancé un appel à tous les exilés, leur demandant de rentrer au pays et qu’ils n’auront aucun problème. Alors, qu’attendez-vous pour imiter Gossio, Komoé, William Attéby et autres ?
La question concernant le retour des exilés est d’une extrême importance. Au vu des dispositions pertinentes de la Constitution, aucun Ivoirien ne doit être contraint à l’exil. Cette question doit être traitée dans un cadre politique global pour tout exilé, quel qu’il soit. Il ne s’agit pas pour l’affichage, de débusquer quelques cadres du Fpi et les brandir comme des trophées. Que fait-on concrètement pour l’ensemble des réfugiés d’une manière générale ? Aujourd’hui, les statistiques révèlent qu’il y a 10 000 réfugiés ivoiriens qui croupissent encore sous les tentes du Hcr au Ghana, répartis entre les camps d’Ampain (5000), Egykrom (3000), Fettenta (2000). Que fait-on pour les 36 000 environ du Libéria et le nombre incalculable de ceux qui sont disséminés à travers toute l’Afrique ? Quelles mesures sont mises en œuvre pour faciliter leur retour et leur réinsertion ?
Une toute autre question. C’est celle relative à Blaise Compaoré chassé du pouvoir par une révolution populaire dans son pays, le Burkina Faso. Avez-vous mal qu’il finisse ainsi ? Comment percevez-vous sa fin de règne ?
Je n’ai aucun commentaire sur la question. Cela relève de la politique interne du peuple souverain du Burkina Faso.
Un mot de la fin Mme Ohouochi ?
Je vous réitère mes remerciements. Au regard de cette Semaine Sainte qui vient de s’écouler, je prie l’Éternel afin qu’il accorde une résurrection glorieuse à la Côte d’Ivoire qui doit nécessairement sortir du tombeau de la haine, de l’injustice, de la vengeance, de la pauvreté.
Interview réalisée par KIKIE Ahou Nazaire
In Soir Info, mardi 7 avril 2015