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Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)

Par Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)

Libreafrique.org | L’émergence des pays africains est devenue le leitmotiv des discours des politiciens africains, notamment en Côte d’ivoire. D’ailleurs, une Conférence internationale sur l’émergence en Afrique aura lieu du 18 au 20 mars 2015 à Abidjan. Si être ambitieux est tout à fait légitime, l’économie ivoirienne peut-elle devenir émergente d’ici 2020.

Certes, la croissance économique de ces dernières années a été forte (9,8% en 2012, 8,8% en 2013). Toutefois, pour prétendre à l’émergence, il est besoin d’une croissance de qualité, c’est-à-dire une croissance forte, régulière et inclusive. Or, la croissance ivoirienne est tirée essentiellement par l’exploitation de ressources primaires (Café, Cacao, bois, or, pétrole, etc.). Or, les cours de ces matières premières sont volatils et cycliques, ce qui implique que les revenus soient instables et in fine la croissance en dents de scie.  Si l’on reste dans la configuration actuelle, c’est-à-dire avec une économie rentière, la croissance ne pourra jamais être régulière. Par ailleurs, précisons que si la croissance ivoirienne a été forte sur la dernière décennie, ce n’est pas parce que les exportations ont augmenté en volume ou ont une forte valeur ajoutée, c’est uniquement grâce à l’effet-prix qui n’a rien à voir avec le développement de la structure, de l’économie ivoirienne.

La fragilité de la croissance ivoirienne est imputable à sa dépendance au cours des matières premières et des aléas climatiques. Cela réduit ses chances de prétendre à l’émergence car il suffit d’un retournement de conjoncture pour que la croissance se transforme en récession ou dépression. À titre d’exemple, le taux de croissance moyen était de plus de 8 % pendant les quinze premières années de l’indépendance du pays 1960-1975 (miracle Ivoirien), mais la chute des cours des produits agricoles de base survenue à la fin des années 70, a ainsi provoqué une dépression qui, combinée à une politique monétaire et fiscale expansionniste encouragée auparavant par le boom café-cacao, a fait tomber le pays dans le piège de l’endettement et l’a mis sous tutelle des institutions de Bretton Woods.

La fragilité de l’économie ivoirienne sus-visée traduit une lacune structurelle : le manque de diversification. Comme la majorité des économies africaines, la Côte d’Ivoire présente une structure productive limitée dans le sens où l’essentiel des revenus à l’exportation est réalisé grâce à quelques produits (l’agriculture représente 22% du PIB et plus de 50% des recettes d’exportation). De même, les exportations ivoiriennes sont concentrées sur quelques marchés, principalement la zone européenne (L’UE est le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire et absorbe 70% de ses exportations). En raison de cette faiblesse de la diversification sectorielle et géographique, l’économie ivoirienne reste fragile face aux fluctuations de la conjoncture. Il suffit par exemple que le cacao voit ses cours chuter ou qu’un des clients européens soient en crise,  pour que l’économie ivoirienne entre en récession, voire en dépression.

Ce manque de diversification de l’économie ivoirienne renvoie au problème de l’investissement dans ce pays, qui reste faible comparé aux pays émergents (17,8% en 2013). Malheureusement l’investissement privé reste étouffé dans ce pays en raison d’un environnement encore hostile aux entrepreneurs, en dépit des progrès réalisés (147e sur 187 pays dans le classement Doing business 2015). Le déficit de l’État de droit, la complexité administrative, l’insécurité judiciaire, la corruption endémique, et j’en passe, autant de facteurs qui découragent la diversification. De la même manière, il ne peut y avoir de développement de l’investissement privé sans financement. Malheureusement la faiblesse de l’épargne nationale (autour de 17%) ainsi que les dysfonctionnements des secteurs bancaire et financier et leur incapacité à mobiliser et à canaliser une épargne déjà rare, handicapent grandement la création d’entreprises et la mise en œuvre des projets dans plusieurs secteurs d’activité.

Toutes les économies émergentes ont en commun d’être compétitives, ce qui leur a permis de conquérir des marchés au niveau mondial et de créer plus de richesses et d’emplois. Or, l’économie ivoirienne souffre d’un déficit chronique de compétitivité (110e sur 134 pays dans le classement WEF 2014). Elle n’arrive pas à développer des avantages comparatifs en dehors de produits primaires. Cette incapacité de créer de la valeur et de transformer ses ressources naturelles est due à la mauvaise qualité de ses infrastructures et à la déficience de sa logistique, à la cherté du foncier et de l’énergie, sans oublier les coûts de transactions dus aux défaillances de l’administration et de l’inadéquation des réglementations et des lois.

Enfin, la croissance ivoirienne n’est pas inclusive. D’une part, parce qu’elle provient de secteurs faiblement intégrés (connectés au reste de l’économie) et donc peu créateurs d’emplois et avec un faible impact sur les revenus. Et d’autre part, parce que la Côte d’Ivoire ne dispose pas d’institutions de qualité susceptibles de canaliser les revenus de ces ressources naturelles vers le plus grand nombre d’Ivoiriens. L’essentiel de la richesse créée est accaparée par une kleptocratie. En atteste le taux de pauvreté atteignant près de 50% aujourd’hui et le mauvais classement (2014) du pays dans l’indice de développement humain, soit la 171ème place sur 187 pays. Quand l’essentiel des revenus est accaparé par une minorité, cela signifie que le reste de la société n’en profite pas. Ceux qui sont proches du cercle du pouvoir vont avoir les marchés, les affaires les plus lucratives et les autres vont se contenter de quelques subventions et emplois précaires. Les autres, constituant la majorité, resteront exclus des infrastructures, des services de base et des emplois. Avec une telle exclusion économique, les inégalités sociales sont criantes dans ce pays, ce qui limite énormément la qualité du capital humain, pièce maîtresse dans le puzzle de l’émergence.

Dans le même ordre d’idées, cette majorité exclue économiquement, n’a pour voie de salut que de se rabattre sur l’informel. Aujourd’hui en Côte d’ivoire, le secteur informel occupe 90% de la population active sans protection sociale, ni rémunération suffisance. Et qui dit secteur informel, dit des activités saisonnières à faible valeur ajoutée et à faible contenu technologique, des unités peu productives et faiblement compétitives. Comment alors, une économie fondée sur l’informel pourrait-elle prétendre à l’émergence ?

Pour accéder à l’émergence il est besoin d’un processus dynamique de réformes structurelles nécessitant à la fois une grande volonté politique et une forte adhésion populaire. Les fruits de ces réformes ne peuvent être récoltés qu’à long terme. Or, l’horizon 2020 c’est dans cinq ans, et parler d’émergence n’est en fin de compte qu’un slogan politique.

Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc). Le 16 mars 2015