Ouattara vote-lepatriote

A l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2015, Alassane Ouattara n’a toujours pas dit comment il compte s’y prendre pour concrétiser sa candidature déjà annoncée, comment il sautera l’obstacle de l’article 35 de la Constitution pour être à nouveau candidat alors qu’il est redevenu forclos après le scrutin de 2010.Pour obtenir un second mandat de 5 ans, il manœuvre depuis son accession brutale au pouvoir d’état en avril 2011 et même bien avant cette date. Nous l’avons ainsi vu envoûter et bâillonner Henri Konan Bédié pour ligoter le PDCI et consolider le RHDP pendant qu’il était retranché au Golf Hôtel et coordonnait les journées de folie et de feu de la rébellion durant la crise post-électorale.

Nous l’avons ensuite vu imposer récemment à Henri Konan Bédié l’Appel de Daoukro lancé le 17 septembre 2014 et suivi peu après d’une parodie de Congrès Extrardinaire du PDCI-RDA qui a consacré l’abdication du vieux parti et l’a finalement conduit à choisir de ne présenter aucun candidat face au chef de l’Etat. Malgré des réticences manifestes notées ici et là au PDCI, Alassane Ouattara a continué à dérouler cyniquement son plan pour neutraliser d’avance tout ce qui pourrait à un niveau ou à un autre gêner sa réélection. L’instabilité au MFA d’Anaky Kobenan et la fronde que le régime a suscitée au FPI contre le président Pascal Affi N’Guessan montrent bien que le dictateur ne veut rien laisser au hasard et veut éviter toute mauvaise surprise.

Une milice tribale a ainsi été constituée depuis longtemps et a remplacé l’armée républicaine, une CEI sur mesure a été mise sur pied avec le même Youssouf Bakayoko dont nous connaissons la moralité et les méthodes, des magistrats acquis à la cause du régime ont été nommés au Conseil Constitutionnel et à la Cour Suprême, des millions d’étrangers ont été naturalisés au mépris de toutes les dispositions légales en vigueur, de nombreux autres actes purement électoralistes et anti-républicains ont été posés.

Mais malgré tout cela, le problème d’éligibilité n’est pour autant pas résolu pour Alassane Ouattara. Le chef d’état ivoirien connaît bien ce problème mais veut le contourner par des artifices. L’on se souvient que c’est le président Laurent Gbagbo qui, au moyen de l’article 48 de la Constitution avait fait de lui un candidat exceptionnel à l’élection présidentielle de 2005 reportée à 2010 pour cause de troubles. Dans le discours qu’il a prononcé le 28 avril 2005, pour expliquer sa décision d’activer l’article 48 au profit d’Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo avait clairement dit ceci: « Uniquement pour l’élection présidentielle d’octobre 2005 conformément à la lettre du Médiateur sud-africain, les candidats présentés par les partis politiques signataires de l’Accord de Marcoussis sont éligibles. En conséquence, Monsieur Alassane Dramane Ouattara peut, s’il le désire, présenter sa candidature à l’élection présidentielle de 2005 ».

Ainsi fut fait. Mais aujourd’hui que cette parenthèse de la guerre est refermée, la paix et la normalité étant revenues, la Constitution reprend tous ses droits et l’article 126 portant sur sa révision exige la tenue obligatoire d’un référendum. Quant à l’Assemblée Nationale dont Ouattara voulait se servir pour modifier la Loi fondamentale ivoirienne, elle ne peut intervenir qu’au début du processus de modification pour adopter le projet de révision. Mais ne voulant faire aboutir sa forfaiture par voie référendaire et ne pouvant le faire par voie parlementaire, Ouattara tente vainement de se cacher derrière une prétendue Jurisprudence sur l’article 48 qui, selon lui, impliquerait que s’il a été candidat en 2010, il pouvait l’être aussi en 2015.

Sur la question, Pascal Affi N’Guessan, le président statutaire du FPI, s’est déjà voulu très clair en déclarant ceci: « Ce n’est pas à moi de mettre sur la table la question de l’éligibilité de Ouattara. La question doit être tranchée par les institutions de la République (..).C’est au Conseil Constitutionnel de trancher, d’apprécier. En tant que personnalité politique, ma réaction n’est pas importante. Je me prononcerai après la décision du Conseil constitutionnel».

Comme on le voit, Ouattara se retrouvera donc une fois encore face à un verdict décisif du Conseil Constitutionnel. Celui-ci acceptera-t-il de violer la Constitution en l’autorisant à se présenter? Quelle sera la réaction du FPI et de l’opposition ivoirienne en général? Toucher à la Constitution en cette année électorale où le front social est en constante ébullition serait sans conteste mettre le feu aux poudres. Il y a par ailleurs que des voix autorisées et même celle de Thabo Mbeki, le facilitateur de l’Accord de Pretoria, auraient déjà conseillé à Ouattara de se retirer mais celui-ci continue de s’entêter.

Quelle sera aussi et surtout la réaction de la France qui, qu’on le veuille ou non reste omniprésente et omnipotente dans les affaires africaines? Déjà le 29 novembre 2014, devant les chefs d’État présents au Sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) de Dakar, François Hollande s’était prononcé pour le respect des Constitutions, ajoutant que “là où les règles constitutionnelles sont malmenées (…) là où l’alternance est empêchée, j’affirme, ici, que les citoyens de ces pays sauront toujours trouver un soutien dans l’espace francophone”.

Jusqu’où pourrait donc aller Alassane Ouattara qui avait très mal digéré ces propos tenus par son homologue français et déterré la hache de guerre contre lui en lui répondant aussitôt et sèchement qu’il n’avait pas de leçon à recevoir de lui? De la fanfaronnade aux actes, il y a cependant un gouffre qu’un certain Blaise Compaoré, actuellement en fuite et réfugié en Côte D’Ivoire, n’a pas réussi à franchir. Attendons donc de voir si Ouattara réussira à se jouer de tout le monde pour s’adjuger un second mandat ou s’il se fera prendre cette fois au piège de ses propres turpitudes.

Océane Yacé, Politologue, Monte-Carlo, Monaco